Chapitre 8

6 minutes de lecture

  Le rendez-vous pris la veille au soir fut honoré le lendemain. Mr Brown visita la demeure que Mr Cooper proposait de lui louer. Il avait un peu diminué le standing de la bâtisse lorsqu'il l'avait proposée à Mr Brown. Il ne s'agissait pas d'une lodge, mais d'une demeure typique de la petite gentry, rustique et peu entretenue. À l'avant de la maison se trouvaient des rosiers en fleur qui séduisirent tout de suite Mr Brown : ils lui faisaient repenser à son enfance auprès de sa mère qui avait été fort heureuse. C'était, à n'en point douter, un lieu peu adapté à un homme de sa classe, mais le vent y soufflait rarement et les pièces de vie étaient orientées au Sud, ce qui rendait la demeure suffisante pour les besoins de Mr Brown.

  Le prix fut entendu et les clés données à Mr Brown. Mrs Cooper fut ravie d'apprendre la merveilleuse nouvelle. Qu'il vînt s'installer tout à côté de leur maison et de ces filles, était une chance inouïe qu'elle ne comptait pas laisser passer.

  Les deux gentilshommes se dirigèrent vers la maison de la famille Cooper pour y récupérer le matériel de pêche, ainsi qu'il était convenu. Mais, au grand dam de Mr Cooper, il ne put trouver qu'un set de pêche. Il dut s'en excuser auprès de son invité, qui lui proposa de se rendre tout de même à l'étang où ils taquineraient à tour de rôle le poisson.

  L'étang de Mr Cooper lui appartenait en propre et se trouvait à quelques pas de la maison, à l'abri d'un saule pleureur. L'endroit était extrêmement calme, seuls se faisaient entendre les oiseaux et la course du vent sur les feuilles du majestueux arbre. À mesure qu'ils approchaient du point d'eau, ils distinguaient une silhouette qui paraissait être elle-même en train de pêcher.

  — Vous ne m'aviez pas dit que vous aviez convié un ami à cette partie de pêche.

  — Aussi loin que je me souvienne, je n'ai convié personne d'autre que vous.

  — Alors, c'est certainement du braconnage.

  — Pensez-vous que se puisse être un de ces gitans qui se sont installés ces derniers jours dans le comté ?

  — Ce n'est pas impossible. J'ai moi-même été témoin du vol d'un cheval par l'un d'eux à une femme. Quoique j’ai rencontré certains d’entre eux et qu’ils étaient tout à fait courtois.

  — Oh mon Dieu, c'est atroce !, compatit-il en ne faisant pas cas de la seconde réflexion de son interlocuteur.

  — Non, non, ne vous en faites par pour elle. Elle le méritait. Elle s'est avérée être une jeune fille peu avenante, dit-il en esquissant un sourire pour lui-même.

  — Les femmes sont de plus en plus mal éduquées de nos jours, souligna Mr Cooper.

  — Tout à fait, mon ami. Les hommes de bonne qualité sont désormais peu nombreux à pouvoir se féliciter, comme vous, d'avoir des jeunes filles si bien éduquées !

  — Je suis bien d'accord avec vous. Je dois vous dire que je crains que l'individu devienne violent lorsqu'on le prendra en train de braconner.

  — Revenons sur nos pas. Je vais récupérer ma monture, vous resterez chez vous le temps que j'éloigne ce malotru. Je viendrai vous retrouver lorsque tout ceci sera réglé. J'en fais mon affaire.

  Les deux hommes s'en retournèrent et exécutèrent le plan qui venait d'être décidé.

  Lorsque Mr Brown s'approcha un peu plus du présumé voleur, il distingua une femme. Il comprit vite qu'il ne s'agissait pas d'un voleur. Il s'approcha au galop de la jeune femme et s'arrêta volontairement au dernier moment devant elle, assez brusquement.

  — Est-ce une habitude pour vous de manquer de renverser les gens avec votre cheval ?

  — Non, seulement ceux qui m'écrasent le pied en public.

  — J'aurais pu m'excuser de ma maladresse, mais il m'est très pénible de repenser à un instant où j'ai peut-être perdu toute valeur à vos yeux, dit-elle d’un air faussement ingénu. Et puis, cet évènement appartient au passé, il faut savoir aller de l'avant.

  — Je vous donnerais raison si j'étais convaincu que vous étiez maladroite, mais je n'y suis pas disposé. Une si bonne cavalière ne peut pas ne pas savoir danser.

  — Serait-ce un compliment ?

