Épilogue
Cachée derrière un buisson aux branches nues, Tïashu scrutait les arbres qui bordaient la forêt. Il y eu un mouvement derrière-elle et elle se retourna. Quelque chose lui toucha l’épaule :
- Touchée ! ricana Shino.
- Mais c’est pas juste ! T’as triché !
- N’importe quoi, j’ai suivi tes règles !
- C’est faux ! T’as triché ! Je te parles plus !
- Allez, on rentre : Karü doit être revenu de la chasse.
Tïashu le suivit en boudant et ils s’installèrent à table dans la petite maison où Karü préparait à manger.
- Bonjour monsieur ! s’exclama Tïashu en lui sautant dessus.
- Salut, toi ! répondit Karü en la repoussant gentiment.
- Qu’as-tu préparé ? demanda Shino tandis que Tïashu mettait la table en sautillant.
- J’ai essayé de faire la même chose que ce que tu as fait. Inutile de te dire que c’est moins bon.
Shino sourit.
- Ne te moque pas ! J’ai vraiment essayé ! Après, je n’ai jamais cuisiné quoi que ce soit donc bon…
- Il faut bien un début à tout. Et sinon, as-tu des nouvelles d’Hângä ?
- Oui, elle sera là d’ici une vingtaine de jour, je crois.
- Parfait. Donc elle va bien.
- Oui. Mais Haîpé, enfin…bref, lui, il est mort. Assassiné par un soldat de Netu, si j’ai bien compris. Sans vouloir manquer de respect à ma sœur, c’était un parfait crétin ! S’en prendre ainsi à toi ! Il n’a eu que ce qu’il méritait !
Shino ne répondit pas. Tïashu les informa que la table était mise et ils s’installèrent pour manger. Visuellement, le plat que Karü avait préparé n’avait pas l’air appétissant. Tïashu refusa d’y toucher. Shino goûta et apprécia ce plat à tel point que leur petite protégée daigna en manger. Elle remercia Karü et fila lire un livre.
- Tu trouves vraiment ça bon ? s’inquiéta Karü.
- Non, tu pourrais faire un effort ! railla Shino, amusé.
- Ah…pardon…
- Eh ! Je rigole ! C’est très bon, Karü, je t’assure ! s’exclama Shino, sur un ton d’excuse.
Karü amorça un mouvement pour donner une petite tape sur la joue de son amant mais se ravisa. Il lui était impossible de lui faire mal, même pour de faux. Au lieu de cela, Karü soupira et étreignit Shino.
Tïashu revint quelques minutes plus tard avec son livre et s’installa sur les genoux de Karü, tendant son ouvrage à Shino. Elle le regarda et dit :
- Lis !
- Et le mot magique ? répliqua Karü en souriant.
- S’il-te-plaît, monsieur Shino !
Shino ouvrit le livre et commença à lire. Le soir arriva bien vite, dans la joie et la bonne humeur. Cette fois, Karü, Shino et Tïashu préparèrent ensemble le repas. Tïashu alla se coucher puis Karü et Shino sortirent.
Ils restèrent devant l’entrée de la maison, assis sur un talus de bois. Shino somnolait. Karü insista pour qu’ils rentrent, mais son compagnon refusa. Il se leva et s’assit sur la neige. Karü et Shino regarderaient le ciel étoilé, à présent dégagé, dans lequel fusaient d’immenses boulets enflammés qui s’abattaient sur les villages alentours. Ils restèrent ainsi durant une heure, puis Shino daigna se lever pour rentrer.
Karü s’allongea sur le lit, épuisé malgré le peu d’effort que lui avait demandé la semaine qui venait de s’écouler. Shino le rejoignit bien vite, mais ne l’approcha pas. Il regardait vaguement le plafond, perdu dans ses pensées. Lorsqu’il revint enfin à la réalité, Karü s’était endormit, blottit contre le ventre de Shino. Ce dernier s’endormit également bien assez vite.
Le lendemain et les jours qui suivirent furent assez calme. Il n’y eut pas de bruit sourd annonçant la destruction de quelques bâtiments, et aucun cri ou pleurs. Quant à Tïashu, elle semblait s’être faite à l’idée que ses parents ne reviendraient pas. Shino avait l’impression qu’elle était devenue comme sa petite sœur, alors que Karü la voyait plutôt comme une espèce de parasite ambulant ou un pot de colle bipède.
Shino s’allongea dans la neige aux côtés de Tïashu. Karü était resté à l’intérieur. La neige tombait, les flocons s’écrasaient sur les visages gelés de Shino et Tïashu ; le toit de la chaumière était couvert d’un épais tapis immaculé. Au loin, le soleil se couchait sous les nuages menaçants d’un hiver qui s’annonçait éternel. La cheminée de la maisonnette fumait d’un nuage gris montant rejoindre l’azur.
