52.2. Ancolie des Alpes

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Cette plante représente la folie.

°°°

Plus le temps passe, plus ses barrières mentales se fragilisent. Les émotions qu’il tient loin de son esprit forcent continuellement le passage, insensibles à l’agitation qui le tenaille. Elles s’immiscent dans les failles, célèbrent chaque centimètre de terrain gagné pendant que Micah s’épuise à les repousser.

Le brun s’adosse à la paroi et se laisse glisser sur le sol. Il doit exister une stratégie plus simple. Il le faut.

Deux mois à vivre.

Micah expire longuement. Sa respiration se perd dans l'obscurité.

Kaïs…

Il se recroqueville sur le sol, les jambes plaquées contre son torse. Il aimerait hurler sa culpabilité. Il aimerait pleurer sa colère, il aimerait…. Tant de choses qu’il ne s’autorise pas.

Guéris.

Il faut que tu t’en s’en sortes.

Les doigts du brun se crispent sur ses cuisses.

Je t’en prie.

Sois fort.

Ses barricades mentales commencent à s'écrouler. Ses ténèbres grouillent, festoient sur les ruines de ses fortifications. Puis elles se précipitent sur lui et l’engloutissent.

Des larmes s’échappent de ses yeux. Elles roulent sur ses joues avant de s’échouer sur les lambeaux de son jean.

Il a peut-être une chance de guérir maintenant qu’il est loin de toi.

Son souffle se coupe. Oui. Une chaleur s’installe dans sa poitrine. C’est possible ! Dans quelque temps, tout serait réglé. Kaïs sera guéri, Léana sera prête pour le concours et lui... Les traits de Micah s'illuminent. Il sortira de cette cellule, d’une façon ou d’une autre. On ne peut pas le garder ici indéfiniment ! Exactement ! Une fois libéré, tout reviendra à la normale.

Soudain, des bulles noires surgissent du sol. Plus elles éclatent, plus une matière sombre et bouillonnante jaillit des pierres. Micah se presse contre le mur pendant qu’une forme se dresse de plus en plus haut devant lui. Quelques éclats de lumière se mélangent à cette boue d’ébène avant d’être avalés par les ténèbres. Un frisson de peur remonte le long de l’échine du prince. Luisant faiblement dans la nuit, Micah observe la silhouette de glaise obscure se tourner vers lui. Son alter ego le regarde, un sourire mauvais sur le visage. Le même rictus qui plissait les traits d’Atrée lors de leur rencontre. Non, non et non. Il n’a pas besoin de ça. Pas maintenant.

— Dégage, croasse Micah en se relevant avec difficulté.

L’acidité de son ton n’impressionne pas son double.

Alors qu’il boitille faiblement vers l’opposé de la cellule, le brun sent la gravité l'attirer vers le sol. Il se rattrape in extremis, la main sur le cadre métallique du lit. Depuis combien de temps n’a-t-il pas mangé ? Depuis quand n’a-t-il pas bu ? Sa bouche est un désert, son estomac gronde comme un orage. Je n’en peux plus. Mais à l’intérieur de sa poitrine brille l’espoir que Kaïs puisse guérir maintenant que sa Maîtrise du Sang ne peut plus l’atteindre.

— Il est peut-être déjà trop tard, tu sais.

Micah se tourne vers l’apparition. Elle luit dangereusement dans l’obscurité pendant que la matière qui la constitue dégouline le long de ses membres. Le jeune prince se frotte les yeux avant d'expirer un soupir éreinté :

— Tu n’en sais rien. Je veux croire que c’est possible, murmure-t-il presque pour lui-même. Kaïs est fort, que ce soit physiquement ou mentalement. Il ne se laissera pas abattre par cette maladie.

Sa voix se brise sur les derniers mots. Il détourne la tête, les doigts crispés sur le métal.

— Qu’est-ce que t’en sais, tête de nœud ? demande le faux Micah en levant un sourcil impertinent. Tu connais ce type depuis six mois, laisse-moi rire !

— Et alors ? Je…

— Quoi ? crache cruellement l’autre.

