69. 2. Loup gris

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Cet animal représente la famille et l’instinct.

°°°

Après un temps, les spasmes du brun finissent par se calmer. Mais Kaïs ne quitte pas son poste avant d’être certain que Micah a plongé dans un sommeil plus profond. Repose-toi, tronche de givre. Tu as assez subi.

Puis, il se tourne vers la porte d’entrée. Sa gorge se serre pendant qu’il observe le battant s’ouvrir en grinçant.

— Hey…

La petite voix de Léana sonne presque craintive.

— Je sais ce que vous allez dire, continue-t-elle d’un ton un peu plus ferme. Il est tard. Certes. Mais ! J’ai une bonne raison ! Y a une personne ici qui a besoin d’aide…

Avant de prendre le temps de finir sa phrase, elle ferme la porte d’un petit coup de pied en arrière. Alors qu’il comprend enfin les commentaires de Micah concernant les similarités entre Léana et lui, Kaïs camoufle un petit rire. Ce son ne passe malheureusement pas inaperçu. Le regard de la jeune femme se fixe immédiatement sur lui. Si Hashim n’avait pas aussi rapide pour lui subtiliser la personne qu’elle tenait dans les bras, cette dernière aurait percuté le sol.

— Mais c’est quoi cette manie de ramener des haut-dignitaires dans cette maison ! s’exclame Hashim en se pressant vers une des chambres d’amis.

Le reste de ses paroles s’évanouit pendant que tous les sens de Kaïs se concentrent sur Léana. Moins d’une heure a passé depuis qu’il l’a vue dans la forêt. Il ne devrait pas se sentir aussi… Pourtant cet instant a définitivement un goût différent.

Elle le voit.

Lui.

Pas un chat de pacotille.

Lui tel qu’elle l’a toujours connu.

Il veut s’avancer vers elle, il veut la prendre dans ses bras, il veut sentir ses mains sur sa peau mais ses pieds restent stupidement fixés sur place. Il déglutit avec difficulté, une inhabituelle bulle de stress gonflant dans son ventre. Elle fait un pas vers lui et il a l’impression que son cœur s’arrête. Bordel Kaïs, reprends-toi !

Les yeux du garçon détaillent chacune des taches de rousseur qui courent sur la peau de la rousse, la couleur cendre, presque violine, de ses pupilles, la façon qu’à cette boucle de se balancer sur son front. Elle respire avec difficulté. Il voit ses lèvres trembler et sa gorge se contracter à intervalles irrégulières. Sa propre poitrine se contracte. C’est presque douloureux de se tenir là alors que son instinct lui hurle de l’enlacer. Le regard de Léana s’écarte de lui jusqu’à rencontrer le corps de Micah endormi sur le canapé. Elle écarquille les yeux, une main couvrant sa bouche. Puis elle secoue la tête. Est-ce qu’elle est en train de se dire…

— Bon, je pense que je suis en train d’halluciner, annonce-t-elle en se frottant le visage. Merci Hashim ! Je vais me coucher !

— Léa.

Il la voit se tendre. Ses sourcils se froncent. Ses traits fatigués disparaissent dans ses mains et après un temps, elle se décide à avancer vers lui. Chaque pas qu’elle fait l’effraye. C’est ridicule. Il voulait tant la voir et maintenant qu’elle se tient devant lui, la peur qu’elle disparaisse le prend aux tripes.

Soudain, son corps est si proche de lui qu’il pourrait la toucher. Il n’ose pas esquisser un seul geste.

Je suis là. C’est moi. Ses mots se pressent sur ses lèvres. Il a envie de les lui dire. Il a envie qu’elle les entende. Mais rien ne sort. Bordel de merde. Va falloir bosser sur l’expression orale des émotions, Kaïs. Parce que là, t’as vraiment l’air d’un meuble, espèce de débile.

Lui qui l’ouvre toujours dès qu’il le peut, lui qui est toujours le premier à gueuler des grossièretés sur tous les toits, Kaïs se trouve complètement démuni, muet, devant Léana.

Il ne peut que l’observer avancer une main vers son visage. Elle doit y lire un signe de détresse car elle suspend son geste. Sans que Kaïs puisse réfléchir, ses doigts attrapent délicatement le poignet de la jeune femme. Ils glissent contre sa peau et remontent lentement sur sa main jusqu’à amener cette dernière sur sa joue. S’il se rend compte du frisson qui la fait légèrement trembler, Kaïs n’en montre rien.

Les yeux de Léana s’embuent de larmes et, lorsqu’elle s’engouffre dans les bras du blond, celui-ci sent l’énorme poids qui lui comprimait la poitrine le quitter. Kais entoure la taille de l’adolescente de ses bras tandis que sa main droite se fraie un chemin dans ses cheveux jusqu’à sa nuque. Il la serre contre lui comme pour se convaincre qu’elle est bel et bien dans ses bras. Et lorsqu’il la sent sangloter contre lui, il s’effondre. Ces putains de larmes lui viennent et il est incapable de les chasser.

Alors leurs deux corps tremblent l’un contre l’autre, des murmures de soulagement effleurent leurs cœurs et des caresses timides bercent leurs retrouvailles.

