Chapitre 38

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  Sans en avoir concerté Swan, Mr Lloyd prit l'initiative d'envoyer deux plis, l'un à l'intention d'Amber et le second à destination de sa meilleure amie, Jane. Il les informa que la situation pécuniaire de deux femmes n'était plus aussi alarmante qu'elle le fut un temps, et qu'elles pouvaient à présent leur écrire à leur guise. Les correspondances ne se firent pas attendre. Le prix de la réception de chaque courrier fut assumé par Mr Lloyd, bien que Swan eût tenté de l'en dissuader, il dut alors lui expliquer qu'il était l'instigateur de ces missives.

  « Mr Lloyd, vous n'avez de cesse de faire des choses qui devraient blesser mon orgueil, mais cela me semble déraisonnable. Vous êtes trop bon envers nous. », prononça-t-elle avec ses lèvres et cria-t-elle avec la joie dans ses yeux.

  La première lettre qu'elle reçut était de Jane. Elle lui faisait part de ses inquiétudes tous ces mois passés sans nouvelle. Elle lui demandait de lui écrire le plus vite possible pour l'informer de leur état de santé, lui dire si le local leur apportait suffisamment de confort. Elle ajoutait que Swan ne devrait pas hésiter à lui demander n'importe quel service, qu'elle était disposée à le lui rendre. Elle conclut sa lettre en certifiant à sa destinataire qu'elle n'avait jamais passé un jour sans avoir une pensée pour elle. Cette lettre, aussi courte et simple fut-elle, attrista le cœur de Swan, touchée par tant de sympathie et d'amour de la part d'une amie, accablée de se savoir loin d'elle et séparée, peut-être à jamais, de cette âme qui lui était chère.

  La seconde missive arriva deux jours plus tard. Elle émanait d'Amber. Le texte était bien plus long. Swan hésita longuement à informer sa mère qu'une lettre de sa sœur leur était parvenue.

  « Chère Maman, Chère Swan,

Vous me manquez plus que je ne saurais le dire. Pourtant, je vous en veux plus qu'à quiconque. Pourquoi ne pas m'avoir avertie de la prison qu'était le mariage ? Pourquoi ne jamais m'avoir mise en garde sur la cruauté de la gent masculine ? À mesure que j'écris ces lignes, je réalise à quel point je suis injuste envers vous. Swan, je vous demande pardon. Vous m'aviez mise en garde contre lui, je n'ai pas voulu vous croire, je me suis entêtée, et voilà que je suis perdue à jamais. Médiocre et malheureuse. Bannie du bonheur pour l'éternité, mariée à la solitude. Me voilà bien punie d’avoir moqué votre passion pour la lecture ! Vous avez pu jouir des mises en garde dont les romans sont emplis et prendre conscience de la véritable nature d’Edward.

La lettre que Mr Lloyd m'a fait parvenir pour m'informer que je pouvais enfin vous écrire m'a sortie de ma torpeur. Je dois donc vous informer que j'ai donné naissance à une petite fille. Elle a désormais deux mois. Elle s'appelle Julia et se porte pour le mieux. Elle a eu le seul malheur de naître parmi les êtres du sexe faible, ce qui lui vaut aujourd'hui autant de considération par son père qu'il m'en porte. J'aurais éprouvé une joie immense à vous la présenter si seulement il m'autorisait à quitter la maison. C'est à peine si je peux sortir dans le jardin sans m'entendre dire que je suis une moins que rien, il me semble donc bien difficile — pour ne pas dire impossible — de le convaincre de me laisser partir seule avec l'enfant dans la plus vaste ville du pays.

Peut-être devrais-je reprendre du début, car j'imagine que vous ne devez comprendre que peu de choses à ma situation. Dès votre départ pour la capitale, Harry et Edward sont devenus les meilleurs amis que l'on ait vus. Et même si, aujourd'hui je ne doute plus qu'Edward ait toujours eu un mauvais fond, la rencontre avec notre frère a fait un mélange détonant. Je crois ne pas l'avoir vu sobre en l'espace de près d'un an. Dès lors, sa vie n'a été que débauche. Je ne sais pas grand-chose de ces activités en dehors de la maison, mais je l'ai surpris avec une femme dans un feuilleton devant notre demeure. Il ne se donne pas même la délicatesse de se dissimuler devant sa femme. Chaque fois que j'ai voulu lui demander de respecter ses vœux de fidélité, il m'a rétorqué que tous les hommes agissaient ainsi. Je sais qu'Harry est de la même espèce que lui, mais je sais aussi que c'est pour cela que nous n'avions plus de contact avec lui. Je sais, au fond de moi, que la situation n'est pas acceptable, cependant, je suis pieds et poings liés. Lorsque je lui ai annoncé que je portais son enfant, il s'était d'abord réjoui de la nouvelle ; il avait quasi retrouvé sa véritable nature, mais il s'est avéré qu'il n'en avait que l'apparence. Il avait bien des égards pour moi et je commençais seulement à être rassurée quant à l'avenir lorsque mon état apparu indéniablement. Il fut ensuite convaincu qu'il n'était pas le père de l'enfant et qu'il serait une fille. Ses dissimulations trouvèrent ensuite leur terme et je fus alors perdue.

