Les délices de l'enchanteur.

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Comme tous les jours depuis le début de la période des fêtes, elle posa les yeux sur l'intérieur de la boutique. Elle avait beau voir ces merveilles chaque jour depuis des décennies quand venait le dernier mois de l'année, jamais elle ne s'en lassait pour autant. Comment était-il seulement possible d'arriver à saturation d'un spectacle si magnifique ?

Et le petit commerce était tout bonnement fabuleux. Avec ses longues tables de bois sombre, du chêne, l'imaginait-elle, ses décorations de noël s'étalant sur chaque meuble sous forme de guirlandes lumineuses aux reflets chatoyants et autres bibelots relatifs aux folklores, la grande pièce dégageait une aura féerique créant devant ses yeux un petit monde de couleurs. Incrustée dans le mur du fond, celui qui se trouvait en face d'elle, un âtre laissait brûler des flammèches d'ambre dont les ombres délicates dansaient le long des murs et conféraient à la petite boutique une atmosphère confortable, douce et chaleureuse. Dans un coin de la pièce, près de la vitrine, un immense sapin décoré de milles lueurs et teintes semblait inviter les passants d'un jeune âge à participer aux festivités. Et, s'agissant d'un salon de thé, des victuailles sucrées de toutes sortes et des boissons aux fumets savoureux offraient toujours plus une place de choix digne d'un petit paradis à tous les friands de pâtisseries. Elle aurait souhaité y goûter.

La décoration changeait tous les ans, un renouvellement qui égayait tous les yeux, qu'ils appartiennent aux petits comme aux grands. Les siens n'étaient d'ailleurs pas à exclure de l'équation : voir années après années ses modifications en cette si jolie saison la ravissait. L'Enchanteur, car tel était le nom du magasin, attirait grâce à cela nombre de visiteurs, aussi bien locaux que de tous les horizons. Pourtant, aujourd'hui, à part quelques curieux, gourmands pour la plupart, à n'en point douter, il n'y avait pas foule. Mais d'après ce qu'elle pouvait voir de l'extérieur, la nuit commençait déjà à tomber malgré l'heure encore prématurée. Les gens amorçaient d'ores et déjà un retour au domicile pour fuir l'obscurité et la fraîcheur de Décembre. Pour elle, cela sonnait le glas ; le retour au silence et aux ténèbres et cette idée la faisait frémir d'horreur.

Finalement, c'est un rire joyeux, celui d'une petite fille aux joues adorables, aux boucles flavescentes et aux yeux brillants qui la sortit de sa douloureuse constatation et elle afficha malgré elle un sourire mêlant tendresse et affliction. L'enfant regardait le paysage coloré avec de grands yeux émerveillés et la félicité qu'elle ressentait en ce moment ne faisait aucun doute dans le cœur de l'observatrice silencieuse. Avec un regard doux malgré sa mélancolie, elle contempla l'enfant et sa figure maternelle s'approprier une table vide pour dévorer des friandises à l'air délicieux. Les sons ne parvenant qu'étouffés aux creux de ses oreilles, elle n'aurait su dire avec précision ce que les deux pouvaient bien se dire, mais il lui semblait bien que la plus jeune s'extasiait devant les scones et autres biscuits qui s'étalaient sur l'étal où était présenté des délices aux milles nuances, sa génitrice riant avec douceur devant la joie évidente de l'enfant.

Déglutissant, elle détourna son attention de la petite scène familiale, tombant sur l'extravagant gérant de la boutique. Il était à l'image de son commerce : sa tenue bariolée était aussi impossible à rater que l'environnement dans lequel elle évoluait. Leurs regards se croisèrent pendant un instant avant qu'il ne reporte son attention sur de nouveaux clients, et, pendant un moment fugace, elle eut l'impression que l'Enchanteur lui avait adressé un sourire, à elle, l'Invisible. Sûrement avait-elle rêvé, car depuis sa bulle de silence, jamais personne ne la remarquait. Elle était comme un fantôme : elle regardait ce beau monde aux teintes polychromes piégée dans son cocon fait de noir et blanc où jamais rien ne s'était passé et où rien ne le pourrait jamais. La fatalité.

Un flocon artificiel tomba sur son bras dénudé, laissant de marbre la peau de porcelaine de cette demoiselle immunisée contre les sensations. De ses yeux sans fonds et blafards, délicatement peinturlurés, elle fixait inlassablement les clients heureux qui passaient devant sa vitrine sans même la remarquer, la laissant figée dans le temps, simple bibelot décoratif et inaudible. Mais elle.. Comme elle était seule, la petite ballerine mécanique qui contemplait le monde depuis la bulle de verre de sa boule à neige.

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