22. Labradorite

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La labradorite symbolise la clairvoyance. Elle encourage son porteur à faire avant tout confiance à son instinct.

°°°

Clouée par le regard glacé de Micah, Léana déglutit difficilement. Elle l’observe la fixer pendant que son cœur tambourine dans sa poitrine. Tu l’as fait. Tu en as parlé. Les grands yeux cobalt du garçon glissent sur ses joues mouillées, sur ses lèvres tremblantes. La lueur malicieuse dans ses lacs arctiques s’est éteinte, laissant place à un froid aride, indéchiffrable. Léana frissonne, presque effrayée par cette facette de Micah qu’elle n’avait pas remarquée auparavant. Qu’est-ce que… Le jeune homme tourne la tête vers Kaïs et elle l’imite, incertaine de ce qu’elle a pu voir au fond des craquelures de ces iris.

Si les prunelles du brun intimident par leur placidité glaciale, celles de son ami d’enfance brûlent d’une intensité dangereuse. Pourtant, aucun cri, aucun juron ne vient perturber le silence de la pièce. Kaïs est si calme qu’il en est presque angoissant. Allez. Rappelle-moi que tu as essayé de me révéler l’autre visage de Nergal, que tu as essayé de me défaire de son emprise… Je t’en prie, dis quelque chose. Rien ne sort de la bouche du blond. Son regard est dur, ses traits reflètent une réflexion que Léana est incapable de décrypter.

Punaise. L’adolescente baisse la tête vers le sol. Je sais que je l’ai dit pour moi. Avant toute autre chose, ce discours, il était pour moi. Alors pourquoi ai-je envie que vous me rassuriez ? Elle remonte ses jambes contre sa poitrine et les entoure de ses bras, comme pour s’empêcher de fuir ce silence de plomb. Au moins, tu te sens libérée. C’est déjà ça de pris. Ce n’est que lorsque Micah prend la parole qu’elle lève les yeux de ses genoux :

— Ce que tu as vécu… commence-t-il dans un souffle. Je n’ai pas les mots.

Pendant un instant, elle revoit les failles au fond de ses iris. Mais elles sont vites effacées par une vague de chaleur et de bienveillance :

— Je comprends mieux… Je te comprends mieux à présent. Tu ne me devais rien, ni des excuses, ni des explications. Je me sens… honoré, ose-t-il d’un ton interrogatif, que tu aies eu le courage de parler de ça devant moi.

Il lui sourit gentiment tout en remettant pensivement une mèche brune derrière son oreille. Léana se mord la lèvre.

— ­Je ne peux pas te promettre que je ne te ferai pas de mal, déclare-t-il, un léger tremblement dans la voix. Ce serait mentir, je ne suis pas parfait. Je vais te blesser, murmure-t-il en fronçant les sourcils. Mais je ne le ferai jamais volontairement.

Lorsqu’il prononce ces derniers mots, le regard déterminé de Micah la transperce de part en part. La bouche de la jeune femme s’assèche. Un mélange étrange d’apaisement et d’inquiétude s’enfonce dans son estomac. Un autre message se cache derrière les paroles du garçon, un message qui n’a rien à voir avec elle. Qu’as-tu vécu pour que tu sois aussi… meurtri ?

— On pourrait partir sur de nouvelles bases, si tu le souhaites ! Je peux te proposer de nous rencontrer pour la première fois ici, offre-t-il en souriant chaleureusement. Enchanté, je m’appelle Micah !

Alors qu’il tend la main vers elle, les lèvres de l’adolescente s’étirent timidement. Quelque part, la souffrance qu’elle a pu apercevoir au fond des yeux de Micah se lie aux ténèbres qui règnent dans son ventre. Léana hoche la tête d’un air entendu avant de serrer la main du brun. Si sa paume est froide, la douceur laiteuse de sa peau la trouble. Les mains de Kaïs sont plus rugueuses… Qu’est-ce que ça donnerait si vous vous teniez tous les deux la main ? Léana lâche immédiatement les doigts de Micah, les joues en feu. Éteins toi, cerveau. Tu as assez travaillé pour aujourd’hui.

