42.2 Épine noire

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Cette plante évoque l’affection entravée.

°°°

Allongé sur son lit, Micah déroule les notifications sur son portable. Ces soirées du Nouvel An s’annoncent plus festives les unes que les autres. Il grimace avant de laisser tomber l’appareil sur les draps. Rester coincé entre des personnes se tortillant sur place ou se faire hurler dans les oreilles parce que la musique est trop forte… Un frisson remonte le long de son dos. Très peu pour moi.

De nouvelles vibrations attirent son attention. Micah lève les yeux au ciel. Combien de fois doit-il réitérer son refus ? Qu’est-ce que Ben ne comprend pas dans “Je ne peux pas venir, j’ai un match de baby-foot subaquatique” ? Bien décidé à rembarrer l’adolescent très insistant, le prince se saisit de son portable. Mais, parmi les messages de Ben - c’est pas vrai ! - se cache quelque chose de bien plus intéressant.

Sucre roux : Coucou Micah ! Je me demandais…

Sucre roux : Est-ce que ça te dirait de passer le Nouvel An avec Kaïs et moi ?

Sucre roux : Je pensais à un marathon Harry Potter.

Sucre roux : Mais on peut faire autre chose si jamais ça ne tente pas !

Les lèvres du jeune homme s’étirent tendrement. Ses doigts tapent une réponse avant même que son esprit y ait réfléchi.

Reine des Neiges : Bien sûr que ça me dit !

Reine des Neiges : J’espère que je ne me ferais pas exécuter sur la place publique en disant cela mais… Je n’ai jamais vu les Harry Potter.

Micah mordille le bout d’un ongle en attendant la prochaine notification. Qui ne tarde pas à arriver.

Sucre roux : Quoiiii ?

Sucre roux : Mais mais mais

Sucre roux : Il faut absolument que l’on remédie à cette ignorance !

Un petit rire secoue sa poitrine. Il se laisse tomber sur son matelas, un grand sourire sur le visage. Il a déjà hâte d’y être. Son regard se porte sur les deux emballages posés sur son bureau. Ce sera l’occasion de leur donner avant la rentrée. Le jeune homme passe une main dans ses cheveux. Tout va bien se passer. Ce sont juste des cadeaux entre amis. Après quelques secondes de réflexion, il hoche la tête, convaincu par ses propres arguments.

À dix-sept heures précises, James le dépose devant la maison d’Iris. La grand-mère l’accueille avec son sourire rayonnant allant jusqu’à le prendre dans ses bras. Micah lui rend poliment son étreinte, contaminé par la chaleur de la retraitée. Postée un peu plus loin, Léana lui adresse un petit signe de la main. Le cœur de Micah se serre. Il aurait aimé la serrer contre lui mais son sang…

— Oye, tronche de verglas ! rugit une voix depuis le salon. Tu comptes rester planté dans l’entrée comme une putain de stalagmite ? Avance, c’est à droite !

Micah lève les yeux au ciel. Salut, Kaïs. L’adolescent ose un clin d'œil complice à une Léana déjà exaspérée avant d’entrer dans la salle à manger. À l’intérieur de la pièce, de multiples plaids et oreillers ont été confortablement disposés sur le tapis pendant que le canapé est occupé par une grande bête blonde.

— Qu’est-ce que tu fiches avec tes gants, bordel ? siffle-t-il en haussant un sourcil.

— Je te donne une bonne raison de me surnommer “Elsa”.

Le jeune homme observe Kaïs plisser les yeux avant de baisser la tête vers ses mains gantées. Ce n’est qu’une solution temporaire. Mais si la barrière d’un tissu peut éviter de les blesser, il couvrira sa peau avec plaisir. C’est bien pour cela qu’il s’est vêtu d’un col roulé et d’un pantalon qui camoufle de longues chaussettes. Hormis son visage, pas un centimètre de son épiderme est visible. Quoi de mieux que de faire justice à son titre de Reine des Neiges ?

— On s’y met ? demande Micah pour dissiper la tension.

