25. Rhodonite

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Ce minéral rose stimule la joie et aide à s'approprier un état d’esprit positif.

°°°

Si le corps de Léana hurle son exténuation ce matin-là, sa propriétaire ne l’écoute pas.

Ce n’est bien évidement pas la première fois que la force de l’habitude étouffe ces cris. Léana inspire profondément l’air frais, un léger sourire sur les lèves. Former un groupe de révision avec les deux zigotos et par conséquent partager le plus clair de son temps avec eux lui permet d’enfin... Respirer. Depuis la fin des vacances, la douleur de ses cicatrices s’est atténuée, l’étau sur sa gorge s’est relâché et les chaînes qui la relient à Nergal ont été ensevelies. Elle se sent bien. Et c’est un sentiment dont elle n’a pas envie de se défaire.

Perchée sur sa longboard, l’adolescente pousse sur ses muscles pour avancer, ignorant le léger tremblement de ses jambes. C’est comment la formule du glucose déjà ? C6… H… Elle grimace. Oh punaise. Kaïs me l’a répétée trente fois, il va m'annihiler.

Son champ de vision se réduit à mesure qu’elle s’approche des grilles du lycée. Elle cligne des yeux plusieurs fois, convaincue que ce n’est qu’une poussière avant de replonger dans ses réflexions. Le numéro atomique du zinc… Ça je sais.

Quand elle accroche sa planche à son sac, elle doit s’y reprendre plusieurs fois. Elle met cette gaucherie sur le compte du stress et se relève, bien déterminée à donner le meilleur d'elle-même pour ce contrôle de physique.

La jeune femme se mêle à la foule. Fidèle à ses habitudes, elle se faufile entre les lycéens. Elle ne lève pas une fois la tête vers l’horizon, elle connaît les trajectoires à adopter. Si l’obscurité s’empare peu à peu de sa vue, elle refuse d’admettre l’idée inconsciente qu’elle soit épuisée. J’aurais juste dû manger un peu plus ce matin.

Le brouhaha ambiant enfle, gronde, jusqu’à vriller ses tympans. La main sur sa tempe droite, elle avance vers le bâtiment et ouvre une des portes avec difficulté. Bordel, c’est de plus en plus lourd ces trucs-là ! Alors qu’elle se titube sur le seuil, d’autres voix se pressent dans ses oreilles. Elle est incapable de distinguer les rires des exclamations outrées, les chuchotements des cris. Tout s’agglutine dans son esprit, tout devient flou.

Comme si cela ne suffisait pas, un intense désir de sommeil s'abat brutalement sur elle. Ses paupières papillonnent. Si elle ferme les yeux, ne serait-ce qu’un instant, peut-être qu’elle…

Non. Léana secoue la tête. Je dois y aller. Elle a tellement bossé pour ce contrôle ! Elle ne peut pas abandonner maintenant. Non, je peux le faire !

La mâchoire serrée, Léana tangue faiblement jusqu’au pied de l’escalier principal. Elle pose sa main sur la rambarde avant de lever la tête vers le plafond. Ses yeux se ferment. Elle n’a jamais autant haï l’architecte du lycée. Quelle idée de construire les salles de sciences au troisième étage ! Un soupir. Elle observe les premières marches d’un air hautain. Allez. Vous ne me faîtes pas peur. Les muscles de ses cuisses se contractent, elle resserre sa poigne sur le garde-corps et une migraine carabinée envahit son crâne. Alors qu’elle affronte courageusement chaque marche, son souffle se raréfie. Ce n’est pas grave. C’est juste… C’est juste…

À peine arrivée au premier étage, Léana manque de basculer en arrière. Elle se rattrape in extremis à la rambarde qu’elle avait lâchée avant de s’appuyer faiblement contre le mur. De la sueur coule sur son front. Un froid glacial resserre ses griffes sur ses membres. Elle a beau chasser les moucherons qui volent dans son champ de vision, ceux-ci ne disparaissent jamais. Même avec toute la volonté du monde, elle ne peut pas nier être au bord de l’évanouissement.

C’est… passager.

Elle utilise ses dernières forces pour se traîner lentement vers l’infirmerie. J’aurais simplement dû manger un peu plus ce matin. Son cœur cogne si fort dans sa gorge. Ou aller dormir un peu plus tôt. Ses sourcils froncés n’empêchent pas quelques larmes de naître au coin de ses yeux. Je vais bien. Elle pousse la porte et, sans prendre le temps d’expliquer sa situation à Madame Martin, elle s’écroule sur l’un des lits d'appoint et perd connaissance.

Quand elle se réveille quelques heures plus tard, son regard encore embué par le sommeil se tourne vers la fenêtre. Dehors, de petits flocons ont commencé à tomber.

Un poids lui écrase violemment la poitrine.

Son souffle s’accélère.

Une onde de panique rugit dans ses veines alors qu’elle sort son téléphone de sa poche. Décembre ? Mais… Ses doigts se mettent à trembler.

Non.

L’étau autour de sa gorge se resserre.

Non.

Les chaines au fond de son être tintent l’une contre l’autre.

J’avais…. Je pouvais…

Son portable glisse de ses mains et s’écrase par terre. Le choc assourdissant résonne dans l’entièreté du corps de la jeune femme.

Comment ai-je pu me voiler la face aussi simplement ? Comment ai-je pu… oublier ?