— J’ai la dalle putain, grogne Kaïs en se levant. Vous allez aider la vieille peau sinon elle va mettre des plombes !

— Comment ça « vous » ? s’étonne Micah en faisant les gros yeux.

— Il croit quoi, Blanche neige ? nargue ironiquement le blond. Que je vous ai aidés gratos ? Allez me faire mon repas, bande de macaques !

Léana regarde son ami d’enfance ouvrir brusquement la porte de sa chambre et se précipiter à l’extérieur. Est-ce que c’est ta façon de me dire que tout va bien... ? Nous traiter de primates ? Elle soupire de dépit, très vite imitée par Micah. Leurs regards se croisent et il secoue la tête, complètement dépassé. Léana ne peut s’empêcher de lui sourire, compatissante. Mon pauvre ami, si tu savais à quel point Kaïs est inventif. Sans réfléchir, la lycéenne tend une main au brun pendant que celui-ci ronchonne, les yeux au ciel ;

— Blanche neige ? Sérieusement ? Après Reine des neiges, crème glacée, tronche de givre et j’en passe !

— On dirait presque que tu es déçu, taquine naturellement Léana en aidant Micah à se relever.

Léana réprime un autre sourire quand elle voit le garçon ouvrir de grands yeux étonnés. Puis elle se mord la lèvre, se demandant si elle est allée trop loin.

— Ah tu t’y mets toi aussi ? l’interroge-t-il d’un ton dramatique.

— Non, je…, bégaye-t-elle la main sur la poignée de la porte. Enfin, je pensais que…

— Léana. Si les surnoms à la noix de cet animal irrévérencieux ne me vexent pas, crois-tu vraiment que je puisse t’en vouloir pour si peu ?

Alors que la mélodie d’un autre s’infiltre dans ses oreilles, elle baisse la tête vers ses pieds.

— Si tu me blesses, je te le dirais. Tu as le droit de faire des erreurs, tu sais. Même si Môssieur Je-réussis-tout-ce-que-j’entreprends te fustige parce que tu te trompes dans tes équations différentielles, insiste-t-il en haussant la voix sur le pseudo temporaire de Kaïs. Tu peux faire de l’humour. Crois-moi, j’en ai assez pour ne pas m’offusquer.

Quelques bulles de chaleur éclatent dans la poitrine de la jeune femme. J’ai hâte d’être assez à l’aise avec toi pour me le permettre naturellement. Elle hoche timidement la tête pendant que Micah lui adresse un sourire rassurant.

— Où est-ce qu'il les trouve ces surnoms ? reprend-t-il, comme s’il se souvenait qu’il était outré. Sérieusement, tu t’en sors bien toi !

Un sourire franc naît sur les lèvres de la jeune femme.

— C’est vrai qu’il est plus inventif avec toi, concède-t-elle en s’accrochant à la rambarde de l’escalier. Je crois que « Face de lune » est mon surnom générique.

— Tu…

Soudain, un hurlement empêche Micah de répliquer :

— J’PEUX VOUS EN TROUVER D’AUTRES SI VOUS BOUGEZ PAS VOTRE PUTAIN DE FION ! aboie la voix en provenance de la cuisine. FACE D’ICEBERG ! TRONCHE DE VERGLAS ! ET CROIS PAS QUE J’T’OUBLIE, GUEULE DE PROFITEROLE !

OoO

Si le repas est ponctué d’autres petits noms charmants – Smoothie givré pour Micah et macaron roux pour Léana – les deux adolescents peuvent enfin avoir la paix quand Iris tire brusquement l’oreille de son petit-fils.

Sous les éclats de rire de ses deux victimes, Kaïs ne peut que baisser temporairement la garde. Après tout, ils sont encore plus beaux lorsqu’ils cessent enfin de réfléchir.

