2. Cobalt

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Cette pierre serait un puissant amplificateur et purificateur d'énergie, un cristal actif qui accélèrerait le développement et la croissance spirituelle.

°°°

Lorsque Léana arrive devant les grilles du lycée, la cour intérieure grouille déjà d’adolescents. Un frisson remonte le long de son dos tandis que ses angoisses commencent à lui susurrer leur habituelle mélodie. Les yeux fixés sur la masse gesticulante, elle calcule les trajectoires qui lui permettraient d’éviter de plonger dans cette foule. Aucune d’elles n’est assez large pour les laisser passer, elle et sa planche à roulettes. Merde.

La mâchoire de Léana se serre. Tout va bien. Il y a encore moyen de s’en sortir sans paniquer. Elle rattache lentement son moyen de transport à son sac à dos tout en essayant de trouver un plan B qui n’implique pas une retraite immédiate vers la maison.

Soudain, une main se pose sur son épaule :

— Hey ! Est-ce que tu sais où se trouve la salle 302B…

Lorsque les doigts de l’inconnu atterrissent sur elle, tout son corps se tend. Non. Le murmure insidieux s’enroule autour de sa gorge, remonte le long de sa joue et lui susurre le prénom qu’elle a enfoui au plus profond d’elle. Je…

Un geste brusque lui permet de mettre fin à la vague de souvenirs sur le point de la submerger. Elle se retourne, presque livide, vers le lycéen. Elle ne remarque pas le froncement de ses sourcils ou la lueur inquiète dans ses grands yeux cobalt. Non. Dans l’esprit de Léana, les traits de l’adolescent ont pris ceux d’un autre.

— Je… Je…

Calme-toi. Ses pensées se mélangent, les mots lui échappent. Il ne peut plus te faire de mal. Le poids dans sa poitrine l’empêche de s’excuser auprès de son interloculeur qui doit sûrement la prendre pour une folle.

Calme-toi.

Elle ne peut pas.

Léana recule d’un pas, puis un autre. Elle ne voit pas d’autre solution que de s’enfuir. Elle se heurte à la cohue et se noie dans le brouhaha. Laissez-moi passer. Tout est flou. Son souffle se bloque. Laissez-moi passer. Elle joue des coudes, elle s’excuse, elle continue à s’enfoncer plus loin dans ce brouillard humain. Laissez…

Puis, d’un coup, l’air lui revient. La respiration haletante, elle s’engouffre dans un des nombreux couloirs du bâtiment. Tout va bien. Elle passe devant quelques lycéens qui se racontent leurs vacances d’été, évite les toilettes et le foyer qui doivent être bondés, puis se rend directement à l’emplacement de son nouveau casier. Tout va bien. C’est passé.

Elle inspire profondément avant de déverrouiller le cadenas. Avoir peur d’un souvenir au point de le coller sur le visage du premier venu qui la touche par inadvertance… Elle appuie son front contre la porte de son casier en grognant. Je suis une idiote. Pourtant, au plus profond d’elle, ses peurs et son anxiété enfoncent un peu plus profondément leurs griffes dans ce qu'il reste de sa confiance en elle.

Prêtes à resurgir dès que Léana baissera sa garde.

Une étincelle de chaleur enveloppe sa cheville droite. Ses yeux se posent sur le chaton au pelage enflammé qui enroule sa queue autour de la jambe de sa maîtresse. Sa petite gueule s’ouvre et un miaulement semblable à des braises qui craquellent résonne dans l’air. C’est bon, t’as gagné. Léana s’accroupit puis l’invite à se lover sur son épaule.

C’est ainsi accompagnée qu’elle entre dans une salle de classe pratiquement vide. Elle s’avance directement vers les fenêtres et en ouvre une aussi grand que possible. La fraîcheur matinale l’enveloppe et disperse un peu le brouillard de pensées dans son crâne.

Perchée au troisième étage du bâtiment, elle a une vue imprenable sur les montagnes enneigées qui entourent la vallée. Si elle se penchait un peu plus, elle pourrait espionner ses camarades qui commencent à entrer dans le bâtiment. La sonnerie ne va pas tarder à retentir.

— Saute pas, tronche de lune.

Les doigts de Léana se crispent sur le rebord de la fenêtre. Elle n’a pas entendu la voix de son meilleur ami depuis qu’elle a déménagé. Elle ne lui a pas adressé la parole depuis plus longtemps encore. Encore une de Ses règles.


Mais Il était parti.

Léana n’était plus obligée d’obéir.


