15. Lodolite

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Cette pierre harmoniserait les énergies du corps, de l’âme et de l’esprit. Elle permettrait de soulager les douleurs liées aux traumatismes.

°°°

Ce matin-là, Léana se réveille tôt. Elle sait qu’elle ferait mieux de demander de l’aide pour ses exercices de mathématiques ou de contacter ses coéquipiers pour leurs TPE, mais à quelques jours de la rentrée, elle se dit qu’elle a le temps. Large !

Aujourd’hui est un jour spécial. La perpétuation annuelle d’une tradition qu’elle ne raterait pour rien au monde. Elle enfile rapidement une tenue assez chaude pour résister au vent glaçant des montagnes puis se précipite dans la cuisine. Elle a des sandwichs à préparer vu le voyage qu’elle a planifié ! Son faucon d’Air vole dans toute la pièce, ébouriffant à plusieurs reprises les petites boucles de sa maîtresse. « T’es si leeente ! Pourquoi tu mets autant de temps ? », semble-t-il lui reprocher. Il finit par se poser sur le dossier d’une chaise puis huit bruyamment, excité comme une puce.

— Oui, oui ça va, je me dépêche ! s’exclame-t-elle en souriant.

Elle emballe son repas de midi et le jette dans son sac de randonnée dans lequel elle a déjà mis son baudrier, sa corde et le reste de son matériel. Après plusieurs minutes de vérifications, elle envisage un instant d’inviter Kaïs à sa sortie. Il est toujours venu avec moi, même s’il ne faisait que regarder. Elle mordille l’ongle de son pouce. Elle s’est excusée – avec une lettre grasse de sauce piquante, encore une super idée de Madame la Prodige – mais est-ce suffisant ?

Une vibration dans sa poche la distrait. Elle sort son portable et ses sourcils se froncent à la vue du nom sur l’écran. Une vague d’inquiétude naît dans son ventre. Qu’est-ce que…

— Allô ? fait-elle, timide.

— Allô ma puce ? C’est Iris ! s’exclame la voix radieuse de la vieille dame. Dis, on va partir en randonnée avec Hashim, ça te dirait de te joindre à nous ?

Léana regarde son sac rempli de matériel. Elle ne va pas se mentir, elle aurait bien besoin d’un transport. Avec sa forme physique qui décroit de semaine en semaine, elle a prévu deux jours de voyage dont une nuit en tente dans un froid glacial. Elle grimace et soudain, l’idée de perdre un orteil à cause des températures extrêmes lui semble plus réelle qu’il y a dix minutes. Alors, d’un coup de pied, elle vire son habitation de fortune et accepte avec joie la proposition de sa tutrice :

— Je ne suis pas hyper motivée pour une randonnée mais je veux bien que tu me déposes à l’endroit habituel ! Tu sais, le parking près de la highline ? Tu te souviens ?

— Mais bien sûr ! C’est sur notre chemin en plus ! On passe te récupérer dans dix minutes.

Lorsque Léana entend une voiture se garer devant chez elle, son excitation se mêle à une nouvelle angoisse qu’elle ne prend pas le temps d'analyser. Son sac sur le dos, elle ferme brutalement la porte de la maison et dévale les marches de l’escalier. Les rayons du soleil de cette journée qui promet une folle adrénaline caressent son visage pendant qu’elle exhale un soupir satisfait.


Une portière claque.

Elle se tourne vers l’origine du bruit.

Son corps se fige.


Appuyé sur la carrosserie de son SUV, Hashim attend, les bras croisés. Ses longues dreadlocks sont attachées contre sa nuque pour ne pas gêner ses mouvements, révélant un regard améthyste libre de jauger la jeune femme. Léana déglutit difficilement pendant qu’elle observe le coach qui l’a entraînée depuis sa tendre enfance, cette figure paternelle qui l’a rassurée et prise dans ses bras un nombre incalculable de fois, cet homme qu’elle n’a pas revu depuis le jour où Nergal…

— Je suis content de te voir Léana, l’interpelle le quadragénaire en souriant. Ça fait longtemps.

Huit mois. Huit mois qu’elle fuit son coach et la personne qui, avec Iris, l’a tendrement élevée. Alors que l’orage de ses pupilles plonge dans le violet de celles d’Hashim, la culpabilité qui rugit dans ses veines se mélange à l’envie du réconfort des bras de l’adulte.

