36. If à baies

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Les fleurs de ce conifère symbolisent la douleur, la tristesse.

°°°

— Encore !

L’exclamation de son père résonne dans le dojo. Micah n’a pas la volonté de lever la tête vers les yeux bleus de la montagne de muscles qui le surplombe. Pour éviter une autre vague de flammes vengeresses, il invoque ce qui lui reste de sa Maîtrise de Glace. Il arrive à créer in extremis une barrière protectrice autour de lui. Le feu du Numéro Deux lèche les parois mais ne pénètre pas la forteresse à l’intérieur de laquelle Micah s’est réfugié.

— Quand vas-tu cesser de te comporter comme un enfant, fils ! hurle violemment l’adulte. Je ne permettrai pas que tu te présentes au concours avec une seule Maîtrise ! Utilise ton Feu ! tempête-t-il, son visage carré se plissant de colère. Montre-moi ta puissance !

Si cela me fait te ressembler, jamais. Le jeune homme se prépare à un énième assaut. Onibi n’est pas du genre à accepter que son fils évite le combat. Le corps de l’adolescent se crispe d’angoisse quand la chaleur du brasier fait fondre ses murs de glace. Fichtre. Micah n’a pas d’autre choix que d’essayer de se relever avant que son père ne déclenche une autre attaque.

— Empêche-moi de te brûler ! aboie Onibi, une flamme pourpre brillant dans la paume de sa main. Utilise ta Maîtrise du Sang pour rediriger mes coups !

Même si j’en étais capable, je n’utiliserais jamais ce pouvoir maudit. Micah déglutit difficilement devant la fureur qu’affiche son père. L’adolescent rassemble ses dernières forces pour éviter avec souplesse et agilité les nombreuses charges de l’adulte. S’il tente d’envoyer deux ou trois blocs de glace pour le distraire, il se rend bien vite compte que ses tentatives sont vouées à l’échec.

Quand les premières flammes réduisent son tee-shirt en cendres, Micah ne peut contenir ses hurlements. Lorsque la seconde vague l’enveloppe, sa voix lui échappe. Ses larmes de douleur n’ont pas le temps de couler qu’elles s’évanouissent déjà dans la fournaise rubis.

Dans l’incendie qui brûle son corps, le lycéen discerne son poulain. Ses yeux orangés brillent de terreur mais il essaye d’avancer sans trembler. Ses sabots de flammes hésitent à se poser sur le parquet et il regarde timidement son maître comme s’il lui demandait muettement l’autorisation d’intervenir. Non. La mâchoire de Micah se tend pendant que son cri rauque se mélange au ronflement de la déflagration d’Onibi.

— Dégage !

Aucune peine ne remue l’adolescent lorsque le familier enflammé disparaît pour la seconde fois de la journée. Je ne manipulerai jamais le même pouvoir que cette brute. Ses paupières se ferment un instant. La fatigue tombe brutalement sur ses épaules pendant qu’il rampe jusqu’à ses affaires. Onibi a déjà claqué la porte. La frustration de ce dernier, Micah la porte sur ses membres brûlés. Cette fois encore, il a eu le temps de se recroqueviller pour que seuls son dos et l’arrière de ses cuisses soient touchés. Il va encore falloir que tu m’aides, James.

Le lycéen sait pertinemment que son corps guérit plus vite grâce à la Maîtrise du Sang qui coule dans ses veines. Parmi tous les pouvoirs, il fallait que je sois le réceptacle de la seule technique qui se transmet par hérédité ? Quelle plaie. Malgré certains avantages curatifs de cette Maîtrise, Micah n’est pas pressé de savoir quelle forme va prendre son familier. Ce serait signe qu’il aurait accès à cet art maudit.

La porte du dojo coulisse doucement pour laisser entrer James et deux autres domestiques. Par habitude, Micah prend la main du vieil homme pendant que Marie et Philippe appliquent une crème cicatrisante sur son corps. Chaque fois que leurs doigts le touche, aussi délicats soient-ils, l’adolescent ressert sa poigne sur la paume de James et réprime un gémissement de douleur.