Je le déteste de tout mon être ! Vous devez être bien étonnées de lire cela. Il est vrai que j'ai longtemps pris son parti, tant l'amour avait aboli mon jugement et mon bon sens. Cependant, il n'y a pas une insulte, un déshonneur qu'il m'ait évité durant tous ces mois de vie commune, de sorte qu'il n'est pas possible de lui prêter le moindre trait humain. Il est un monstre, un cruel vampire qui m'ôte toute énergie et toute force de vivre.

J'éprouve des difficultés à contenir mes larmes tant l'émotion me submerge en vous exposant ma situation. Que je suis ridicule ! Que tu dois rire, Swan, en lisant mes mots ! Tu avais raison. J'avais tort.

J'ignore combien de temps nous pourrons rester dans notre demeure, car les créances d'Edward s'accumulent et toutes ses prières pour que son père passe l'arme à gauche n'auront pas raison de la situation. Je suis au désespoir. Il m'a demandé de vous écrire pour vous demander votre adresse. Il désire que nous venions nous installer chez vous. Je crains qu'il ne compte vous exploiter pour continuer de vivre sa vie de crapule. C'est pourquoi je dois vous demander de ne pas répondre à ce pli.

Je dois vous quitter, je crois avoir entendu le phaéton sur les graviers. Il arrive.

Avec mon amour,

Amber »

  Swan dut s'asseoir en lisant les dures paroles de sa sœur. Elle avait partagé les larmes que sa sœur avait certainement versées elle aussi en écrivant sa lettre. Le cœur de Mrs Cooper manqua de lâcher lorsque Swan lui en fit la lecture. Les mises en garde de cette dernière ne furent pas suffisantes. Swan parvint bien plus rapidement que sa mère à retenir ses larmes. Elle tenta de la consoler en dressant à voix haute le portrait qu’elle se figurait de la petite Julia, sa nièce, en vain.

  Bien que ses joues fussent sèches, Swan ne pouvait contenir son affliction, si bien que lorsque Mr Lloyd se présenta chez elles, il ne tarda pas à remarquer le désarroi de la jeune femme et les flots de larmes de sa mère. Lorsqu'elles eurent toutes deux retrouvé leurs esprits, Swan expliqua à leur visiteur la raison de leur désarroi. Il fut autorisé, après en avoir fait la demande, à lire la correspondance et à la conserver. Swan était soulagée de lui confier le pli pour qu'il l'emporte loin de sa vue, donnant un air de confusion aux mésaventures d'Amber. Elle ne prit pas la peine de lui demander ce qu'il comptait en faire, tant elle s'en sentait plus légère.

  Swan continuait de chercher un emploi, elle faisait du porte-à-porte pour proposer des travaux de couture. Sa persévérance n'eut aucun bénéfice. Elle ne se vit offrir aucune place nulle part. Heureusement, elle pouvait compter sur le soutien financier de Mr Lloyd et les quelques économies qu'elle était parvenue à faire.

  À l'occasion d'une de ses visites quasi quotidiennes, Mr Lloyd apporta un paquet. Il le déposa sur la table, sous le regard interrogateur de la jeune femme. Elle n'eut pas le temps de refuser d'office la moindre attention supplémentaire de sa part que sa mère la balaya brusquement d'un revers pour se jeter en direction de la table.

  — À qui est adressé ce somptueux présent ? demanda Mrs Cooper d'un ton enfantin.

  — Il est pour Miss Cooper, si elle l'accepte, bien entendu.

  — Pour sûr ! s'exclama Mrs Cooper, elle n'aura pas l'audace de refuser.

  — Au risque de vous blesser, monsieur, il me faut vous remercier pour cette attention et vous rappeler que vous avez toujours été trop bon avec nous, et que, par conséquent, je ne puis accepter un geste de plus de votre part.

  Mr Lloyd ouvrit la boîte et en sortit une robe verte, ornée de détails dorés, très élégante et délicate.

  — Ne vous plaît-elle pas ?

  — Oh si ! Elle est ravissante ! Mon objection à l'accepter ne tient pas à la beauté de la robe, mais à votre empressement à notre égard.

  — Mais il ne s'agit pas simplement d'une robe…, répondit-il.

  — Il y en a une deuxième ! s'exclama Mrs Cooper en coupant la parole au gentilhomme.

  On ne fit pas cas de cette interruption.

  — Et de quoi s'agit-il alors ? demanda Swan, intriguée.

  Mr Lloyd ne répondit pas à la question de Swan. Il lui demanda de lui faire confiance, de passer la robe et de quitter sa mère pour la matinée. La curiosité poussa Swan à s'exécuter. Une fois prête, ils montèrent dans le cabriolet de Mr Lloyd et parcoururent une assez courte distance pendant une dizaine de minutes.

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