— Allez, monte ! s’exclame-t-il d’un ton enjoué. N’attends-tu pas ce moment toute l’année, jeune funambule ? On est partis !

Léana acquiesce craintivement et se glisse à l’arrière du véhicule. Elle salue timidement Kaïs qui la gracie d’un vague grognement avant de se tourner vers la fenêtre. Le visage de l’adolescente forme une moue peu convaincue. Mmmh. On va dire que ça compte comme un bonjour.

Pendant qu’Iris discute tranquillement avec le coach à l’avant, Léana risque un coup d’œil vers Kaïs et son air bougon. Il tape furieusement sur son clavier de téléphone, une grimace de rage traversant son visage de temps en temps. La lycéenne plisse les yeux. Tu écris à qui ? Elle hausse un sourcil en le voyant rougir légèrement. Tiens ? Léana insiste discrètement en se penchant un peu plus près. Mais sa tentative d’espionnage se heurte au regard méfiant du blond qui range immédiatement son portable.

— Quoi ? Qu’est-ce que tu veux, bordel ? crache-t-il brutalement.

— C’est Micah ?

— Ça te regarde pas, tronche de cake.

Pff. La jeune femme pose son coude sur le rebord de la portière et appuie sa joue contre sa main. Aussi sympathique qu’une poutre celui-là. Alors que les paysages défilent derrière la vitre, Léana essaye de trouver un point d’ancrage pour son ventre qui ne supporte pas les violentes secousses des chemins de montagne. D’ailleurs, lorsque la voiture traverse une route particulièrement bosselée, son estomac ne tarde pas à se soulever. Oh punaise.

— Alors, on est malade en voiture, face de crêpe ? susurre la voix nasillarde de Kaïs dans son oreille.

— Ferme-la, siffle-t-elle à mi-voix, trop occupée à déglutir.

Le rire moqueur du jeune homme éclate dans la voiture. Au grand dam de Léana qui lui jette un regard hautain avant de se remettre immédiatement face à la vitre. Geste qui ne fait qu’encourager l’hilarité de Kaïs. Je vais lui éclater sa tronche. Finis les questionnements sur notre amitié. Je le déteste.

Enfin arrivés au parking, Léana ronchonne jusqu’à la poubelle où elle enfouit le sachet plastique contenant toute sa honte. Elle croise le regard de Kaïs et sent qu’il se retient de ne pas exploser de rire. Un mot. Un mot et j’le dégomme.

Elle ignore royalement l’air goguenard de son – ex – meilleur ami pendant qu’elle ouvre le coffre de la voiture. Plus de pizza aux excuses pour toi. Elle prend rapidement ses affaires, écoute attentivement Iris lui indiquer l’horaire de leur retour, avant de s’avancer vers la forêt.

Du coin de l’œil, elle remarque son chaton de Feu se frotter à la jambe de Kaïs. Nan mais j’hallucine. La mâchoire de la jeune femme se serre pendant qu’elle désactive sa Maîtrise de Feu. Le matou disparaît dans un miaulement stupéfait. Pas de cadeau pour les traîtres. Elle remet son sac bien en place sur son dos et s’apprête à emprunter un sentier qu’elle connait par cœur quand soudain Hashim l’arrête :

— Léana. Attends. Comment tu te sens… physiquement ?

Son masque de comédienne vexée se brise. La question résonne à l’infini dans son crâne sans qu’elle puisse y répondre. Puis, après un moment, les mots lui viennent.

Faible.

Impuissante.

Emprisonnée dans un corps qui ne m’appartient plus.

Elle lève les yeux vers le visage préoccupé de l’adulte. Ses lèvres s’étirent en un demi sourire mais ses fossettes n’apparaissent pas. Elle lâche un soupir avant de prendre la parole :

— Je vais bien, lui ment-elle, un peu honteusement.

— Ce n’est pas vrai, jeune fille.

La petite rousse baisse la tête en resserrant nerveusement les bretelles de son sac. Pourquoi poser la question si tu connais déjà la réponse ? Une douce brise entoure ses épaules, effleure les mèches courtes sur les côtés de son crâne avant de s’évader vers l’orée du bois, la faisant doucement frissonner.

— Tu t’entraînes de ton côté ?

— Oui, quelques fois.

— Je ne parle pas de tes Maîtrises. Mais de ton physique.

