21 JUIN... TREIZE ANS PLUS TARD SAPHIRA VIENT AUX JEUX D'ÉTÉ

6 minutes de lecture

Depuis qu'elle avait cessé le combat, Saphira avait mis autant d'énergie à construire qu'elle en avait utilisé à détruire. Sous ses directives, ses gens ayant, eux aussi, posé les armes, se firent maçons, tisserands, charpentiers, agriculteurs et leur territoire s'embellit de constructions rudimentaires mais solides habitations, bergeries, cabanes au bord de chaque champ pour s'abriter et ranger les outils, greniers collectifs etc. Pendant six ans, ils travaillèrent sans relâche, ouvrant de nouveaux jardins et créant les ateliers nécessaires à la fabrication de tout ce dont ils avaient besoin. Le but de Saphira était de placer les siens dans une position d'autonomie complète...

Sept ans plus tard, son but atteint, elle présenta deux champions aux jeux d'été qui, cette année là, avaient lieu à Bugarach. Elle arriva avec quatre cavaliers, dans un nuage de poussière. Il s'ensuivit un silence glacé. On se souvenait... Elle prit alors la parole :

— Bonjour, les Gens ! Ne me regardez pas de cet air si inquiet... je vous prie.

Sa voix à l'autorité naturelle avait fait cesser les conversations, mais le « je vous prie », laissa circuler la surprise.

— Je vous ai dit que je ne vous combattrais plus et il en sera ainsi. Nous sommes juste venus participer aux jeux d'été, si c'est possible.

Le « si c'est possible » fit autant d'effet que sa première formule. Rama vint vers elle, hésitant à y croire. Elle accepta cependant son accolade qu'elle estima sincère. Elle le sentit à travers ses vêtements et sa peau, jusque dans ses os et dans son âme. Saphira avait vraiment changé.
Ils furent ensuite accueillis par les autres participants et conduits à l'endroit où ils pourraient monter leur campement. Personne n'avait oublié. Mais chacun voulait oublier. La Paix avait un goût de miel.

Les jeux furent une grande réussite avec leurs tournois d'armes diverses, les concours de bûcheronnage, de travaux agricoles, les expositions de vannerie, poterie etc. Chaque artisan avait amené ses plus belles pièces et les trocs allaient bon train.
Les festivités durèrent quatre jours tant étaient nombreuses les équipes. Chaque soir, la musique faisait danser et rêver. Parmi les musiciens présents, les deux élèves d'Arkan les plus avancés firent tant et si bien qu'après leur prestation les visages rayonnaient de joie. Lui ne joua pas. Il resta en retrait, dans la foule animée, peu désireux de retrouver Saphira. Il l'avait vue arriver avec un frisson glacé et appréhendait de la croiser.
Ce fut elle qui vint le saluer, finalement. Leur rencontre fut brève mais si intense qu'elle le laissa dans un état de fatigue extrême. La conversation qu'ils avaient eu l'avait vidé de ce qui restait de sa peur. Il fit malgré tout une brève apparition sur la place puis regagna la tente qu'il partageait avec Iléa. La Sorcière n'était pas encore rentrée et il s'allongea dans l'herbe, le regard vers le ciel piqueté d'étoiles. Épuisé, mais en paix. . Il avait la sensation de renaître.
Mais la Perle des Collines avait une seconde visite à faire. Quand la soirée fut bien avancée, elle vit Enguerrand se préparer à rejoindre ses enfants et l'interrompit avec grâce :

— Enguerrand, je voulais te saluer personnellement et te féliciter. Tes élèves ont accompli des prouesses. Ils jouent merveilleusement bien. C'était un vrai bonheur.

— Je te remercie, Saphira, mais ce ne sont pas exclusivement « mes » élèves, ils travaillent de même avec mon frère.

— Je l'ai aussi félicité un peu plus tôt. Accepterais-tu que nous parlions un moment, ou me garderas-tu rancune jusqu'à la fin des temps ?

— La rancune est mauvaise Maîtresse. Prions à la Paix. À mon tour de te féliciter. Ton domaine reverdit, si j'en crois ceux qui y sont allés.

— Mes frères et sœurs sont de bons travailleurs et la paix leur va bien.

— Tant mieux pour tout le monde...

Mal à l'aise, Enguerrand s'interrogeait sur les intentions de Saphira mais elle poursuivit:

— J'ai su que vous aviez eu le bonheur de recevoir deux enfants. Je suis heureuse pour toi, j'ai su aussi pour Juliette... désolée...

