REJOINS-MOI, BELLE, ET NOUS AURONS DES AILES

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Thorian admirait sa femme. Comme il l'aimait, follement, totalement ! Il lui donna une tape cavalière sur les fesses en s'exclamant avec bonne humeur :

— Saphira, il n'y a rien à faire ! Tu ne peux pas t'en empêcher !

— C'est trop bon ! J'aime la chair encore vive et chaude et la sienne est particulièrement ferme et goûteuse...

Arkan se débattait dans ce cauchemar, terrifié. Son corps tétanisé était secoué de violents spasmes.

— J'adore leurs cris quand je plante les dents dans leur viande.

— Tu es incorrigible, ma Belle. Mais j'aime quand tes yeux ont cette lueur prédatrice !

— Embrasse-moi, Thorian, mon amour ! Embrasse-moi !

Il l'emporta comme un trésor, serrée contre son cœur, passant devant Sans Part et Enguerrand, stupéfaits. Il la porta jusqu'à sa chambre, poussa la porte du pied et la déposa sur le vaste lit couvert de peaux d'ours. De son corps, il la plaqua sur la couche, la maintenant aux poignets pour lui offrir le baiser tant désiré.

— Oh Thorian, continue...

Il l'avait dénudée avec des gestes rudes, luttant avec elle dans un délicieux corps à corps. Leur amour était sauvage, brut, et puissant, qui les menait, tempêtes et ravages. Il était le seul homme que Saphira ait jamais aimé. Il était sa Bête chérie. Lui, ne la craignait pas. Il l'adorait, sans jugement ni limites. Elle était sa voie, son étoile et sa foi.
Malgré les années, leur union n'avait pas donné de fruit. Certains murmuraient que c'était mieux comme ça, les autres priaient que cela ne change jamais. On ne pouvait les en blâmer. Qui voudrait peupler son jardin de bêtes fauves ?
On avait ramené Arkan dans sa cellule, un peu pour impressionner les autres captifs. La terreur fonctionnait presque aussi bien que la souffrance... Il s'était recroquevillé contre le mur du fond. Pour la énième fois, Enguerrand avait testé les barreaux, inspecté chaque centimètre de sa cage avec une rage sourde. Sans Part, assis en tailleur, semblait dormir.
Une heure s'étira dans un silence lugubre puis Arkan se mit à chanter d'une voix rauque, éraillée d'avoir tant crié. Il avançait à pas lents et trébuchants dans la mélodie. Stupéfait son frère reconnut la chansonnette par laquelle ils avaient l'habitude de clôturer leurs concerts. Alors, au bord des larmes, il se mit à accompagner le sinistre croassement, faisant résonner de sa voix chaude les échos dans le silence glacé. Les derniers vers s'adressaient aux dames, formant une invitation galante :

Rejoins-moi, Belle,

Et nous aurons des ailes,

De chair et de lumière.

Sur les derniers mots, la voix d'Arkan s'était brisée et son chant s'était transformé en pleurs. Sans- Part avait rouvert les yeux aux premières notes, surpris et il avait écouté sans bouger d'un millimètre.
Au cours de ses quarante cinq années d'existence, il avait été confronté à bien des situations, mais ce qu'il vivait à ce moment précis le bouleversait profondément. Il se fit la promesse que s'il sortait un jour vivant de l'antre de ces montres, il mettrait toute son énergie et ses moyens pour les combattre. Il n'avait pas de famille, et personne ne le pleurerait... Il posa dans la balance de la justice, son existence et son âme.

Plus tard:

Arkan soupira. La voix de Saphira murmurait, tout près de son oreille :

— Alors, Musicien, combien de temps penses-tu tenir encore ?

— Je vais crever ici...

— Probablement, mais pas avant d'avoir vidé ton sac ! intervint Thorian. J'ai parié sur ta défaite !

Parler ? Maintenant qu'il se sentait si près de la fin ? Arkan grimaça un « non » rocailleux. Il ne voulait, ne pouvait pas céder. Trop d'amis étaient protégés par son seul silence. Malgré l'horreur de sa situation, il ne pouvait se permettre la moindre défaillance. Il devait tenir ! Pourtant, tout son corps le suppliait d'abandonner le combat. Le moindre mouvement, même juste respirer était affreux. Ils l'avaient de nouveau suspendu à la poutre. Il ne voulait pas se rendre, encore moins à Saphira. Éclair de haine, pur cristal en son cœur. Mais, à cet instant, alors qu'il était à bout de forces et d'espoir, il vit apparaître un visage au milieu de sa peur. Un visage doux aux yeux noisettes. Et cette vision lui donna la force de dire non, encore.
Force-Bonnes...
Il s'accrocha éperdument à ces yeux noisettes pour ne pas s'effondrer. Barral sortit la marque des braises et la posa au creux des reins du prisonnier. Plainte déchirante... La chair grésillait. Les destins se croisaient. Saphira était en extase. La fumée âcre se répandit dans la pièce, puis s'en fut porter la nouvelle par les couloirs et chatouilla le nez des autres captifs. Sans Part fut pris d'un haut le cœur et vomit sans crier gare. Enguerrand, à genoux, priait intensément. Barral ordonna de faire boire son patient, mais celui-ci détourna la tête, les dents serrées, refusant cette eau dont il avait pourtant tellement besoin. Ses forces déclinaient. Il voulait en finir.

— On y est presque ! N'est-ce pas, se réjouit Thorian en le voyant faire.

Quand le fer fut de nouveau chaud, il recommença l'opération, sur la carte de ce corps martyrisé.

— Forces-Bonnes...

— Regarde mes yeux noisettes...

— Femme Douce, aidez-moi...

Enguerrand et Sans-Part l'écoutèrent hurler encore et encore.

— Mais qu'est-ce qu'ils lui font ? avait gémi le commerçant.

— Ils sont en train de le rôtir tout vif, s'était écrié son co-détenu, frôlant la panique. Et après, ils vont le dévorer, acheva-t-il lugubrement.

— C'est affreux !

— C'est mon frère...

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