30. 2. Lépidolite

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Cette pierre violette apaise les angoisses et aide à lutter contre les phobies sociales.

°°°

Peu avant dix-neuf heures, Léana se tient sur le perron du Relais. Plus aucun résident n’est visible, l’établissement semble pratiquement désert. Dehors, la tempête s’est calmée. Ce qui n’est pas loin d’enchanter Léana, bien contente de ne pas avoir à combattre des congères de glace avec ses béquilles. Si quelques centimètres de neige résistent au coucher de soleil, les rayons de celui-ci embrassent le cristal bleuté des montagnes environnantes. Tant de nuances azurées, indigo et marines se mélangent, se caressent sans jamais se confondre avec le ciel.

Alors qu’elle admire cette beauté particulière, l’envie de gravir ces pics escarpés, de s’enfoncer dans les secrets que renferment ces monts surgit en elle. Léana jette un regard vers Kaïs et se met à imaginer les aventures qu’elle pourrait vivre avec Micah et lui pendant les pauses accordées par l’Académie. Peut-être qu’on pourrait vivre ici ? Elle manque presque de dégringoler des marches à cette pensée. C’est un peu tôt pour se projeter aussi loin, non ?

Pile à l’heure, un attelage de quatre chevaux tirant un carrosse finement ouvragé vient se présenter. Un homme en uniforme rouge sang, la couleur de l’Empire, saute prestement de sa place pour venir leur ouvrir la porte de la voiture. Il s’incline très bas devant Hashim, un peu moins devant Iris et adresse à Léana et Kaïs un mouvement du menton. C’est à peine si Léana le voit. Le cœur battant dans sa pauvre combinaison verte, elle se sait tache dans toute cette richesse.

Un claquement de fouet.

C’est le grand départ.

Léana inspire profondément. Le stress et l’angoisse sont palpables dans l’habitacle. Si Hashim tente de calmer Iris par quelques mots, ce n’est pas efficace. Son attention se tourne vers Kaïs qui n’a pas ouvert la bouche depuis la découverte de la chambre. Léana le voit allumer, éteindre, pianoter sur son téléphone. Chacun de ses gestes est accompagné de tressaillements de sa jambe droite. Mais l’air concentré qu’il arbore ne laisse place à aucun doute ; il enferme son agressivité, sa nature flamboyante et sa personnalité au plus profond de lui-même. La jeune femme se mord la lèvre. Elle voudrait lui prendre la main, lui dire que tout ira bien. Mais elle n’est pas sûre de pouvoir l’affirmer sans mentir.

Le carrosse les emporte sur une route de quartz céruléen qui serpente sous de multiples cascades, traverse des lacs d’argent et ouvre une balade paradisiaque. Léana lâche un hoquet d’admiration. Construite à partir du cristal de roche bleu des montagnes environnantes, Nééris, la capitale de la Province de l’Eau, se détache du paysage dans toute sa splendeur. La pierre finement ciselée mélangée aux structures de Glace donnent à la ville cette perfection que tous ses livres de révisions décrivent plus élogieusement les uns que les autres. Au-dessus des remparts congelés, les brasiers habituellement cyan ont revêtu leur robe pourpre, signe de la présence impériale au Palais d’Hiver. Malheureusement pour Léana qui sautille presque d’excitation, le carrosse continue son chemin sans leur laisser la possibilité de visiter la belle cité.



Lorsque la portière de la voiture s’ouvre enfin, les yeux de la lycéenne s’écarquillent devant l’opulence du Palais d’Hiver. Célèbre pour ses impériales fêtes hivernales, la somptueuse résidence ne laisserait personne indifférent. La lueur des montagnes cristallines se projette sur les murs argents que de riches voilages viennent complimenter. De la soie, du satin et des centaines d’autres tissus colorés flottent hors du Temps jusqu’aux fontaines dans lesquelles des poissons rares nagent au cours d’eaux dorées. Léana plisse les yeux, peu habituée à tous ces éclats de lumières. Tout est fait pour que les invités se noient dans les richesses de l’Empire.

Léana époussette rapidement sa combinaison verte et se place aux côtés d’Iris. Elle raffermit sa prise sur l’unique béquille qu’elle a décidé de prendre. Ça ne durera pas longtemps. Tu t’en sortiras.