Léana resserre les doigts autour des sangles, ses yeux fermement plantés sur ses chaussures de randonnée. Elle se mord la lèvre comme si cette douleur pouvait museler celle qui brûle dans sa poitrine. J’ai essayé. Je te jure que j’ai essayé.

— Non. Jamais.

— Pourquoi ?

Parce que je n’y arrive pas. J’ai beau remettre l’idée d’aller mieux à plus tard, j’ai peur de ne jamais y arriver. De ne jamais réussir à être heureuse avec cette cicatrice cachée au fond de mon âme.

Parce que je veux oublier. Parce que je veux oublier ce qu’il m’a fait, ce que j’ai pu ressentir. Parce qu’à chaque fois que quelqu’un me touche, je repense à ses mains qui se resserrent autour de mon cou, sa bouche qui se colle à la mienne et à son corps qui m’étouffe.

Parce qu’au fond… je me dégoûte.

— Léana. Si tu perds ta musculature, ton souffle, tes Maîtrises s’effaceront une à une, lui rappelle-t-il, son ton se faisant plus dur. Puis tes souvenirs disparaîtront. Tes souvenirs de moi, d’Iris, de Kaïs. Ces moments qui seront remplacés par des instants complètement fabriqués. Léana…

Sa voix se transforme en murmure. L’émotion contenue dans ce qui n’est plus qu’un soupir brise un peu plus le cœur de la jeune femme. Je sais. Putain. Je ne le sais que trop bien. Un nuage cache le soleil puis son ombre enveloppe le visage de la lycéenne, cachant, pendant un instant, les larmes qui se pressent sous ses paupières. Ses poings se serrent. Elle ne les laissera pas couler. Résiste. Sois forte. Au moins une fois.

— Léana, s’il te plaît. Dis-moi ce qu’il se passe.

Elle secoue doucement la tête, les lèvres serrées. Son regard reste fixé sur ses chaussures. Elle n’ose pas regarder Hashim de peur de découvrir autre chose que de l’inquiétude dans ses yeux. Ses sanglots se bloquent dans sa gorge tels des ronces plantant leurs épines dans sa peau.

Je ne veux pas vous oublier.

Sa voix s’est éteinte, elle ne peut plus articuler quoi que ce soit. Je veux juste faire comme si tout allait bien. Jusqu’à ce que j’arrive à me relever. Elle sursaute quand la main d’Hashim se pose sur son épaule. Elle se dégage brusquement. Si le geste est purement instinctif, elle le regrette immédiatement. Son regard rencontre celui de son tuteur et la douleur qu’elle y lit lui fait l’effet d’un coup de poing dans le ventre.

— Je… je…

Je suis désolée. Elle détourne les yeux, les lèvres tremblantes. Elle aimerait être capable de le rassurer, capable d’accepter une étreinte dont elle a besoin. Mais son corps n’est pas prêt. Son esprit non plus. Tu ne peux rien faire de plus. Va-t’en. Démunie, elle se retourne et prend la direction du sentier qu’elle connaît par cœur. Mais la voix d’Hashim la stoppe net :

— Si c’est ce que tu veux, Iris et moi ne nous y opposerons pas, ajoute calmement le coach dans son dos. Mais ne te cache pas dans la maison de tes parents.

Ces deux phrases, ces quelques mots déverrouillent les chaines enserrant la gorge de Léana. Alors qu’elle s’engage vers le chemin de randonnée, elle exhale un souffle tremblant. Quelques larmes lui échappent.

Elle les efface d’un geste brusque.

OoO

Banquise fumeuse : Désolé de pas avoir répondu l’autre soir. J’étais occupé.

Malpoli éruptif : Est-ce que ça m’intéresse, tronche de gelée ?

Banquise fumeuse : Visiblement oui, vu que tu m’as envoyé cinq messages d’affilée.

Banquise fumeuse :

Banquise fumeuse :

Banquise fumeuse : Tu boudes ?

Banquise fumeuse : Léana m’a appelé par erreur il y a une semaine.

Banquise fumeuse : Je trouve que vous vous ressemblez beaucoup.

Malpoli éruptif : Tch. J’suis pas aussi buté qu’elle.

Banquise fumeuse : Mais oui, c’est certain. Aussi certain que mordre dans un citron est agréable.

Malpoli éruptif : T’es chiant, face de poudreuse.

Banquise fumeuse : Peut-être. Mais tu m’aimes bien.

Malpoli éruptif : Tu rêves, tête de givre.

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