- Monsieur Shino ? demanda Tïashu.
- Oui ?
- C’est qui Hângä ?
- Hângä ? C’est la sœur de Karü.
- Monsieur Karü a une sœur ?! Je savais pas ! Et t’es jaloux de la sœur de monsieur Karü ?
- Non, pourquoi serais-je jaloux ?
- Parce que la sœur de monsieur Karü a l’air de prendre beaucoup de place dans le cœur de monsieur Karü ! T’as pas peur qu’elle te vole monsieur Karü ?
- Non, bien sûr que non. C’est sa sœur après tout. Même s’il est vrai que je n’aime pas le prêter ! s’exclama Shino, amusé.
- Prêter quoi ? demanda Karü qui les rejoignit dans la neige, s’allongeant aux côtés de Shino.
Shino ne répondit pas, rouge jusqu’aux oreilles, il fit comme s’il n’avait pas entendu, mais Tïashu répondit :
- On parle de toi, monsieur Karü, et de ta sœur !
- Et prêter quoi du coup ? insista Karü.
- Et bien monsieur Shino disait que…
- Rien, prêter rien du tout ! coupa Shino, embarrassé.
- Mais si ! Tu disais que tu voulais pas prêter monsieur Karü à la sœur de monsieur Karü ! s’exclama Tïashu.
Karü éclata de rire. Shino, honteux, esquivait son regard. Tïashu rentra dans la chaumière pour se réchauffer.
Karü s’approcha un peu plus de Shino et, le prenant par le menton pour le forcer à le regarder, il lui dit avec un grand sourire :
- C’est vrai ? Tu ne veux pas me prêter à ma sœur ? Tu ne veux pas me partager ?
Shino plongea ses yeux dans les siens. Il le regarda longuement puis répliqua :
- Oui, c’est vrai…je ne veux pas te partager…
- Moi non plus.
- Tu es à moi…
- Je suis à toi.
Shino sourit, rassuré. Karü lâcha son menton et fit mine de se lever, mais se pencha vers lui pour déposer délicatement ses lèvres sur les siennes. Ils se regardèrent un instant puis Shino lui rendit son baiser, et ils rentrèrent se coucher.
Et les jours passèrent, jusqu’à la veille de l’arrivée d’Hângä. Karü, Shino et Tïashu sortirent chasser –Tïashu avait insisté pour venir-. Ils formèrent deux groupes : l’un avec Shino et Tïashu, l’autre Karü. Mais lorsque ce dernier revint à son point de départ les mains vides, son compagnon et leur protégée n’étaient pas là. Karü s’assit sur le sol et attendit. Ses pieds et ses mains commençaient à geler, quand il entendit au loin la voix de Tïashu :
- Monsieur Shino ! Attention ! Là, d…
Sa phrase fut interrompue par un bruit sourd puis Shino cria :
- Tïashu !
Karü courut dans la direction qu’indiquaient les cris et arriva face à une scène désastreuse : Tïashu était au sol, inconsciente, entourée par six hommes masqués, tandis que Shino, armé de son couteau, se battait contre trois autres hommes.
Karü se jeta dans la bataille. Il blessa deux des vingt inconnus et en tua un. Shino, pendant ce temps, tenta de libérer Tïashu, sans succès. Les six hommes qui l’entouraient s’enfuirent avec elle. Dix des douze individus restants les suivirent.
Un des deux hommes assomma Shino, l’autre empêchait Karü de bouger :
- Shino ! Non ! Lâchez-moi ! Shino ! Shino !
Trop tard : un des deux hommes s’enfuyait avec lui. Karü tenta de se dégager.
- Shino !
Incapable de bouger, Karü scandait le nom du Saîovôuntï de Caski, mais son agresseur était déjà bien loin. Shino et Tïashu avaient été enlevé sous ses yeux sans qu’il ne puisse agir, et tout cela à cause de la chasse. Karü retourna sa tête pour voir ennemi et remarqua un V brodé sur son masque avec un fil d’or : le symbole du clan des Vengeurs.
L’homme qui le tenait l’assomma ; Karü ferma les yeux, tout tournait autour de lui, le sang battait dans ses oreilles, l’image de Shino à terre trottai dans sa tête, un liquide chaud sortait de sa bouche et l’arrière de son crâne le faisait souffrir. Il entendit un ricanement, quelques paroles incompréhensibles, quelqu’un qui court puis plus rien.
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