Chapitre 2

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Roderick s’approcha du balcon et s’appuya sur la rambarde pour regarder la ville en contrebas du palais. Rohdaël, capitale d’Ylene, célébrait aujourd’hui le début de la semaine de l’Exode, célébrant la fin de la tyrannie des Dragons et leur départ marquant le début de la Nouvelle Ère.

 Le vent apportait de doux parfums sucrés depuis les rues, allant du caramel à la rubandelle – spécialité de la capitale – aux douces senteurs du jardin royal, se mêlant à un véritable feu d’artifice de couleur : les toits des maisons, les étals du marché, les vitrines des boutiques aux couleurs criardes. L’agitation quotidienne de la ville était fébrilement amplifiée tandis qu’on s’affairait à terminer les préparatifs des festivités.

 Comme pour parfaire cette vision, le temps lui-même semblait participer : le ciel était d’un bleu azur éclatant et pas un seul nuage ne venait perturber son uniformité. Le soleil étincelait et projetait ses doux rayons sur la ville en réchauffant agréablement l’air.

 Pourtant, l’humeur joyeuse de la cité ne parvenait pas à atteindre Roderick, qui fixait la forêt à l’horizon, au-delà des remparts de la ville. Le Roi l’avait fait sortir de sa campagne où il vivait paisiblement pour le convoquer à sa cour. Ce simple geste en disait long sur la situation du royaume. Généralement, on ne convoquait pas un Sorcelame en temps de paix. Car même si les magiciens étaient mal vus, leur puissance devenait soudain bien utile quand il s’agissait d’empêcher que la ville soit mise à feu et à sang. Le reste du temps, ils devaient cacher leurs pouvoirs pour ne pas être persécutés.

 Roderick massa sa main gauche, gantée, tandis que cette réflexion déterrait un mauvais souvenir. Des doigts coupés et hachés, et des gerbes de sang. Il secoua la tête. Ce n’est pas le moment de se souvenir de ça. Il fit volte-face et rentra dans le palais, abandonnant la délicieuse odeur qui régnait dans la ville pour celle, plus piquante, semblable à un mélange de plusieurs parfums exotiques, qui régnait dans le château.

 L’intérieur était loin d’être froid. Le Sorcelame ne pouvait s’empêcher de s’extasier devant la beauté des lieux tandis qu’il arpentait les larges couloirs colorés et éclairés par d’innombrables chandelles. De nombreux serviteurs s’affairaient autour des cheminées pour maintenir une chaleur confortable à l’intérieur tout entier. Le Roi voulait prendre soin de ses visiteurs.

 Roderick descendit un escalier en colimaçon et arriva dans la salle du trône, où siégeait le Roi Merim VII, qui discutait déjà avec quelqu’un. Il avait hérité de la bienveillance et de l’autorité de son père, mais aussi un peu de sa fermeté et sa brutalité. Qui pouvait l’en blâmer ? Les Rébellions Magiques de l’époque de son grand-père étaient encore fraîches dans la mémoire de l’Histoire.

 Le Roi congédia finalement son interlocuteur et fit signe à Roderick d’approcher. Ses traits tirés témoignaient de sa fatigue, remarqua le Sorcelame. Il avait à peine la trentaine, mais ses responsabilités de Souverain lui en donnaient facilement quinze de plus. Roderick s’inclina et attendit que le Roi se lève et lui ordonne de se relever avant de se redresser dans un petit craquement.

 —Roderick Thenos, chevalier royal, magicien, et par-dessus tout Sorcelame, énuméra Merim VII en écartant les bras en signe de bienvenue. Je vous remercie d’avoir répondu à ma convocation.

Ce n’est pas comme si j’avais le choix, ne put s’empêcher de penser l'intéressé.

 —Comme vous le savez, reprit le Roi en baissant les bras, les Sorcelames ne sont convoqués qu’en cas d’urgence extrême. Et malheureusement, il se trouve que vous êtes le seul chevalier-magicien au service d’Ylene.

Après les Rébellions, qui voudrait crier haut et fort qu'il utilise la magie ? Roderick ne répondit rien, attendant qu’on lui donne l'auto­risation de parler. Le Roi se détourna de lui pour retourner sur son trône massif, aux fioritures dorées, symbole de la puissance et la richesse du souverain.

 —Je vais aller directement aux faits : des rumeurs inquiétantes circulent au sujet de la Tour Mystique. Pas seulement parce qu'elle abrite des magiciens. Non, il s’agit d'un nouveau genre de rumeurs.

 —De quoi s’agit-il, votre Majesté ? ne put s’empêcher de demander Roderick, poussé par sa curiosité.

 —On parle d’un Nécromancien. J’ai envoyé des éclaireurs à la Tour. Seul deux d’entre eux sont revenus, me rapportant que les magiciens étaient morts et que la terre aux environs de la Tour commençait à dépérir elle aussi. Les montagnes de la Tour Mystique ne sont plus que désolation, la Nature est fanée et morte comme un éternel automne. Et vous savez comme moi ce que signifie la mort de la Nature.

 —La disparition et la mort de la Magie, répondit Roderick, inquiet. Et si cette… « Contagion » se répand sur tout Ylène, ce n’est pas la Nature seule qui mourra, mais aussi la source de magie qu’elle incarne.

 —Je vois que vous avez l'esprit vif. Comprenez-vous à présent pourquoi j'ai fait appel à vous ?

 —Monseigneur, j'ai peur de ne pas comprendre un point. Si la magie disparaît, ce nécromancien – s’il s’agit effectivement de cela – perdra lui aussi sa magie. Quel intérêt alors à son acte ?

 —Malheureusement, voilà une question à laquelle je ne parviens pas à trouver de réponse. C’est à vous que cela incombe. En tant que Sorcelame, je vous laisse carte blanche pour réussir votre mission. Trouvez ce qui a tué mes éclaireurs ainsi qu’un moyen d’atteindre la Tour Mystique. Déterminez l'origine de la Contagion et détruisez-la. Si vous trouvez le nécromancien, votre priorité sera de le tuer.

 —À vos ordres, votre Altesse, dit Roderick en s’inclinant une nouvelle fois.

 —Avez-vous des questions ?

 —Non, votre Majesté.

 —Alors vous pouvez disposer, ordonna Merim VII avec un vague geste de la main traduisant toute sa fatigue.

 Le Sorcelame fit demi-tour et franchi les portes du palais. Aussitôt, ses narines furent de nouveau agressées par les mille et une senteurs de la ville. S’il avait des questions sur un phénomène magique inhabituel, personne n’était mieux placé qu’Adeline, amie de longue date, et l'une des meilleures informatrices d’Ylene.

 Alors qu’il faisait un pas, un lourd grondement retentit dans ses oreilles et sa vue se brouilla. Roderick couvrit ses oreilles de ses mains, mais cela n’eût aucun effet. Après des secondes qui parurent être une éternité, du bourdonnement se distingua une voix gutturale, rauque et profonde, semblant provenir de partout à la fois, résonnant dans son crâne. Elle répétait un mot, un seul mot, qu'il mit du temps à comprendre.

Korahsyl.

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