34. Fumeterre grimpante

6 minutes de lecture

Cette fleur signifie malveillance, méchanceté.

°°°

Alors qu’une migraine sévère commence à lui dévorer le crâne, Micah dépose son portable sur la table de nuit. Assis sur les draps de satin, il laisse sa tête tomber sur ses genoux. Son corps se relâche un instant mais son esprit tourne encore à plein régime. Que faire si Atrée a aperçu Léana ? Que faire si son demi-frère s’en prend à Kaïs avant son départ du Continent ? La mâchoire du brun se tend. Envoyer des gardes au Relais soulèverait plus de questions que de solutions. De plus, attirer autant d’attention serait contre-productif, d’autant qu’il n’est pas certain de la loyauté des soldats. Micah passe une main fatiguée dans ses cheveux. Kaïs et Léana ne t’en veulent pas. Le meilleur, tu l’as déjà.

Si cette pensée réchauffe un peu sa poitrine, il n’est absolument pas apaisé. Il relève le menton pendant que ses épaules fléchissent sous l’épuisement. Encore plongé dans ses réflexions, son regard se promène vaguement sur les murs pourpre de sa chambre. Avant de s’arrêter sur un détail. Qu’est-ce que…?

Le jeune homme se redresse pour mieux voir. Sa vue ne le trompe pas. Il y a une petite fissure dans le mur. Mais quel genre de crevasse brille d’une lumière aussi blafarde ? On dirait que les lampes de la chambre d’à côté n’ont pas été éteintes. Pourtant, derrière cette façade, il n’y a que la salle de bain avec ses spots bleus… Micah s’approche doucement de cette craquelure qui semble s’épaissir. Puis, pris de doutes, l’adolescent va vérifier que la salle d’eau est bien plongée dans le noir.

Lorsqu’il en revient, une autre brèche illuminée barre la fenêtre de la chambre. Mais, dehors, l’obscurité règne en maître. Micah fronce les sourcils. Plus il observe la pièce, plus les brèches étincelantes grandissent secondes après secondes. Oh non.

Le jeune homme se précipite vers son portable. Maintenant qu’il y fait plus attention, il constate que ce n’est pas le bon modèle, pas le bon fond d’écran, pas le bon code de déverrouillage. Si son cœur s'affole dans sa poitrine, Micah contient l’angoisse qui menace de le dévorer.

Le souffle court, il va se planter devant un grand miroir, enlève son tee-shirt de pyjama – ce n’est pas le sien ! – et réprime un gémissement de frustration. Aucune brûlure ne court sur sa nuque, sur ses côtes ou sur son dos. Non. Non. Non !

La peur au ventre, Micah touche la longue estafilade qui zèbre la porte de sa chambre.

Son monde se disloque.

Toute la pièce vole en éclat.

Comme un verre qui se brise en mille morceaux.

Une voix sinistre résonne dans ses oreilles :

— Lorsque la lumière du soleil touche un objet, elle se réfléchit vers nos yeux. Elle nous permet ainsi de voir cet objet. Qui maîtrise la Lumière, contrôle ce qu’une personne voit.

La fraîcheur de la nuit ramène Micah à la réalité. Quelque part au fond des jardins du Palais, l’adolescent comprend qu’il n’a jamais quitté la salle de bal pour aller se coucher. Léana n’est jamais venue vers lui. Il n’est jamais rentré dans le bâtiment après avoir parlé avec Kaïs. Un vent glacial souffle sur la promenade et, au vu du givre qui couvre légèrement son costume céruléen, Micah est assis sur ce banc de pierre depuis une éternité.

Il lève la tête vers le visage fripé par la perversion de son demi-frère. Son ricanement fou rend l’adolescent malade. Je pensais… Je pensais qu’ils étaient en sécurité. Le lycéen se lève lentement pendant que son estomac se retourne. Alors qu’il s’accroupit près des fleurs, Micah entend la voix horrible d’Atrée s’infiltrer insidieusement en lui :

— À l’intérieur d’une illusion, le sujet va inconsciemment amener les éléments les plus rassurants de sa réalité. Très mignonne cette Léana ! s’exclame-t-il joyeusement. Jamais je n’aurai pensé que les handicapés t’excitaient.