  — J'imagine que je n'ai pas de scrupule à reconnaître les qualités évidentes des personnes, même chez celles qui en ont le moins.

  — C'est très délicat de votre part, monsieur.

Elle haussa soudainement les sourcils.

  — Mais comment me savez-vous bonne cavalière ?

  — Vos exploits à cheval font l'objet de quelques conversations au village. J'ai eu vent hier soir de vos escapades à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit à dos de cheval, en amazone, sans selle et au galop qui plus est. Je suis certes un homme, mais je sais que cela constitue un exploit. Si j'admire votre façon de monter, sachez néanmoins que je suis bien le seul.

  — Puis-je vous conseiller de vous rendre dans le petit salon ?

  Il l'interrogea du regard.

  — Vous ne trouverez pas ma sœur ici. Elle est sûrement en train de flâner sur le fauteuil en faisant semblant de broder une énième fleur.

  — Permettez que je vous demande pour quelles raisons je vous trouve occupée à pêcher plutôt qu'à réaliser un ouvrage typiquement féminin ? Je veux dire, ne devriez-vous pas, vous-même, être en train de broder une fleur ou un oiseau sur un mouchoir ?

  — Personne ne peut me contraindre à faire une chose que je ne désire point faire.

  — Je vais pourtant devoir m'y risquer. Votre père et moi devions pêcher tandis que vous monopolisez le matériel.

  — Il me semble bien me souvenir qu'il y a deux cannes, vous n'aurez qu'à en partager une.

  Andrew jeta un œil autour de Swan.

  — Je ne vois aucun panier, êtes-vous si mauvaise pêcheuse que vous ne prenez pas la peine de prévoir un contenant pour y mettre vos prises ?

  — Je ne pêche que pour le plaisir, je relâche ensuite le poisson.

  — Quelle drôle d'idée ! Allons, cessons de bavarder et donnez-moi cette canne à pêche, déclara-t-il en même temps qu'il tentait de s'en saisir.

  — Il n'en est pas question ! s'écria Swan en tirant la canne à elle. Lâchez cette canne où je me verrai obligée de vous mettre à l'eau.

  Andrew ôta sa main de la canne à pêche et se recula de deux pas, troublé.

  — Pardonnez-moi, mademoiselle.

  — Pouvez-vous préciser ce que je suis censée vous pardonner ? Il y a tant d'affronts, monsieur, que vous auriez à vous faire pardonner.

  — Vous parlez avec beaucoup d'aplomb et de liberté pour une femme de votre âge et de votre condition.

  — J'en conviens, mais si Dieu m'a faite avec un libre arbitre, c'est encore pour que je m'en serve.

  — Vous n'avez pas l'air d'être femme à se plier aux dogmes de l’Église avec le dévouement que celle-ci requiert. Pourquoi alors dissimuler un mauvais caractère par des arguments théologiques ?

  — Vous n'êtes pas sans savoir que les hommes ne sont disposés à donner raison à une femme que lorsque l'argument les transcende. Une chance que la vanité humaine ait pour borne le Seigneur, sur lequel on peut faire peser toute sorte d'attentes, tant qu'elles servent notre propos.

  Mr Brown resta interdit et se contenta d'adresser un signe de tête à la demoiselle avant de tourner les talons. Si le caractère libre et impétueux de Swan était considéré comme une mauvaise chose, elle disposait du pire défaut qu'une femme pouvait posséder : l’intelligence. Si elle avait au moins eu la décence de cacher son intelligence, la gent masculine lui aurait pardonné ses affronts, mais elle avait le culot d'user de répartie. Néanmoins, l’attitude de Swan, loin de choquer ou d’effrayer le jeune homme, avait eu pour effet de le captiver, il était sincèrement intrigué et admiratif du caractère si peu commun de cette dernière.

  Quand il eut rejoint Mr Cooper, il expliqua à celui-ci que celle qu'ils avaient prise pour un braconnier n'était personne d'autre que Swan. Afin d'éviter de se retrouver de nouveau en compagnie de la jeune femme, il proposa au gentilhomme de repousser la partie de pêche, prétextant que le ciel se couvrait. Pendant ce temps, Swan, qui avait réussi à repousser cet homme qu'elle jugeait exécrable, estimait qu'elle avait atteint son objectif et pouvait s'en aller. Elle partit récupérer son cheval et pendant qu'elle était affairée à l'écurie, elle ne vit pas partir Mr Brown avant elle.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Elisabennet ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0