Chapitre 29

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  Bien mal prit à sir Brown de vouloir révéler ses sentiments à Swan ce même jour, quelques heures seulement après les révélations mensongères de Miss Annabella Kensington. Pour des raisons évidentes, Miss Cooper ne lui avait pas rendu visite, ce qui inquiéta grandement sir Brown. Il craignait qu'elle fût tombée malade, compte tenu des températures glaçantes qui frappaient le pays.

Ne pouvant se résoudre à trouver le sommeil à cause d'une imagination débordante, sir Brown quitta sa demeure et se rendit à pied chez les Cooper. Il était tard, pourtant, une lumière brillait à travers une vitre. C'était Swan, elle s'était assise au bord de sa fenêtre et admirait la nature gelée pour calmer la peine qu'elle éprouvait. Au travers de la brume, elle distingua une silhouette qui la fit sortir brusquement de sa torpeur. Qui pouvait bien marcher dehors par un froid pareil ? Dans la pénombre la silhouette semblait flotter, elle était entourée d'un halo bleu, dans une apparence quasi spectrale. Elle pensa un court instant à un esprit puis, reconnut sir Brown. Le gentilhomme l'aperçut au même instant et lui fit un signe de la main, auquel il n'eût pas de réponse. Swan s'éloigna de la fenêtre. Sir Brown attendit qu'elle réapparaisse mais elle ne reparut pas. Au contraire, la lumière s'éteignit et, quand ses mains furent trop engourdies par la froidure de l'air, il dut rentrer chez lui.

  À la première heure du jour, sir Brown se présenta chez les Cooper. Il n'eut pas à demander un entretien seul à seul avec Swan, Mrs Cooper présuma qu'il venait encore pour parler d'un livre avec sa fille. C'est donc tout naturellement qu'elle lui suggéra de l'attendre dans la bibliothèque.

  Quand Swan se présenta à la demande de sa mère, sir Brown aurait dû remarquer l'air peu avenant de la jeune femme ou ses traits fatigués par les pleurs. Néanmoins, l'entrain du gentilhomme l'avait empêché de voir la déception dans les yeux de celle qu'il aimait tant.

  — Miss Cooper, je voudrais que vous sachiez que depuis que je vous ai rencontrée vous avez toujours été un pilier pour moi. Même quand je fus parti à Londres des semaines, vous n'avez pas quitté mes pensées une seule seconde. Votre position quant au mariage ne m'est pas inconnue, c'est d'ailleurs celle-ci qui m'a retenu de vous confesser l'intensité des sentiments qui m'habitent depuis si longtemps. Pourtant, j'ai l'espoir que vous ayez changé d'avis quant au mariage. Votre comportement et votre regard envers moi ont, ainsi que mon orgueil me porte à le croire, évolués favorablement. Je vous aime et je désire plus que tout ne plus passer une seconde de ma vie loin de vous et sans la certitude de votre amour, déclara-t-il les yeux pleins d'espoir.

  — Vous moquez-vous de moi, sir ? s'inquiéta Swan.

  — Non… non ! Je vous fais l'aveu sincère de mes sentiments, répondit-il abasourdi par la méfiance de la jeune femme.

  — Croyiez-vous que je voudrais un jour passer ma vie entière sous le joug d'un même homme ? Un homme sans principes ni valeurs, qui plus est ? Croyiez-vous que j'allais me réjouir de cette demande ? Que je serai heureuse de vous devoir l'abolition de ma liberté ? Que je serai capable d'aimer un homme tel que vous ? dit-elle dans une salve d'autres questions tout aussi offensantes pour sir Brown. Loin de vous aimer, je nourris une haine profonde pour les personnes de votre espèce. Je regrette d'avoir été votre amie ces mois durant et d'avoir perdu mon temps en votre compagnie.

  — Je vois, chuchota-t-il bouleversé. Je m'excuse de vous avoir insultée par l'aveu de mes sentiments. Je n'ai rien à ajouter et ne puis promettre de changer une nature sur laquelle je n'ai aucun pouvoir. Il ne me reste plus qu'à me retirer, vous assurer que jamais plus je ne m'imposerai à votre vue, puisque cela semble vous incommoder, et que je ferai tout ce qui m'est possible pour vous oublier.

  Il remit sur sa tête le chapeau qu'il avait coincé sous son bras le temps de sa déclaration et partit sans délai. Bien qu'il n’eût pas compris la cause de l'antipathie flagrante dont Swan semblait souffrir à son encontre, il avait écouté les griefs qu'elle avait à lui faire avec toute l'humilité du monde. Il aurait été naturel qu'il s'emportât contre elle, blessé par de pareilles insultes, plus encore lorsqu'elles sont adressées par une personne inférieure à son rang ; il n'en fut rien. Il n'avait pas l'âme à éprouver la moindre violence à l'endroit de Swan, si ce n'est celle de son amour, et encore moins à en faire preuve. Il avait simplement été giflé, prit en plein cœur par les mots qu'elle lui avait infligés. Elle lui avait donné matière à se torturer lui-même pour les deux années à venir.