Léana a ce petit sourire triste lorsqu’elle se dirige vers le téléviseur. Elle insère le premier DVD dans le lecteur avant de leur rappeler l’objectif :

— Dooonc… Ce marathon, c’est du sérieux. On ne s’endort pas avant la fin du huitième film, d’accord ? Sinon, je vous… commence-t-elle en les menaçant faiblement du bout de la télécommande.

— Sinon quoi, face de truffe ? réplique Kaïs en ricanant.

Si les regards pouvaient tuer, le blond ne serait plus de ce monde depuis longtemps.

— J’ai une idée ! s’exclame Micah, volant au secours de Léana. Je propose que si Kaïs et sa grande bouche s’endorment avant la fin… Ils seront condamnés à utiliser un vocabulaire soutenu pendant une semaine.

— Oh ! Tu es un génie, s’esclaffe la petite rousse.

— J’ai hâte de l’entendre nous appeler par nos prénoms, renchérit l’intéressé.

— Bordel de merde. Même pas en rêve !

Sur les bougonnements - bientôt étouffés par un oreiller jeté au visage - de Kaïs, Léana appuie sur le bouton lecture. Micah sort rapidement les sodas et paquets de bonbons de son sac avant de s’installer douillettement sur les plaids. Émerveillé par l’imagination des Humains, le lycéen suit l’intrigue avec beaucoup d’attention.

Puis, quelques minutes après qu’Harry Potter ait intégré la maison Gryffondor, Léana tend discrètement son téléphone à Micah.

— Tiens, essaye pour voir, chuchote-t-elle sans que cela cache son enthousiasme. C’est le test officiel !

L’adolescent hausse un sourcil interrogateur avant de tourner son attention vers le portable. Il clique sur les réponses qui lui paraissent justes, espérant ne pas décevoir la passionnée. Et lorsque le résultat s’affiche, il lui rend son bien, un sourire aux lèvres.

— Poufsouffle.

— Oh ! Comme moi !

— Super étonnant, râle la voix de Kaïs.

Micah pouffe en entendant Léana soupirer de dépit.

— Tiens, fait-elle en tendant son téléphone. Tu es vraiment terrible.

— C’est mon deuxième prénom, face de flan. Kaïs Terrible Bayram. Tremble, simple mortelle !

— À l’aide, gémit-elle.

Quelques minutes plus tard, Kaïs obtient Serpentard. Le téléphone n’a pas besoin d’un nimbus deux mille pour voler à travers la pièce. Puis, après avoir bien râlé, le blond affirme - avec une fierté nouvelle - qu’il ne fait pas partie des méchants mais seulement des plus intelligents. Ce à quoi Micah est obligé d’acquiescer sous peine de mort subite.

Bientôt, le générique de fin du troisième film se déroule sur le téléviseur. Il est presque minuit. Micah jette un coup d'œil à son sac. Allez. Il déglutit difficilement et prend la parole :

— J’ai… quelque chose pour vous, déclare-t-il d’un ton presque timide. Je voulais vous remercier pour Noël et pour… toute la patience que vous montrez à mon égard. Bonne Année.

Il leur tend les paquets, le rouge aux joues. Bien évidemment, Kaïs déchire brutalement le papier cadeau pendant que Léana déplie délicatement le sien. Lorsqu’elle déballe son écharpe couleur lavande, les yeux de la jeune femme brille d’un plaisir non dissimulé. De son côté, Kaïs a déjà enroulé le tissu rubis autour de son cou. Pendant ce temps, l’estomac du brun commence une session de loopings.

— Merci beaucoup, Micah ! s'exclame l’adolescente en caressant la laine. Elle est magnifique.

Le garçon se crispe lorsque la lycéenne s’approche de lui. Elle se fige puis acquiesce d’un air entendu. Micah se tourne vers le blond qui grince entre ses dents un petit “merci”. Le prince fronce les sourcils à la vue des rougeurs sur les joues de son ami. Elle doit être vraiment chaude cette écharpe. Peut-être que j’aurais dû en prendre une moins épaisse…

— Pendant qu’on y est…, murmure Léana en fouillant dans la commode. Ah, voilà ! C’est de notre part à tous les deux. Bonne Année.