Elle se retourne vers le jeune homme athlétique qui vient de s’installer sur l’une des tables au plus près du tableau. S’il a rasé de près les côtés de son crâne, ses mèches blondes sur le dessus défient toujours les lois de la gravité. Léana ouvre la bouche pour tenter une pauvre blague mais la dureté dans les yeux pourpres de l’adolescent l’empêche de produire le moindre son.

— Moi qui me demandais où était passé mon putain de sweat-shirt…

L’agressivité dans sa voix et sa vulgarité ne la choquent pas. Elle y a été habituée depuis l'enfance. Le rouge aux joues, elle se demande à quoi elle pensait lorsqu’elle avait enfilé ce pull ce matin. Bien sûr qu’il allait le remarquer ! C’est Kaïs. Elle tire sur l’habit, prête à lui rendre, quand il l’arrête d’un geste brusque.

— C’est bon, face de lune, siffle-t-il. Bordel. Garde-le.

Léana aurait voulu le remercier ou expliquer pourquoi elle s’était murée dans le silence depuis mars mais l’arrivée du professeur principal la coupe dans son élan. Elle attrape ses affaires et va se réfugier au fond de la salle, près des fenêtres.

Elle passe deux heures à rêvasser, ses yeux gris tantôt fixés sur les montagnes, tantôt sur son chaton de Feu qui ronronne, installé confortablement sur son manuel de chimie.

Lorsque la sonnerie retentit, Léana fonce hors de la classe sans faire attention aux rares personnes qu’elle bouscule. De l'air. Elle court à toute allure se réfugier derrière le bâtiment du lycée où un petit parc avait été construit. Pourvu qu’il n’y ait personne. Le regard fixé sur son but, elle ne remarque pas l’inconnu qu’elle a fui ce matin l’observer d’un air intrigué.

Elle grimpe agilement à un des sapins qui l’accueille entre ses aiguilles. Les branches s’écartent pour lui laisser un meilleur accès et l’étreinte de l’arbre enveloppe ses sens d’une odeur sucrée.

Une fois arrivée à une hauteur satisfaisante, Léana enserre le tronc du conifère, un sourire satisfait sur les lèvres. La sève coule à flot dans l’écorce du feuillu, une douce chaleur se répand sous les bras de la lycéenne. À la recherche du réconfort qu’elle ne peut plus chercher chez Mamie Iris ou Kaïs, la rousse ferme les yeux et relâche un soupir d’apaisement. Sa respiration se calme, ses muscles se détendent et ses pensées cessent de se tourner vers le coin sombre de son esprit.

Pendant qu’elle sort son portable de sa poche, les branchages camouflent son corps, la rendant invisible au groupe de lycéennes qui vient, à ce moment-là, se réunir dans le parc.

Ainsi perchée, Léana est moins anxieuse. Sa Maîtrise de la Terre la protège, elle se sent en sécurité. Pendant les cours, l’adolescente ne peut pas utiliser la toute-puissance de ses pouvoirs pour se rassurer. Les Humains le verraient. Seule l’activation d’une ou plusieurs de ses Maîtrises lui permet d’invoquer ses familiers qui passent inaperçus aux yeux de ses camarades. Mais les intéressés ne restent jamais très longtemps ; Léana ne voudrait pas les obliger à supporter ses cours ennuyeux. Y en a un ou deux qui me ferait un caprice pour moins que ça.

Soudain, un lapin d’écorce et de ronces se détache du tronc pour venir se rouler en boule sur ses genoux. Ses épines étant rentrées, Léana le caresse sans crainte. Enfermée dans sa bulle de bien-être, elle ne fait pas attention à la discussion qu’entretient le groupe assis juste sous elle.

Après quelques instants, la sonnerie perce les tympans de Léana. La jeune femme sursaute. Elle comprend que sa sérénité est vouée à disparaître. Dans un soupir, elle arrache les baskets qu’elle a fermement sanglées dans l’écorce du sapin et les enfile en pestant contre les temps de pause trop courts.

Vérifiant que le groupe en dessous d'elle s'est déjà hâté vers le bâtiment, Léana bondit hors de sa cachette, exécute une vrille parfaite avant de retomber agilement sur le sol.

Un petit sourire étire ses lèvres.

— Il n’y a pas à dire, j’ai de la classe, se complimente-t-elle en rangeant une de ses mèches rousses derrière son oreille.

Comme pour se moquer d’elle, une grande bourrasque vient violemment ébouriffer ses cheveux, plaquant ceux-ci contre son visage surpris. Grimaçante, elle lève les yeux au ciel. Je ferais mieux de me mettre à la couture moi, plutôt que de jouer avec des éléments qui n'apprécient pas mon humour !

Dans la brise qui l’accompagne jusqu’aux portes du bâtiment principal, le petit caquètement de son faucon d'Air éclate.

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