Elle ferme les yeux. Sa mâchoire se tend. Elle s’appuie sur le matelas en grimaçant. Sa migraine lui fracasse le crâne pendant qu’elle retrouve une position assise. Tu es forte. Elle pousse sur ses bras, sur ses jambes, pour se relever. L’effort obscurcit immédiatement sa vision. Repousse tes limites. Elle fait bravement un pas. Puis, un deuxième.

Ses muscles ne tiennent pas.

La fatigue la foudroie.

Elle s’effondre une fois encore.

Non…

Non, non, non !

NON !

À quatre pattes sur le sol, Léana regarde les gouttes s’échouer quelques centimètres plus bas. Puis ses ongles raclent le sol. Ses poings se resserrent.

Ce n’est pas possible. Je ne veux pas, je ne veux pas abandonner.

Une douleur insoutenable la prend au ventre. Elle gémit de douleur avant de se rassoir avec difficulté, dos au lit. Du bout des doigts, elle tâtonne pour trouver son portable. Tu n’as plus de temps. C’est fini. Sa mâchoire se contracte pendant que ses larmes roulent sur ses joues. Si la tristesse l’engloutit, la colère qui brûle au fond d’elle lui donne envie d’hurler.

Alors que d’autres perles d’eau troublent sa vision, Léana déverrouille son téléphone. Elle déroule la conversation qu’elle alimente avec Micah depuis des semaines. Elle repasse ses blagues nulles, ses tentatives de surnoms pour Kaïs, ses conseils pour réussir les dissertations de philosophie… Elle sourit tristement devant l’écran avant de passer sur la discussion avec Kaïs. Cette dernière est principalement composée de mèmes et de gifs reprenant les films et séries de leur enfance. De temps à autres, des phrases types telles que « comment t’as pu louper ces deux exos, face de lune ? » ou « J’vais t’en faire bouffer de la trigonométrie moi ! » ponctuent les images et les vidéos. La jeune femme rit faiblement devant l’image que le blond lui a envoyée hier soir. Puis son téléphone vibre.

Prédateur explosif : T’es bientôt là, face de quetsche ? J’ai la dalle !

Léana lève la tête vers le plafond et ferme les yeux. Elle n’a pas le temps de répondre à Kaïs que d’autres messages s’affichent.

Reine des neiges : J’ai hérité d’un autre surnom.

Reine des neiges :

Reine des neiges : Je vais le balancer par la fenêtre.

Reine des neiges :

Reine des neiges : Faudra que tu me couvres en cas d’enquête criminelle.

La jeune femme se mord douloureusement la lèvre avant d’écrire le même message aux deux lycéens. Elle efface rapidement les traces humides sur ses joues puis appuie sur envoyer.

Léana Makri à Prédateur explosif et Reine des neiges : Hey. Je suis à l’infirmerie… Je vais avoir besoin d’un fauteuil roulant.

Quand la portière arrière s’ouvre, le souffle de la nuit la fait frissonner. Décembre. Déjà. Le cœur lourd, Léana s’agrippe à Hashim sans rien dire. Le coach ose un sourire rassurant mais sans grand effet sur la jeune femme. L’adulte la prend dans ses bras avant d’ordonner à Kaïs de récupérer le fauteuil dans le coffre. En voyant les roues argentées de son nouveau meilleur ami briller sur le sol, Léana cache son visage dans l’épaule du Maître.

Le repas se déroule sans intervention de la part de la lycéenne. Devant son assiette bien remplie, Léana joue avec ses légumes puis pose sa fourchette. Son chagrin et son irritation se livrent une bataille sans merci au fond de son ventre. La faim n’a pas de place dans celui-ci.

Elle s’appuie sur sa chaise pour se glisser sur son fauteuil. Après un moment, elle arrive à s’extirper de la cuisine dans un silence gêné avant de se retrouver devant l’escalier.

Les dents serrées, elle observe la dizaine de marches qui semblent la toiser de toute sa hauteur. Un souffle haché franchit ses lèvres pendant qu’elle prend appui sur ses accoudoirs pour descendre du fauteuil. Malheureusement, ses bras cèdent sous elle et son postérieur retrouve immédiatement l’assise inconfortable. Elle pousse un gémissement déchirant de frustration alors que des perles salées coulent abondamment de ses yeux fatigués.

— Bordel de merde ! laisse-t-elle échapper.

Elle ne se laissera pas démonter par un fichu escalier. Je ne suis pas si faible que…

Léana invoque avec énormément de difficultés sa Maîtrise de l’Air. Son faucon émerge péniblement d’un courant d’air bleuté. L’animal qui a bien rajeuni plane dans un équilibre précaire au-dessus de l’escalier avant de se poser sur le genou tremblant de la maîtresse. Non… L’oiseau huisse timidement et son regard azur reflète l’inquiétude qui brille dans les yeux de Léana. Comment ai-je pu être aussi aveugle ? Comment ai-je…

La gorge nouée, l’adolescente caresse la petite tête de son familier. Je ne veux pas te perdre. Je ne peux pas…

Son cœur se déchire.

Dans trois semaines…

Broyé par sa tristesse.

… J’aurais tout oublié.

Pulvérisé par sa rage.

OoO

Reine des neiges : Léana ?

Reine des neiges : Tu vas bien ?

Reine des neiges : …

Reine des neiges : …

Reine des neiges : Si tu as besoin de parler, je suis là.

OoO

Prédateur explosif : Hey…

Prédateur explosif : …

Prédateur explosif : …

Prédateur explosif : Abandonne pas, face d’ange.

Prédateur explosif : …

Prédateur explosif : Tronche de givre ne s’en remettrait pas.

Prédateur explosif : …

Prédateur explosif : … Et moi non plus.

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