Le regard pourpre du blond glisse sur la nuque découverte de Micah et y trouve des marques de brûlures. Des brûlures récentes. Encore. Les doigts de Kaïs se resserrent autour de son verre pendant que ses deux camarades rient des anecdotes de sa grand-mère. Bordel. Tu n’as pas à subir ça pour réussir le concours.

Le jeune homme tourne la tête vers la petite rousse à côté de Micah. Elle avait brillé par son courage cet après-midi. Parler, ne serait-ce qu’un peu, de ce qu’elle avait pu vivre lorsqu’elle sortait avec Nergal, lui permettrait d’avancer. Mais Kaïs sait que son amie d’enfance est encore loin d’accepter de concourir avec lui. Ce qui signifie qu’il faudrait qu’il soit là quand son corps lui ferait défaut. La mâchoire de l’adolescent se tend pendant que ses mains calleuses relâchent le verre qu’il est sur le point de briser. Putain de Nergal.

L’ouïe surdéveloppée de Kaïs lui permet d’entendre une vibration du côté de Micah. Derrière sa fourchette pleine de chou-fleur, il observe l’adolescent regarder la notification sur son portable. Le visage du brun perd immédiatement toutes ses couleurs. Comme si de rien n’était, Micah range son téléphone tout en essayant de maintenir un sourire crispé. Kaïs baisse les yeux vers son assiette. Ton père te cherche.

Pour le blond, le nom Théso n’est pas inconnu. Toute personne aspirant rentrer à l’Académie a entendu parler de ce Maître. Le Numéro deux au classement de puissance. Alors quand Micah Théso s’est incliné devant lui pour s’excuser de lui avoir mis une putain de droite, laissant entrevoir des bleus et des brûlures sur sa nuque, Kaïs a vite compris qui était son entraîneur. Son putain de père.

— Madame… Iris, je suis désolé d’interrompre ce très bon repas, coupe doucement Micah, la tête un peu baissée. Mais…, bafouille-t-il, je dois partir.

— Oh…, murmure la vieille dame. Pas de problème, sourit-elle gentiment.

Kaïs jette ses couverts sur la table et se lève brusquement. Il jette un regard à sa grand-mère pendant que Micah fonce dans la chambre du blond chercher ses affaires. Pendant ce temps, l’adolescent aux yeux rubis descend rapidement à la cave chercher la boîte qu’Iris avait confectionnée pour le garçon. Bien évidemment, en tant que Maître du Cercle des Soigneurs, la vieille peau est arrivée aux mêmes conclusions que son petit-fils.

Sur le pas de la porte, Kaïs fourre l’étui en bois rougeâtre dans les mains du brun :

— Cache ça, gronde-t-il entre ses dents.

Le jeune homme regarde Micah hocher la tête en fronçant les sourcils puis se tourne vers Léana qui s’est approchée craintivement. Pas la peine d’ajouter ses démons aux tiens, Léa. Kaïs croise les bras sur son torse pendant que le garçon salue la petite rousse avant d’ouvrir la porte d’entrée. Une voiture est déjà là. Un vieil homme maigre en sort et accueille son jeune maître avec un sourire.

— Hâtons-nous Monsieur, nous n’avons que quelques …

— On y va James, coupe doucement Micah en redressant les épaules.

Kaïs le voit ouvrir la portière puis jeter, à Léana et à lui, un dernier regard désolé. L’expression froide et austère qu’il arbore quand il entre dans le véhicule ne surprend pas Kaïs. Il se prépare à affronter son père.

Le blond lâche un grondement frustré avant de fermer le battant. Il se retrouve face aux grands iris cendres de son amie d’enfance. Bien qu’il dépasse Léana d’une tête et demie, il n’arrive pas à se détacher de son regard.

— Qu’est-ce que t’as, face de quatre-quarts ?

— Tu as vu quelque chose, n’est-ce pas ? Tu n’as pas l’air surpris de son départ, remarque-t-elle, agitée. Est-ce qu’il va…

— T’inquiète, tronche de lune, coupe-t-il, plus doucement qu’il ne l’aurait voulu. Ce type… Il est spécial.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

— Mon instinct.

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