— Merci. Juliette nous manque beaucoup, mais on se retrouvera de « l'Autre Côté ».

— C'est ce que l'on dit, en effet. Quel âge ont tes enfants ?

— Treize ans, ce sont des jumelles. Le temps a passé vite...

— Ainsi va la vie. Je voulais te dire aussi que tu vieillis plutôt bien.

Enguerrand se sentit rougir jusqu'à la racine des cheveux. Il eut aussi beaucoup de mal à détacher son regard de celui de son ancienne ennemie. Elle était toujours aussi belle et il se sentait terriblement seul. Cependant, les souvenirs de sa captivité le ramenèrent à une prudente réalité.

— Saphira, je te remercie pour cet agréable moment, mais il me faut aller retrouver mes filles, il est tard.

— Le plaisir est partagé, merci à toi. Nous aurons peut-être l'occasion de nous rencontrer à nouveau...

— La région n'est pas si grande.

— C'est vrai... Bonne fin de soirée, Enguerrand.

— Qu'elle le soit pour toi aussi, Dame des Collines.

Sur un geste de la main, elle s'éloigna, semblant flotter au dessus du sol. Quelque chose en elle avait changé qui la rendait à la fois plus humaine et aérienne. Il la suivit des yeux jusqu'à ce que ses cheveux gris, devenus très clairs, disparaissent entre les arbres comme une brume légère. Il regagna lentement sa tente, en proie à des sentiments contradictoires. Elsa et Mila était en grande discussion avec deux amies dans leur abri. Il leur souhaita une bonne nuit et se retira. Il avait besoin d'être seul et de réfléchir. Les questions défilaient dans son esprit :

— Pourquoi Saphira avait-elle décidé de participer aux festivité ?

— Pourquoi avait-elle repris contact avec Arkan puis avec lui-même ?

— Quelles étaient ses intentions réelles ?

D'autres questions arrivaient en masse, comme :

— Pourquoi n'avait-il plus côtoyé les Dames depuis la mort de Juliette ?

Il avait crû être incapable de ressentir l'énergie de l'Amour une seconde fois. Il avait vécu dans un gris de solitude toutes ces années mais il devait s'avouer que Saphira venait de lui offrir un rayon de soleil et qu'il en avait apprécié les bienfaits.

Quand Iléa rentra, Arkan l'accueillit avec un sourire et posa son luth contre un arbre pour la prendre dans ses bras. Ils restèrent un long moment serrés l'un contre l'autre puis il murmura :

— Saphira est ici.

— Je sais, je l'ai aperçue.

— Elle est venue me parler. Elle voulait me féliciter au sujet de mes élèves.

— Vraiment ? Rien de pire ?

— Non, il semble qu'elle a vraiment changé.

— C'est ce qui se dit...

— Elle m'a réaffirmé sa volonté de paix. Et elle est venue sans escorte, juste avec ses champions.

— Mm...

— Moi aussi j'ai du mal à oublier.

— Tu fais toujours des cauchemars, même si c'est bien moins souvent...

— Iléa, elle m'a demandé pardon pour tout ce qu'elle nous a fait subir.

— J'espère juste qu'elle était vraiment sincère...

— Elle l'est, crois-moi, tout autant qu'elle l'était quand elle disait que ma chair était goûteuse.

— D'accord, elle est sincère. J'aimerais pourtant savoir comment elle a pu changer autant en si peu de temps !

— Ah ça... elle a perdu Arris au cours du dernier combat, et par sa propre faute, à cause de son obstination et de sa propre violence. Elle avait perdu Thorian pour les mêmes raisons. Elle a réfléchi, je pense.

— Oui, j’admets qu'il y a de quoi. Et, maintenant que nous en parlons, à Montségur, quand tu as chanté, alors qu'elle avait la pointe de sa lame près de ton cœur, j'ai senti qu'il se passait quelque chose. Comme si nous avions eu de l'aide à cet instant précis.

— Je l'ai ressenti aussi, et d'autres également, nous avons eu de l'aide.

— Arkan, j'ai juste peur pour toi.

— Embrasse-moi, Sorcière des Grands-Bois.

Ils échangèrent un baiser très tendre et il reprit :

— Iléa, je vais m'allonger et regarder les étoiles. La revoir a remué ces terribles souvenirs et je suis fatigué.

— Je le suis aussi. Je vais regarder le ciel avec toi.

A SUIVRE

Annotations

Vous aimez lire MAZARIA ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0