38. Cerise du Diable

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La belladone représente le silence.

°°°

Lorsque Micah marche vers le portail du lycée, sa nervosité l’empêche de se concentrer sur la douce musique qu’hurle ses écouteurs. Est-ce qu’ils sont déjà là ? C’est la question qui le taraude depuis que les grilles métalliques sont apparues dans son champ de vision.

La solution de facilité serait de faire demi-tour et de prétexter une gastro. Tiens, bonne idée ! Je vais faire ça. L’adolescent se retourne puis commence à rebrousser chemin. S’il se félicite pour son ingéniosité, le murmure de sa conscience ne tarde pas à se faire entendre. Du coup, tu veux rater ton bac blanc de philo ? Ça aussi c’est une bonne idée. Il lève la tête vers le ciel bleu en exhalant sa frustration. Si les gens savaient ce qu’il se passait dans sa tête, il le prendrait pour un fou. Résigné, Micah se remet en route vers le lycée.

Le jeune homme se faufile entre ses pairs et traverse la cour d’un pas rapide. Il est venu en avance pour une raison bien précise. Pouvoir glacer, sans être vu, les pieds de Kaïs s’il s’approchait de lui pour l’étrangler. Le stress le fait imaginer des scénarios qui n’ont ni queue ni tête. Dans l’un d’eux, le blond chuchote même ses paroles poliment. Ça y est, je suis devenu complètement cintré.

Micah court se réfugier dans le petit parc derrière le bâtiment. Les conifères qui encerclent l’espace vert le toisent de toute leur hauteur lorsqu’il s’adosse à l’un d’eux. L’herbe givrée craque sous ses pieds et brise le silence installé par la brume matinale. Les températures négatives du mois de décembre ne le dérangent pas. C’est bien un des seuls avantages de sa Maîtrise de Feu. Il n’a jamais froid en hiver et jamais chaud en été.

Soudain, son portable vibre dans sa poche et l’adolescent regarde ses messages en se mordant les lèvres.

Sucre roux : Le fauve est lâché.

Sucre roux : Je n’arrive pas à le suivre avec ma béquille.

Sucre roux : J’ai essayé de lui dire que tu avais besoin d’espace. Mais Bullshit est le seul mot que j’ai pu comprendre entre des feulements frustrés et d’autres vulgarités plus… fleuries…

Micah inspire profondément et tourne la tête vers l’arbre sur lequel il s’appuie. Il grimace avant de se lancer dans l’ascension du conifère. L’adolescent ne sait pas exactement à partir de combien de mètres la malédiction d’Atrée se déclenchera. Mais il ne prendra pas le risque de tester ses théories. Surtout que l’ampleur du « mal » qu’il pourrait causer est toujours indéterminé.

Perché à quelques mètres au-dessus du sol, Micah décide que la distance est suffisante. Si je vais plus haut, mon vertige va m’empêcher de me concentrer sur ce qu’il me dit. Toujours aussi nerveux, le bouclé ressort son téléphone et pianote les mots qui conduiront à son exécution sur la place publique.

Banquise fumeuse : Je suis dans le parc derrière le lycée.

L’angoisse qui coule dans ses veines accélère ses battements de son cœur. Personne ne risque d’assister à cette discussion, il fait trop froid pour les Humains. Pourtant, si l’un d’eux s’aventure dans le parc, Micah ne voit pas comment il pourrait expliquer ce qu’il fiche dans un sapin. Ce ne sont que des détails ! Tu sais au moins ce que tu vas dire à Kaïs ? Sous le coup du stress, l’adolescent a oublié les belles tournures qu’il a rangé dans le coin de sa tête. Zut. Il fronce les sourcils, à la recherche de son discours. Le tic-tac de son horloge imaginaire résonne insupportablement dans son esprit.

Quand une voix rauque rugit dans la clairière, Micah se crispe et adresse une prière silencieuse à Enki. Si je m’en sors vivant, c’est un miracle.

— FACE DE GIVRE ! MONTRE TA TRONCHE, BORDEL !

— Lève la tête, Kaïs. Je suis là.

Le regard pourpre du blond le transperce immédiatement. Micah déglutit pendant que son camarade se rapproche dangereusement du tronc.

— PUTAIN MAIS QU’EST-CE QUE TU FOUS DANS UN ARBRE ?

Micah est convaincu que la réplique « Je prends l’air, j’ai le droit » lui apporterait plus d’ennuis qu’elle n’en résoudrait. Posant innocemment la main sur la branche qui le surplombe, l’adolescent se prépare à grimper. Juste au cas où Kaïs déciderait de s’essayer à un nouveau sport.

— C’EST QUOI CETTE CONNERIE DE DISTANCE ! QU’EST-CE QUE TU FUMES, FACE D’ICEBERG !

L’adolescent note la nouveauté du surnom avant de grimacer face au volume de la voix de Kaïs. Une Maîtrise du Son aurait été tellement plus utile que celle du Feu. Micah n’a pas le temps de répondre que la bête sauvage blonde qui rôde autour de son arbre pose déjà ses pattes sur les aiguilles du sapin.

— Kaïs ! Ne monte pas !

— TU RIGOLES ? JE VAIS TE FAIRE PASSER L’ENVIE DE TE TRANSFORMER EN ÉCUREUIL ! BORDEL, TU VAS DESCENDRE ?