La jeune femme essaye de montrer qu’elle ne s’appuie pas sur le bâton de métal quand elle passe devant les premiers nobles qui l’observent d’un air dédaigneux. Raté. Elle ne manque pas une seule de leurs exclamations outrées ou de leurs murmures moqueurs. La main d’Iris caresse gentiment son épaule. Ne t’en fais pas.

Cherchant une distraction, Léana se tourne vers la droite. Devant leur audience, quelques membres du Cercle des Artistes se délectent de l’attention qui leur est accordée. Il y a de quoi, le gigantesque tigre de feu qu’ils s’affairent à créer surplombe toute l’assemblée. Soudain, une foudre émeraude éclate en plein milieu des jardins. Des centaines d’éclairs dessinent un lion aussi impressionnant que le félin de feu. Les deux créatures se placent face à face sous la clameur ahurie des invités.

Exaltée par tant de puissance, Léana sent ses Maîtrises lui picoter les doigts. Son corps la presse de se joindre aux Maîtres, de laisser exploser ses pouvoirs. Elle inspire profondément. Quelle liberté de ne plus se cacher ! Elle pourrait faire la même chose, non ? Elle est enfin sur le Continent, elle n’a plus à se contrôler. Alors qu’elle est sur le point de libérer sa loutre d’Eau, Iris la rapelle à l’ordre :

  • Léana. Ne te laisse pas enivrer. C’est une tactique pour attirer les futures promesses de candidature, chuchote discrètement la vieille dame. Ils n’auront que faire de tes talents tant que tu n’auras pas eu ta première année d’Académie. Sois patiente.

La jeune femme acquiesce, un peu honteuse de s’être laissé aussi facilement hypnotiser. Bien décidée à ne plus commettre d’erreur, elle s’accroche fermement à Iris et la remercie d’un baiser sur la tempe.


Quand elle passe les portes du Palais, Léana se sent encore plus ridicule dans son humble combinaison. Sur la piste de danse, des pierres précieuses brillent de mille feux autour de cous graciles pendant que des robes aux couleurs et formes extravagantes tournoient sur elles-mêmes. C’est à ce moment-là que la jeune femme prend pleinement conscience de la dangerosité du jeu dans lequel elle a mis les pieds. Elle n’est définitivement pas prête pour affronter la Cour de l’Impératrice. Certains invités ont la gentillesse de cacher le fait qu’ils jaugent la modestie de sa tenue derrière leur éventail en satin, d’autres arborent une expression méprisante devant son unique béquille.

Léana inspire profondément pour calmer le tremblement de ses mains. Ça va aller. Ils vont se désintéresser de toi dans un moment. Mais malgré son auto-encouragement, la jeune femme sent son cœur accélérer.

  • Ne les laisse pas voir que t’as peur, face de lune, chuchote une voix.

L’adolescente sursaute quand Kaïs se place tout près d’elle. Elle lève timidement les yeux vers lui pendant qu’il arbore un sourire insolent. Léana ne peut s’empêcher de le trouver magnifique. Avec sa chemise ivoire révélant le haut de son torse et son costume rouge sombre qui sublime sa musculature, la lycéenne doit faire tous les efforts du monde pour détacher son regard de la beauté sauvage du blond. Et elle n’est pas la seule. Des gloussements féminins parcourent la foule et quelques clins d’œil sont lancés dans la direction du garçon.

Soudain, les Maîtres du Cercle des Artistes cessent leur Maîtrise du Bois et de l’Air, entraînant l’arrêt momentané de la musique. Alors que les nobles se tournent vers le double escalier au fond de la pièce, une voix de stentor coupe le brouhaha excité :

  • Sa Majesté sérénissime, l’Impératrice Omphale Oikos !

Les lourdes portes s’ouvrent avec fracas. Une grande femme dans un impressionnant fourreau écarlate fait son entrée. Ses boucles châtain clair cascadent sur son épaule nue, son cou est paré d’une formidable rangée de diamants pourpres et sa tenue ne laisse rien à l’imagination tant elle moule son corps musclé. Un sourire fourbe sur les lèvres, l’Impératrice descend gracieusement les marches du double escalier sans que son onéreuse couronne sertie de rubis, d’agate et de jaspe ne bouge d’un millimètre.