Sois fort, semblent dire les yeux du majordome. Micah serre les dents alors que des larmes d’impuissance coulent sur ses joues. Plus que quelques mois et je pourrais enfin quitter cette maison.

Lorsqu’il atteint enfin sa chambre, Micah doit se mettre sur le ventre pour déguster le repas qui a été posé près de son lit. Son postérieur n’a pas été épargné par la furie démesurée de son père. Est-ce qu’il sera capable d’aller au lycée demain ? L’adolescent n’en a aucune idée. Les capacités de régénération de son corps restent imprévisibles.

Après avoir repoussé son assiette, Micah attrape son sac d’une main et le balance sur son lit. Il sort ses exercices de physique et travaille dessus jusqu’à ce que sa bouche se torde en un énorme bâillement. Conscient que rester debout n’arrangerait pas ses cernes, l’adolescent se traîne jusqu’à sa salle de bain. Il se brosse les dents et tourne la tête vers son pyjama posé sur le meuble. Allez, tu peux faire. Micah lève les bras et fait glisser son tee-shirt sur son torse à moitié brûlé. Puis vient le tour de son pantalon. Chaque geste le fait expirer de douleur. Résiste. Tu es fort, tu en es capable. Son panda de glace se matérialise sur son épaule et, dans un brouillard glacial, le familier créé une fine couche de gel qu’il applique sur le dos et les cuisses de son maître. Micah soupire de soulagement. Puis il enfile, lentement et avec difficulté, son bas de pyjama. Il est tellement éreinté qu’il n’a plus la force de réfléchir.

Ce n’est que dans le silence de sa chambre que le lycéen prend conscience de sa solitude. J’ai passé la journée à éviter les personnes qui me font le plus de bien. Il se tourne vers la table de nuit où est posé son portable. Il tend la main vers l’appareil, se demandant si l’allumer est la meilleure décision qu’il puisse prendre. Il n’est pas sûr qu’il supporterait sans craquer les cris de colère de Kaïs ou le murmure déçu de Léana. Son dilemme l’empêche d’appuyer sur le bouton de verrouillage de son téléphone.

Un soupir se faufile entre ses lèvres pendant qu’il enfouit la tête dans son oreiller. Ce n’est que le début. Micah resserre les doigts sur ses draps. Ça s’arrangera avec le temps. L’adolescent renifle dans le tissu avant d’allumer son portable. Allez. Il regarde avec appréhension l’écran se teinter de blanc. Il ne sait pas à quoi s’attendre. Est-ce qu’il va trouver des messages assassins de Kaïs ? Ou est-ce que, au contraire, aucun sms ne décorera son panneau de notification ?

Sa fatigue est tellement forte qu’elle l’empêche de ressentir d’autres émotions que cette frustration qu’il ne peut enfouir. Il clique sur sa conversation avec Kaïs et fait défiler les messages.

Malpoli éruptif : T’es où, bordel ?

Malpoli éruptif : TS3. 14h.

Malpoli éruptif : Bordel, face de givre.

Malpoli éruptif : Où est-ce que tu es, putain ?

Malpoli éruptif : Viens à la maison dès que tu peux.

Il se rend compte que les larmes coulent sur ses joues lorsqu’une goutte tombe sur son portable. Ses lèvres se resserrent mais le sanglot qu’il relâche est trop puissant pour qu’il le réprime. Même si son dos lui fait souffrir mille tortures, Micah se recroqueville sur son lit. Son corps tremble de petits soubresauts pendant qu’il laisse les perles salées tâcher ses draps.

Atrée, tu as tout gâché. Le jeune homme serre son téléphone contre lui. Rien ne sert de maudire son demi-frère. Cela ne lèvera pas la malédiction qui enchante son sang.

Soudain, son portable vibre. Longuement. Micah le détache de son torse et regarde l’écran sur lequel s’affiche l’interface d’un appel. Léana.

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