Lorsqu’elle lui présente une petite boîte bleue, Micah n’ose pas la prendre tout de suite. Ils lui ont déjà tant offert, qu’est-ce qu’il pourrait vouloir de plus ? Il n’a pas l’occasion de refuser le présent que Kaïs, avec sa poésie habituelle, l’encourage à se saisir de l’écrin. Deux boucles d’oreille reposent dans l’étui. La première brille fièrement, aussi écarlate que les flammes d’un brasier, tandis que la deuxième scintille d’un violet profond piqué de nuances indigo. Alors que son cœur bat la chamade dans sa poitrine, les doigts de l’héritier n’osent pas effleurer les deux bijoux.

— Ce n’est pas grand-chose, vraiment, s’excuse Léana. Ces pierres ne valent sûrement pas les gemmes extraites des montagnes de la Province du Feu mais…

— Elles sont sublimes, coupe le jeune homme. Vraiment.

— Mais…

— Léana, l'interrompt-il d’un ton doux. Kaïs, ajoute-t-il en se tournant vers l’adolescent caché dans son écharpe. Merci infiniment.

Micah passe cinq bonnes minutes à admirer le cadeau sous tous les angles. Puis, il se risque à les arborer à son oreille droite. Si Léana le complimente gentiment, Kaïs ne peut s’empêcher de rétorquer :

— Putain de merde, j’ai oublié ta couronne de princesse.

— Je commence à croire que tu as une obsession avec cette histoire de reine des Neiges, déclare Micah en fronçant les sourcils.

— Tu ne sais pas combien de fois je l’ai entendu chanter “Libérée, délivrée”, soupire Léana. Mes oreilles en saignent encore.

— Je chante très bien, face de crème. Dois-je vous rappeler à quel point j’suis parfait ?

Si Micah et Léana explosent de rire, cela ne plaît pas beaucoup au blond. L’heure tardive l’empêche de hurler sa frustration. Aussi préfère-t-il appuyer rageusement sur la télécommande pour lancer le quatrième film tout en bougonnant qu’un jour, il leur arrachera la tête.

Lorsque Harry Potter se retrouve à faire la sirène dans un lac, Micah commence à piquer du nez. Il se redresse légèrement, histoire de se débarrasser des fourmis dans son épaule gauche. Par inadvertance, ses doigts gantés atterrissent sur le bras nu de Léana. La peau de la jeune femme se fend immédiatement en deux.

Si Micah s’écarte vivement de son amie, il ne voit pas Kaïs s’élancer du canapé pour courir réveiller Iris. L’angoisse comprime ses poumons. Sa culpabilité le ronge alors que le sang de son amie coule librement sur sa peau.

— Je suis désolé… Je ne… je… désolé, je v…

Ses bafouilles n’ont aucun sens. La panique afflue dans ses veines pendant qu’il se précipite sur son sac d’où il sort des paquets de mouchoirs. Tu ne peux rien faire de plus pour l’aider. La vision se trouble, les sons se mélangent.

— Micah.

— Je ne voulais pas, je n’ai pas fait exprès, je pensais que…

— Micah !

L’adolescent lève la tête vers son amie. Comment peut-elle sourire dans un moment pareil ? Ses poings se serrent. Cette blessure n’est pas la première qu’il cause. D’autres contusions, d’autres cicatrices sont déjà apparues sur son corps encore en phase de guérison. Parfois à cause d’une légère tape sur l’épaule ou alors à cause d’un moment assis trop près l’un de l’autre… Tu devrais me hurler dessus, tu devrais…

— Ce n’est pas grave, le rassure-t-elle. Je vais bien.

Micah secoue la tête.

— Je t’ai…

— Léana ! s’écrie Iris.