— Ce n’est pas prévu, non !

C’est sorti tout seul. Micah serre les lèvres et maudit sa langue qui fonctionne plus vite que son cerveau. Ce genre de chose ne lui arrive que lorsqu’il se retrouve face à Kaïs. À croire que l’insolence du blond est contagieuse. Ou alors c’est juste ma propre stupidité qui ressort.

— Je vais t’expliquer ce que je peux ! Mais reste en bas !

— SINON QUOI ? T’AS PEUR QUE J’TE RÉDUISE EN CHAIR À PATÉE ? J’SAIS ME CONTRÔLER, PUTAIN !

— N’importe quoi !

— TU VEUX PARIER, FACE D’ENGELURE ?

Le bouclé expire sa frustration dans un long soupir. On ne va pas aller loin si tu questionnes chacun de mes mots, Kaïs !

— Écoute-moi ! C’est important !

— C’EST TELLEMENT IMPORTANT QUE TU DOIS PRENDRE DE LA HAUTEUR POUR LE DIRE ? Y A AUSSI MARQUÉ DÉBILE SUR MON FRONT, PUTAIN ?

Micah lève les yeux au ciel. Je ne vais jamais m’en sortir. Je savais que j’aurais dû prétexter une diarrhée. Il se pince l’arête du nez en prenant une longue respiration. Il n’a pas le temps de peser chacun de ses mots ; les cercles que Kaïs trace autour de l’arbre en disent long sur sa patience.

— Il faut que tu me fasses confiance, Kaïs. Je n’ai pas le choix ; je dois m’écarter physiquement de toi. Le temps que je trouve une solution. Ce ne sera…

L’adolescent s’interrompt. L’expression du blond a soudainement changé. Ses traits ne sont plus tirés par la rage mais par quelque chose de plus profond. Micah l’observe croiser les bras pendant que son regard rubis semble l’analyser. Le lycéen n’a pas le temps de reprendre le cours de ses pensées que son camarade le coupe dans ses réflexions :

— Bordel, il s’est passé quelque chose au bal ? demande brusquement Kaïs avec un volume de voix acceptable. Ta décision, c’est en lien avec cette putain de soirée ?

Le prince réprime un hoquet de surprise. Du haut de son perchoir, il peut presque apercevoir les rouages du cerveau du blond qui se mettent en route. Une lueur d’espoir s’allume dans ses pupilles de glace.

— Je ne suis pas capable de te le dire, répond-t-il en haussant le ton sur un mot en particulier. Mais si tu veux qu’on continue à…

Les mots se bloquent dans sa gorge. Les règles d’Atrée sont toujours fermement ancrées dans son sang. L’adolescent lève la tête vers le ciel pour trouver la formulation qui lui permettrait de contourner la malédiction de son demi-frère. Ses yeux se posent naturellement sur le visage de Kaïs et étudient la concentration qui l’anime. Si seulement tu pouvais lire dans mes pensées.

— Si tu veux que je continue à aller dans la salle du foyer ou à m’asseoir à ta table… Il va falloir que je maintienne une distance physique entre…

— Ça concerne aussi Léana, j’imagine ?

Micah ne peut pas répondre par l’affirmative. Mais il n’a pas besoin de le faire. Le blond a déjà trouvé la réponse dans la tristesse de son regard.

— Ta putain de distance…, siffle rageusement Kaïs entre ses dents. Combien de mètres ?

Le prince secoue la tête, encore une fois incapable de prononcer les mots appropriés. Il voit les yeux de Kaïs se plisser. Réfléchis, réfléchis… Tu es le seul qui puisse trouver. Micah se mord la lèvre. Il espère que son ami découvrirait la réponse à son énigme avant d’être blessé par elle.

Soudain, la sonnerie brise le silence qui s’est inhabituellement installé entre les deux adolescents. Micah resserre sa prise sur la branche qui le soutient et déglutit difficilement. Allez. T’es monté, maintenant il faut faire le chemin inverse. Pas le choix.

— Je vais descendre, prévient Micah en zyeutant la distance entre lui et Kaïs.

— Fais- toi plaisir, princesse, siffle le blond en levant les yeux au ciel.

— Si tu ne t’écartes pas, je te jure que je te gèle les pieds, espèce d’âne bâté.

— Ça arrangerait vachement ton putain de problème de distance, du coup !

Micah ignore le ricanement de son interlocuteur puis entame sa descente. Malgré ses piètres compétences d’escalade, il arrive à voir que Kaïs a mis sa mauvaise volonté de côté et s’est éloigné de sa zone atterrissage. Il se réceptionne souplement sur l’herbe gelée avant de lever les yeux vers le blond qui l’attend, planté à trois mètres de lui. Le cœur du prince s’accélère. Est-ce que cette distance suffit ? Micah observe son ami avec appréhension, à la recherche du moindre signe de souffrance. Lorsque ce dernier se met de nouveau à râler, le lycéen conclut à la bonne santé de celui-ci.

Alors que les deux garçons se mettent à marcher vers leurs classes respectives, l’espoir que la Maîtrise de Sang d’Atrée ne soit pas aussi puissante qu’il l’avait imaginée fleurit dans l’esprit de Micah. Et si c’était seulement leur contact qui m’était interdit ?

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