Léana s’incline avec un temps de retard mais n’est pas mécontente de baisser les yeux sur ses pauvres baskets. Tout en cette femme l’effraye. Même si elle ne se trouve pas au premier rang, elle sent l’immense pouvoir de l’Impératrice comprimer violemment sa peau. Imagine quand elle active sa Maîtrise du Sang. Léana frissonne rien qu’à l’idée.

La jeune femme se relève avec un peu de difficulté et serre sa poigne sur sa béquille pour se stabiliser. Elle a l’impression que Kaïs est aussi tendu qu’elle. Aussi lève-t-elle les yeux vers l’adolescent qui essaye d’arborer un air impassible. Elle remarque sa mâchoire contractée et ses sourcils légèrement froncés. Sans réfléchir, elle tend la main à son meilleur ami. Moi aussi, j’ai peur. Elle le regarde hésiter, ses pupilles vermeilles allant et venant entre sa paume et son visage. Puis il grogne « Tch » avant que ses doigts calleux ne s’emparent de ceux, fins et délicats, de la petite rousse.

  • Ses Altesses, Prince Thieste, premier fils de l’Impératrice et Prince Atrée, second fils de l’Impératrice, hurle à nouveau le domestique à la voix amplifiée par une Maîtrise du Son.

Les deux héritiers s’avancent jusqu’au double escalier puis se séparent, chacun descendant de son côté. Léana note que l’aîné, le Prince Thieste, remporte les cœurs de la Cour grâce à son élégance naturelle pendant que son frère, le Prince Atrée pose sur ses invités un regard purement méprisant. L’adolescente fronce les sourcils devant tant d’arrogance. Le deuxième fils a seulement un an de plus qu’elle. Il se voit empereur à la place de son frère, c’est ça la différence. Les deux princes finissent leur descente et vont se placer à côté de l’Impératrice après s’être respectueusement inclinés devant elle.

Léana sent la main de Kaïs se détacher de la sienne alors qu’elle se baisse pour saluer dignement les héritiers de l’Empire. Elle se tourne légèrement vers lui et comprend à son air insolent qu’il a réussi à surmonter son envie de fuir la puissante aura de l’Impératrice. Un sourire timide étire ses lèvres et elle se relève à nouveau. Elle change sa béquille de main pour contrer le manque de chaleur dans celle de droite. Alors que les joues de la jeune femme prennent une teinte rose, l’Impératrice prend la parole :

  • Chers invités, je vous remercie d’être venus à ce sobre bal d’hiver. Nous sommes ici pour célébrer le Prince Thieste qui a récemment été diplômé de l’Académie.

Une vague d'applaudissements secoue la foule qui gronde sa fierté et son approbation. Léana est certaine que les candidatures du Prince ne seront pas rejetées. Quel Cercle ne voudrait pas d’un Oikos ? Avant d’être la famille la plus puissante de l’empire, ses membres sont les seuls à posséder la Maîtrise du Sang. Rien qu’avec ce fait, la jeune femme se doute que le Cercle des Calamités cherche à le recruter. D’autant plus que l’Impératrice appartenait à ce groupe avant de monter sur le trône.

  • Mais avant de nous lancer dans la fête, continue l’hôte de la soirée en parcourant l’assistance de son regard dangereux, accueillez chaleureusement mon troisième fils qui nous fait l’honneur de se joindre à nous pour la première fois !

Les invités couinent de surprise mais surtout d’excitation. Léana est aussi ébahie qu’eux ; personne n’a jamais entendu parler d’un troisième Prince. Est-ce que l’Impératrice aurait caché sa grossesse avec sa Maîtrise du Sang ? Léana n’est sûre de rien. Secret jalousement gardé, le nombre et la nature des pouvoirs de l’Impératrice constitue un mystère très bien entretenu par l’Empire. Seule sa Maîtrise du Sang, symbole d’omnipotence, est mise en lumière. La jeune femme n’a pas le temps de formuler une autre théorie quant à un possible pouvoir de la dirigeante que le domestique prend à nouveau la parole :

  • Son Altesse, le Prince Micah, troisième fils de l’Impératrice.

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