Micah se laisse tomber sur le lit, les poings serrés. Une migraine carabinée lui scie le crâne, ses paupières lui semblent tellement lourdes. Quand est-ce qu’il a dormi ? Il y a dix minutes ou dix heures ? Les mèches grasses de ses cheveux se balancent devant ses yeux, la fatigue lui plombe le corps. Mais quelques mètres devant lui, le spectre n’a pas fini son laïus.

— Mais tu crois quoi exactement ? Que tu ressens un truc pour ce gars ? grince son alter ego. Si tu tiens à être aussi ridicule, tu pourrais aussi demander à Léana de sortir avec toi, considérant le fait que tu ne sais pas qui choisir entre les deux ! siffle son interlocuteur d’un air hautain. De toute façon, c’est trop tard pour leur dire, crétin ! Kaïs sera mort quand tu sortiras d’ici !

— Tu n’en sais rien ! explose Micah en se relevant d’un bond.

Un vertige le prend. Trop faible pour se rattraper, il tombe à genoux. Un juron au bord des lèvres, le jeune homme observe son alter ego en train de se curer les ongles d’un air désintéressé. J’ai vraiment l’air insupportable. Est-ce que c’est vraiment comme ça que Kaïs et Léana me voient ?

— Est-ce qu’il n’y a que ces deux-là qui t’intéressent ? s’énerve son double en haussant le ton. Tu es bloqué en prison, espèce d’idiot ! Et même quand on te laissera sortir d’ici, tu ne pourras pas retourner sur le Continent ! Tu vas être formé par les services de l’Impératrice ! Si tu crois que tu pourras t’en sortir comme tu l’as fait avec les entraînements de ton père, tu te mets le doigt dans l’œil jusqu’au coude ! C’est l’Impératrice, bordel ! Tu ne sortiras jamais d’ici comme tu y es arrivé !

— Je lui résisterai ! s’exclame Micah en tapant du poing sur le sol. Quant aux autres, j’ai confiance en eux, en notre amitié. J’y arriverai ! Si je repars différent, ils sauront me ramener à la raison ! C’est comme si je les avais toujours connus… Je sais, au fond de moi, qu’ils seront là pour moi, insiste-t-il, son regard se perdant dans le vague. Je les ai mis en danger avec ma Maîtrise du Sang. M’éloigner d’eux pourra aider Kaïs à guérir et empêcher ma culpabilité de me pousser dans leurs bras !

— Être ici n’est pas bénéfique ! Ne le nie pas ! gronde l’autre en poussant un râle de frustration. Fais ton deuil, tu as échoué ! Ton super plan a raté. Comment aurait-il pu fonctionner une seule seconde ? Maintenant, tu es plus en danger que n’importe qui, espèce de débile ! Commence à te préoccuper de ça !

Micah serre les dents et enfouit sa tête dans ses mains. Il ferme les yeux pour éviter de regarder ce qu’il sait n’être qu’une hallucination. Pourtant, quand celle-ci lui admoneste une énorme claque dans le dos, le jeune homme n’est plus très sûr de la nature chimérique du spectre.

— Tu crois pouvoir m’éviter ? demande ce dernier en apparaissant, hilare, derrière les paupières de l’adolescent. Comment crois-tu pouvoir échapper à tes propres pensées ?

Micah gémit avant de se traîner pathétiquement jusqu’au lit. La culpabilité d’avoir hérité d’un pouvoir incontrôlable écrase ses poumons. Sa lueur d’espoir faiblit à mesure que les minutes s’égrènent. Il n’y a que le sommeil pour atténuer la peur de la mort qui lui enserre la gorge.

Ses yeux se ferment mais le repos ne viendra jamais. Ses cauchemars l’emportent vers une destination pire encore que cette prison de pierres. Ses propres hurlements le sortent de sa torpeur. Pendant un instant, sa respiration erratique ne se calme pas. Des flashs parcourent son esprit sans qu’il puisse déterminer le détail des images. Il essaye de se concentrer, d’y réfléchir mais une brume de plus en plus épaisse s’empare de son cerveau.

Alors que des gouttes de transpiration coulent le long de son visage, un souffle d’air chatouille sa cheville découverte. Un serpent fluorescent siffle dans sa direction. Micah se jette hors du lit aussi vite qu’il le peut. Si sa chute lui tire un gémissement de souffrance, il n’est pas prêt à atterrir au milieu d’autres reptiles brillants. La panique afflue dans ses veines pendant qu’il se relève d’un bond. Ses maux de crâne l’attaquent immédiatement, ses jambes tremblent sous son poids. Il se colle au mur pendant que les vipères s’avancent lentement vers lui.