Micah réprime les larmes qui se pressent derrière ses paupières. Une Maîtrise de la Lumière. L’acceptation de Léana, le pardon de Kaïs… Rien n’était réel. Le jeune homme fixe avec insistance les tamaris de printemps devant lui. De la bile remonte lentement le long de sa gorge. ll doit contenir sa faiblesse du mieux qu’il le peut pendant que son demi-frère continue de se gausser :

— Ne m’en veux pas, chaton. Il fallait que je connaisse tes faiblesses ! Et tu m’as magnifiquement conduit jusqu’à elles ! rassure gaiement Atrée en frappant dans ses mains. Ce… Kaïs est trop difficile à apprivoiser ; tu n’auras jamais la force de le faire. Quant à la fille, elle est trop faible pour notre famille. Fais-moi donc une petite confidence, petit-frère, lequel des deux préfères-tu ?

C’en est trop pour Micah. Il vomit le contenu de son estomac sur les fleurs du jardin. Des larmes involontaires coulent sur ses joues sans qu’il ne puisse les arrêter. Il est trop tard pour créer un masque suffisamment convaincant.

— Oh…, roucoule cruellement le deuxième fils. Ne t’en fais pas, j’ai laissé l’animal blond partir ! Et je n’ai pas trop touché à ton handicapée !

Tu as échoué. Ses sanglots de frustration sonnent puissamment dans ses oreilles. À genoux sur le sol, Micah s’étouffe presque pendant que son demi-frère l’observe, radieux. L’adolescent s’évertue à contenir vaillamment ses pleurs pour réfléchir à une porte de sortie. Je me suis surestimé. Sa gorge se resserre pendant que l’air lui échappe. Je n’ai pas la force nécessaire pour vous protéger.

Impuissant face à la pression qui l’écrase, Micah laisse ses larmes couler jusqu’à ce qu’il tremble de fatigue. Après un temps, il se redresse faiblement et fait face à son demi-frère qui n’a pas perdu son sourire réjoui. Le lycéen s'essuie brièvement le visage, inspire profondément avant d’ouvrir sa bouche pâteuse :

— Qu’est-ce que tu veux, Atrée ?

— Oh mais le trône tout simplement !

— Mais je te le donne ! Je n’en veux pas ! s’écrie le jeune prince, désespéré.

— Ce n’est pas si simple, chaton, susurre l’autre héritier en se rapprochant de l’adolescent.

Le stupre qui brille dans les yeux noirs de son demi-frère fait reculer Micah d’un pas. Ce n’est pas fini. Il a l’air beaucoup trop excité pour que ça le soit. Le brun regarde le deuxième fils sortir deux fioles de sa poche. Un visqueux liquide écarlate tache les parois des contenants.

— Tu sais, la Maîtrise du Sang permet à notre famille de protéger le secret des pouvoirs de l’Empire. La règle selon laquelle un Humain perd la mémoire dès qu’il parle de la Maîtrise de l’un des nôtres a été créée grâce à la famille Oikos. Grâce à la Maîtrise du Sang que nous seuls contrôlons.

La mâchoire de Micah se tend. Ce pouvoir ne s’est pas encore manifesté chez moi. Et il le sait. Ses craintes se confirment lorsqu’Atrée approche les deux fioles sanglantes de son visage, un sourire malsain sur les lèvres.

— Ma Maîtrise a encore besoin de temps pour mûrir. Mais je suis déjà capable d’enchanter le sang de quelques personnes. Voudrais-tu que je te fasse une démonstration ? Mes espions sont terriblement efficaces, regarde ! J’ai ici le plasma de tes deux amis.

Le lycéen se fige. Non. Le cœur au bord des lèvres, il regarde Atrée boire goulûment le contenu des deux fioles. Non. Je t’en supplie, ne fais pas ça. Sa respiration se bloque dans sa gorge pendant que son demi-frère invoque aisément sa Maîtrise du Sang tout en riant d’un air sadique. Le corps de Micah est propulsé à deux mètres du prince. Non… S’il te plaît. L’adolescent tend une main suppliante vers Atrée alors que la puissance de ce dernier le plaque violemment au sol.

— Voici mes règles, susurre perversement le deuxième héritier près de l’oreille de son demi-frère. Tu ne pourras jamais t’approcher de Léana Makri et de Kaïs Bayram sans leur faire du mal. Tu ne pourras bien évidemment jamais parler de cette règle à qui que ce soit. Cette règle n’a aucune limite temporelle.

Micah sent ses organes s’enflammer pendant qu’un nouveau flux incandescent se répand douloureusement dans ses veines. Si le brun ne s’entend pas crier, il ressent les brûlures que chacune de ses cellules subit. Arrête ! Sa terrible souffrance le fait se recroqueviller sur le sol. Son corps impuissant s’agite violemment, en proie au calvaire infligé par le pouvoir sanguinaire, avant d’abandonner le combat.

Micah s’évanouit, incapable d’en supporter plus.

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