Après un temps, Kaïs arrive à regagner un peu de contrôle sur lui-même et ses sanglots finissent par cesser. Au même moment, Léana s’écarte de lui.

Trop loin.

Ses doigts se tendent vers elle mais il se retient au dernier moment. Laisse-lui le temps d’accuser le coup.

— Comment est-ce possible ? demande-t-elle. Les médecins t’ont vu mourir, tes battements de cœur se sont arrêtés, j’ai…

Elle s’avance à nouveau vers lui mais se paralyse. On aurait dit qu’elle ne se sent plus autorisée à le toucher. La mâchoire de Kaïs se serre. Lui aussi partage la même impression. Putain.

— Léa, commence-t-il d’un ton rassurant. C’est vraiment moi. Pas une version transformée ou une illusion. Le vrai moi.

— Mais alors…

Il prend une grande inspiration avant de déblatérer le même discours qu’il a tenu devant Hashim et Iris. Il scanne chacune de ses expressions à la recherche du moindre reproche mais c’est seulement lorsqu’il lui annonce la teneur de sa Maîtrise que la surprise apparaît sur son visage.

— Le chat ! Le chat sauvage ! C’était…

— Moi. Entièrement moi, murmure-t-il, ses lèvres s’étirant en un sourire carnassier.

— Espèce de…

Cette fois-ci, toute retenue est oubliée. Léana se jette sur lui et Kaïs explose d’un rire libérateur pendant qu’elle tambourine contre son torse en reprenant toutes les insultes qu’elle l’a entendu déclamer toute son enfance.

— J’aurais voulu que tu me voies comme tu me voies maintenant, lui révèle-t-il en lui saisissant les poignets. Mais je ne contrôle qu’une infime partie de cette putain de Maîtrise.

Elle hoche la tête. Puis ses sourcils se froncent ; elle semble chercher ses mots. Un petit sourire compatissant naît sur son visage. Il sait ce qu’elle veut lui dire. Il veut lui dire la même chose. Mais, comme elle, il ignore comment lui transmettre l’entièreté des émotions qui traversent son corps. Alors, très naturellement, il pose son front contre le sien. Aucune gêne, aucune préoccupation autre que le bonheur de la retrouver ne le trouble. Il sent la chaleur émaner des joues de l’adolescente, il sent le tremblement de ses mains qu’il tient emprisonnées dans les siennes.

— Je, je…

— Léa. Je sais, assure-t-il. Moi aussi.

À ces mots qui veulent tout et rien dire à la fois, elle semble se calmer. Ses yeux se ferment un temps et elle expire un soupir presque serein. On aura tout le temps d’en discuter. Ne t’en fais pas.

Kaïs s’écarte lentement d’elle tout en gardant une de ses mains dans la sienne. Ses doigts sont si fins et fragiles dans sa paume calleuse et couverte de cicatrices. Mais lorsqu’ils se faufilent entre les siens, Kaïs n’essaye pas de les en empêcher. Un petit sourire naît sur ses lèvres tandis qu’il l’entraîne doucement vers Micah.

— Je l’ai trouvé dans la forêt après ton départ. Il est vraiment mal en point.

Kaïs observe Léana s’avancer vers le garçon pendant qu’elle se détache de lui. C’est avec le même regard qu’elle posait tantôt vers lui qu’elle touche délicatement la main du brun. Kaïs aurait pu s’attendre à ce que la jalousie s’empare de lui. Que dalle. Voir Léana couvrir Micah de ce regard où brille toute l’affection qu’elle porte à ce dernier créé une vague de plénitude qui parcourt son corps entier. Il se sent presque… Apaisé.

Après un temps, Léana prend une grande inspiration :

— Il ira mieux demain. Parce qu’on sera là pour lui.

Kaïs hoche la tête en souriant d’un air déterminé. Elle n’a pas l’intention d’abandonner Micah. C’est une battante, je l’ai toujours su.

Alors, ni une ni deux, les deux adolescents dégagent l’espace près du canapé pour installer deux matelas tout près de Micah. Après une bonne douche, Kaïs retrouve le plaisir d’être propre – d’arrêter de sentir le fennec, oui ! – et le confort de son sweat-shirt préféré.

Lorsqu’il s’allonge sur un des lits de fortune, il a juste à tendre la main pour prendre celle de Micah qui pend dans le vide. Il dessine distraitement des arabesques sur la peau du garçon pendant que son regard pensif se fixe sur le plafond. Aucune blessure ne s’est formée suite à leur proximité. Kaïs secoue la tête. Ce n’est pas le moment de penser à ça. Il ferait part de sa théorie à l’intéressé une fois que celui-ci sera en état. On a tous besoin de dormir. Parce que demain sera compliqué.

Quelques minutes plus tard, le jeune homme entend vaguement Léana s’installer sur le matelas à côté du sien. Avant de succomber à l’étreinte Morphée, il tend simplement la main vers elle.

Et dans le noir, les doigts de Kaïs se resserrent sur ceux des deux personnes qui comptent le plus pour lui.

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