— NON ! ALLEZ-VOUS-EN !

Ses cris n’arrêtent pas la course sinueuse des vipères luminescentes. Le cœur au bord des lèvres, le jeune homme se plaque plus encore contre les pierres. Des larmes de fatigue glissent sur sa peau. Il se frotte prestement les yeux. Lorsqu’il les rouvre, les serpents ont disparu. Qu’est-ce que…

Une faible lueur attire son œil. Il tourne la tête vers la droite et fronce les sourcils. Est-ce que… Micah fait plusieurs pas vers les multiples filaments luminescents avant de reculer rapidement au centre de sa cellule. Non… Les murs sont couverts d’innombrables toiles d’araignées. La poitrine sur le point d’imploser, il époussette ses épaules, retenant une grimace de dégoût lorsque ses doigts rencontrent plusieurs fils de matière gluante. Comme si elles ressentaient son trouble, de petites pattes choisissent ce moment pour commencer à se balader sur la peau de ses jambes. Couinant de dégoût, l’adolescent se met à gesticuler dans tous les sens pour se débarrasser de ces parasites. Laissez-moi, laissez-moi !

À bout psychologiquement, Micah s’abandonne à ses instincts primaires jusqu’à l’épuisement. Il se gifle, il se griffe. Qu’importe la douleur. Il faut qu’il se débarrasse de tous ces parasites, il faut qu’il…

Combien de temps passe-t-il à se déchirer, à crier ses peurs et sa répulsion ? Le sommeil qui l’emporte ne calme pas ces sensations fantômes. Il les retrouve dès que sa conscience revient au premier plan.

Soudain, un éclair de douleur lui broie le cœur. Son souffle se coupe. Une enclume lui écase la poitrine, il est incapable de respirer. Sa bouche s’ouvre et se referme. Rien à faire. L’oxygène ne rentrera pas dans son système.

Puis, d’un coup, la souffrance s’efface. Comme un rescapé de la noyade, Micah inspire de grandes goulées d’air. Son corps tremble. Micah se recroqueville sur lui-même, l’estomac retourné.

Ses ongles s’enfoncent dans ses bras ensanglantés pendant qu’il commence à se balancer d’avant en arrière en répétant :

— Ça va aller, ça va aller, çavallerçavallerçavaller…

Les mots se répercutent sur les murs mais n’atteignent pas les oreilles de celui qui les prononce. Son estomac le brûle, il a peur d’ouvrir les yeux pour découvrir que les horribles bestioles ont décidé de l’observer de leurs huit globes oculaires après s’être délectées de la chaleur de son corps.

Je veux sortir d’ici.

Je n’en peux plus.

Ses émotions fluctuent entre l’angoisse et l’optimisme. Plus le temps passe, plus ce spectre se stabilise sur la terreur qui le submerge. Il n’arrive plus à réfléchir.

D’autres insectes rejoignent les araignées et le serpent. Il ne compte plus les morsures et les démangeaisons qu’il subit. Pire, la faim le tenaille si fort qu’il ne différencie plus le réel de l’imaginaire.

Un voile se dépose lentement devant ses yeux pendant que son esprit se recroqueville au fond de son crâne.

Une coquille vide.

Une ombre.

Voilà ce qu’il reste de lui.

Il ne réagit pas lorsqu’un halo de lumière vient caresser sa peau asséchée.

Il ne réagit pas lorsque la porte de sa cellule laisse apparaître une silhouette.

— Micah ! s’écrie une jeune femme aux cheveux roux avant de se précipiter vers lui pour l’enlacer. Oh, Enki soit loué ! Je suis tellement contente de te retrouver ! Je croyais t’avoir perdu, je…

Aucun signe de vie ne traverse le regard du garçon.

Alors que l’inconnue murmure, pantelante, combien elle est rassurée de se retrouver en sa présence, quelques gouttes d’eau s’écrasent sur sa peau du prisonnier. La fille tremble si fort contre lui.

Puis, dans un souffle, le détenu l’entend prononcer ces mots :

— Micah, je… Il faut que tu le saches… Kaïs est mort.

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