  Le lendemain, Amber qui était rentrée plus tôt que prévu d'une visite à une amie, surpris sous son toit son mari avec son amante. La scène dont elle fut brièvement spectatrice laissait peu, pour ne pas dire pas, de place au doute. Après quelques secondes à rester interdite, elle fut prise d'une rage sans limite. Elle cria toutes les injures qu'elle connaissait à son époux et fondit sur Annabella à moitié dévêtue, elle la saisit par les cheveux et la tira jusqu'en dehors avec une force inouïe. Tout le voisinage eut le malicieux plaisir de contempler la jeune et fière Annabella couverte de honte, parader à demi habillée dans les rues du village pour regagner la demeure de sir Brown et d'écouter les jeunes mariés Faraday hurler pendant des heures.

  La paix ne put être trouvée entre les deux, et Amber quitta le domicile conjugal pour se réfugier chez ses parents, en larmes. Elle dut supporter la difficile besogne de tout leur raconter. Elle trouva, dans un premier temps, du réconfort auprès de ses parents, puis, avec plus de lucidité, ils lui conseillèrent vivement de ne pas tarder à retrouver son mari et faire comme si de rien n'était. Mrs Cooper rappela à Amber qu'elle n'avait pas d'autre choix que de passer le reste de sa vie aux côtés d'Edward, que le départ d'Annabella n'était qu'une question de temps, et que tout finirait par rentrer dans l'ordre. Ces paroles qui se voulaient les plus rassurantes possibles, eurent tout l'effet inverse : elles portèrent la pauvre Amber à s'effondrer en larmes, misérable, sur le sofa. On l'obligea à sécher ses larmes. Elle reconnut un seul véritable soutien du côté de sa sœur, qui se priva bien de lui faire remarquer qu'elle l'avait mise en garde ou qu'elle s'abstiendrait bien, quant à elle, de faire la même erreur en se mariant. Au contraire, Swan partageait sincèrement l'affliction de sa sœur.

  — Maman, Amber peut rester ici au moins pour la nuit. Son cher mari s'est bien passé de sa présence dans leur lit jusque-là, il ne s'en offusquera pas pour cette nuit. Ne vous préoccupez pas plus de ce que les voisins pourraient en penser, tout le monde est déjà au courant. Vous n'aurez à tout le moins pas à vous préoccuper de la dissimulation de la vérité.

  Mrs Cooper avait été, elle aussi, très touchée par le sort de sa plus jeune fille, mais les nécessités de la vie la poussaient à écarter, tant qu'elle le pouvait, les sentiments et faisait primer la raison. Elle accepta néanmoins qu'Amber passât la nuit chez eux.

  Lorsque sir Brown apprit qu'Annabella s'était déshonorée publiquement, il saisit l'occasion pour se défaire de tout lien qui avait été présumé entre eux et pour se délester de sa présence. Il la fit appeler dans le grand salon en début de soirée, lui annonça qu'elle était perdue et qu'il lui faudrait quitter au plus vite le village pour que tout soit oublié et qu'elle eût une chance que la nouvelle ne fût pas connue jusqu'à Londres. Il lui demanda de se presser pour faire sa malle, qu'il avait chargé les domestiques de préparer la berline qui la conduirait jusqu'à mi-chemin et que, de là, la voiture de poste prendrait le relai. Annabella tenta de faire changer sir Brown d'avis, arguant que cela n'était rien, que le scandale passerait bien vite et que personne ne croirait qu'elle se fut compromise avec un homme de si peu de vertu.

  — Détrompez-vous, les gens ne sont que peu enclins à pardonner les inconduites des jeunes filles, que la rumeur soit vraisemblable ou non. Vous êtes la sœur d'un ami et pourtant je ne puis me résoudre à vous aider. J'ai appris récemment que l'on avait des choses à me reprocher alors même que je pensais ma conduite irréprochable. Que penserait-on de moi si je démentais, envers et contre tout, ce que tout le monde a vu de ses propres yeux ? Pourquoi devrais-je vous aider ? Au nom de l'amitié que j'ai pour votre frère ? Cette amitié que vous avez piétinée en ridiculisant Miss Amber qui était votre amie adorée ? Je refuse de vous aider dans votre projet immature et égoïste. Que la déchéance sociale, qui ne saurait tarder de vous frapper, vous serve de leçon. Partez préparer vos affaires et quittez les lieux au plus vite.

  Annabella fondit en larmes, s'écroula aux pieds de sir Brown et le supplia de ne pas l'abandonner. Le jeune homme resta de marbre, voulant agir justement. Annabella se releva pour s'attacher au cou du jeune noble. Elle le supplia de plus belle en reposant sa tête sur son épaule.

  — Par pitié ! Je vous en supplie ! Épousez-moi ! Sauvez mon honneur !

  — Vous auriez dû penser à votre honneur plus tôt. Vous ne méritez pas que je me lie à tout jamais à vous, je ne vous dois rien.

  — Diable ! Vous êtes cruel ! Je n'ai jamais vu si peu de cœur en une personne ! répondit-elle, pleine d'amertume avant de quitter la pièce.

  Le départ à la cloche de bois d'Annabella ne suffit pas à faire taire la rumeur, on se délecta au village de ce bon souvenir des mois durant. La rumeur enfla tellement que Mr Kensington n'eut pas d'autre choix que de faire entrer sa sœur au couvent. Son frère dut faire une importante donation à l'institution lorsque l'on découvrit qu'elle avait dissimulé son état. Elle mit au monde dans le plus grand secret un enfant. Sir Brown comprit alors que les supplications qu'elle lui avait adressées avant son départ n'avaient pas eu seulement pour but de faire taire la rumeur, mais aussi de dissimuler une grossesse illégitime qui ne lui était alors pas inconnue.

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