ON A TOUS UNE PART OBSCURE...

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À la nuit tombée, ils s'arrêtèrent dans les ruines d'un village avec la certitude d'être suivis depuis plusieurs kilomètres. Ils se connaissaient assez pour n'avoir pas besoin de se concerter et, en quelques secondes ils arrêtèrent un homme qu'ils attachèrent à un vieux poteau brisé.

— Qu'est-ce que tu nous veux ? demanda Arkan.

— J'ai un message pour vous, c'est tout, répondit l'homme nerveux.

— On t'écoute.

— Si vous voulez récupérer la jolie femme rousse et celle aux cheveux tout blancs, il vous faut me suivre jusque chez mon maître.

— Où sont-elles ? Gronda Enguerrand.

— À l'abri.

Redevenu très calme, il reprit :

— J'ai dit : où sont-elles ?

Arkan le dévisagea avec un mélange de surprise et de curiosité. La voix de son frère avait une sonorité qu'il n'avait encore jamais entendue, et son regard avait pris une couleur faite d'un étrange alliage de quelque chose à la fois glacé et brûlant.

— Où-sont-elles ? Martela-t-il ?

— Là où je dois vous conduire, en Ariège.

— Où ?

L'homme secoua nerveusement la tête. Il avait peur. Cette mission lui avait été assignée à la fois comme test et comme punition pour son manque de motivation sur le terrain. Il n'avait pa envie d'échouer et reprit :

— Déconnez pas, je suis juste là pour vous porter le message. Mais si je ne suis pas de retour dans soixante-douze heures, ils vont s’occuper d'elles...

Arkan serra les dents avec l'envie de hurler de rage. Enguerrand pâlit. Lui aussi avait peur. Il reprit doucement :

— On n'a pas de temps à perdre.

Il se tourna ensuite vers son frère et chuchota :

— Arkan, laisse nous seuls quelques instants, je te prie.

— Enguerrand...

— Va surveiller les alentours !

L'ordre avait claqué, sec et froid, un ton plus haut. Sidéré, Arkan s'était éloigné en répondant un « d'accord » hésitant. Il venait de découvrir une part de la personnalité de son frère qu'il n'avait jamais soupçonnée. Deux cris de douleur s'élevèrent dans la nuit, lui confirmant sa découverte. Le troisième finit par une longue plainte, le glaçant jusqu'aux os. Il frissonna au souvenir de ses propres hurlements. Le silence qui suivit était collant, étouffant, puis Enguerrand l'appela. Il revint sur ses pas et aperçut l'homme, le visage ensanglanté. Il ne s'attarda pas à l'examiner, saisit ses affaires et assista, bouleversé, à son exécution. Enguerrand venait de lui porter un coup de couteau au foie. Son agonie serait longue. Devant son air stupéfait, son frère planta son regard dans le sien, lui livrant son âme et murmura, les dents serrées :

— Et je suis capable de bien pire. Je ne suis pas une âme blanche...

En disant cela, il se remémora les cris de douleur d'Arkan et, mal à l'aise, se détourna en ajoutant, la gorge nouée :

— Nous avons moins de soixante-douze heures pour les retrouver. L'Ariège c'est grand, et sauvage, mais il a parlé de Montségur...

— Allons-y !

Arkan hocha la tête et finit d'arrimer son luth à sa selle en se promettant de reprendre cette conversation plus tard. Leurs chevaux avançaient au pas, hésitant dans l'obscurité. La lune était à demi pleine, mais des cavalcades de nuages l'escamotaient absorbant sa lumière froide par moment et la restituant. Le vent avait forci. Les deux hommes resserrèrent leurs vêtements et ajustèrent les pans de leur cape. Ce vent froid et humide glaçait rapidement les os.

Enguerrand ouvrait la marche, poussant son cheval à travers la végétation. D'année en année, ce chemin s'était étréci, au point que sur certaines portions, un attelage passerait difficilement. Patiemment, la nature était en train de le dévorer. Arkan suivait, tous sens en alerte. C'était clairement un guet-apens. Et son frère les y emmenait tête baissée.

Mais que pouvait-ils faire d'autre ? La pensée qu'ils maltraitent les deux femmes lui donna une sueur froide. Son cœur s'emballa. Comme il comprenait le silence et la rage de son frère ! À cet instant, il aurait voulu le serrer dans ses bras, lui montrer son Amour et son respect dans une solide accolade. Mais il fallait avancer.

Le vent poursuivait son travail, transformant la forêt en une mer agitée. Des branches commençaient à craquer. Les chevaux s'agitaient, anxieux, mais obéissaient aux ordres fermes de leurs cavaliers. Eux, en avaient vu bien d'autres. Les tempêtes, les orages et autres manifestations brutales de la nature étaient courants dans la région. Leur vie aventureuse leur avait forgé nerfs et caractère. Et puis, cette nature, c'était la leur aussi, et les hommes étaient bien plus dangereux. Ils descendaient vers la plaine. Le chemin suivait la rivière, approximativement. Combien de fois avaient-ils chevauché, de jour comme de nuit, en silence, en paix, ou bien pas... Enguerrand arrêta sa monture et murmura :

— Les chevaux sont fatigués. On va s'arrêter deux heures. On doit se reposer, nous aussi parce que... je ne te l'ai pas encore dit, mais Juliette et Iléa sont escortées par une trentaine d'hommes.

Sa voix s'était brisée sur les derniers mots. L'angoisse lui imposa le silence. Arkan le regarda avec stupéfaction, ouvrit la bouche pour parler, se ravisa, se dit qu'il devait ressembler à un poisson en faisant cela puis finit par répondre :

— Ça fait un minimum de un contre quinze... Ça ne m'était encore jamais arrivé !

— À moi non plus.

— On va voir comment ça se présente. Et on va les récupérer nos belles fleurs.

Maintenant qu'ils avaient mis pied à terre, Arkan pouvait serrer son frère dans ses bras. Enguerrand accepta son étreinte avec reconnaissance puis se dégagea en avouant :

— J'ai peur. J'ai vraiment peur !

— Moi aussi. Mais on va trouver un moyen !

Malgré un ton affirmatif, Arkan était bien moins confiant qu'il ne le montrait. L'entreprise lui semblait ardue. Attaquer un groupe aussi nombreux et armé et qui les attendait de pied ferme était un challenge tout à fait mortifère.

Pense à Iléa... ricana La Rumeur.

Il sortit de ces réflexions, ébloui. Des éclairs sillonnaient le ciel. Enguerrand entrava rapidement les chevaux effrayés. Le tonnerre grondait au loin, menaçant, se rapprochant rapidement. Ils mangèrent quelques fruits secs et s'allongèrent sous l'abri précaire d'un surplomb rocheux bordant le chemin. Arkan s'endormit, presque aussitôt assailli par les cauchemars. Son frère se tourna et se retourna un long moment avant de plonger dans un sommeil peuplé de mauvais rêves où Juliette subissait maintes violences. Un sommeil rouge duquel il jaillit, haletant, baigné de sueur froide.

Un contre quinze...

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