Sans perdre un seul instant, le prince cède sa place à la vieille dame. Pendant que cette dernière s’occupe de Léana, Micah se réfugie au fond de la pièce. Il n’ose pas regarder la Maîtrise d’Eau de la grand-mère stopper le flux sanguin. Il n’ose pas croiser le regard de Kaïs. Ses ongles s’enfoncent dans sa peau. Ta faute.

Une fois la grande estafilade camouflée par un bandage, Iris les sermonne sévèrement sur l’utilisation des couteaux. Pendant son discours, Micah est incapable de lever la tête vers elle. Il aimerait lui dire que son petit-fils lui a menti, que Léana ne s’est pas coupée, que lui est le seul coupable. Ses mots restent bloqués au fond de sa gorge, la malédiction d’Atrée pesant lourd sur sa trachée.

Quand la retraitée remonte se coucher, Micah peine à rejoindre les deux autres sur les plaids. Ne te laisse pas aller. Tu n’en as pas le droit. Fort de cette résolution, il s’assoit le plus loin possible d’eux. Leurs encouragements n’atteignent pas ses oreilles. Leurs tentatives de blagues ne le font pas sourire. C’est de ta faute.

Alors que le quatrième film poursuit son cours, Micah regarde ses mains gantées. Quelles sont les autres solutions ? Si tu décidais de te focaliser sur l’apparition de ta Maîtrise du Sang, tu ne serais sûrement plus dangereux ! Il secoue la tête pour chasser ces pensées. Il sait qu’il se montre égoïste en évitant de s’entraîner à déclencher son horrible héritage. C’est la seule solution qui pourrait marcher ! La seule solution que tu aies trouvée ! Tu sais ce que tu dois faire ! le lycéen lâche un soupir. Qu’est-ce que je ferais si je me rends compte que je ressemble de plus en plus à mon demi-frère ?

Chaque fois qu’il provoque une blessure, son cœur se brise. Et depuis qu’Atrée a maudit son sang, l’organe est en miettes.

Soudain, une vibration secoue sa poche. Micah sort son portable et clique avec appréhension sur les messages qu’il vient de recevoir.

Malpoli éruptif : Arrête de te torturer, face de givre.

Malpoli éruptif : C’est pas ta faute.

Malpoli éruptif : C’est sûrement la putain d’impératrice ou ton père… qui veulent que tu te sentes seul. Ou quelqu’un d’autre, j’sais pas.

Malpoli éruptif : J’ai même pas mal quand ça m’arrive à moi ! Et Léana non plus ! Regarde-la !

Micah lève la tête vers l’adolescente. Un sourire radieux sur le visage, elle ne détache pas son regard de l’écran. Le bandage sur son bras semble déjà oublié. Les lèvres du garçon se serrent. Il aimerait pouvoir glisser ses doigts dans ses cheveux, la prendre dans ses bras, lui demander de le pardonner. Mais… Son téléphone vibre une nouvelle fois.

Malpoli éruptif : Arrête avec ta fichue tête de chien battu.

Malpoli éruptif : Sinon j’te botte le cul jusqu’à la lune, princesse à la con !


Micah lève les yeux au ciel mais ne peut pas s’empêcher d’esquisser un sourire. Insupportable. Il pianote rapidement sa réponse avant de reporter son attention sur les aventures d’Harry Potter.


Banquise fumeuse : Tes discours de motivation sont toujours à revoir.

Malpoli éruptif : Ferme-la, Frozone. J’fais ce que j’peux, putain.

Banquise fumeuse : 2/20 et encore je suis gentil.

Malpoli éruptif : J’vais t’expédier dans l’espace, tronche de givre.

Banquise fumeuse : Génial ! Tu crois que je pourrais toucher les étoiles ?

Malpoli éruptif : Qu’est-ce que tu veux toucher celles qui sont à des années lumières ! J’suis juste là, face de glaçon !

Banquise fumeuse : …

Malpoli éruptif : Quoi ? Vu comme j’suis brillant, je mériterai totalement d’avoir une étoile à mon nom, bordel.

Banquise fumeuse : Kaïs… Tais-toi.

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