70.3. Orion : Mintaka

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La dernière étoile, la plus à l'Ouest, permet de se repérer dans le ciel.

Cette géante bleue se nomme Mintaka.

°°°

La tête baissée sur ses poings serrés, il ne capte pas le regard affectueux de Léana ou l’expression très satisfaite de Kaïs.

— Je ne me suis jamais posé la question de choisir entre vous deux. C’est comme une évidence. Je ne supporterai pas de vivre avec l’un sans que l’autre ne fasse partie de ma vie. J’ai besoin de vous deux. Je ne veux pas choisir, je sais pertinemment que j’en suis incapable.

Il observe une minuscule auréole d’eau se former sur son pantalon. Ses doigts tremblants remontent sur sa joue. Il ne s'était pas rendu compte qu’il pleurait. Un sourire triste se peint sur ses lèvres.

— Mon amour pour vous est différent. Bienveillant, enivrant, protecteur… Parfois indescriptible, parfois aussi clair qu’un ciel sans nuage. Pourtant il me consume avec la même ardeur, la même intensité. Je n’ai jamais ressenti ça pour personne. Je n’ai jamais aimé aussi profondément que je vous aime, vous, déclare-t-il fermement en relevant le menton.

Son regard se porte sur le doux sourire de Léana, sur les traces mouillées sur son visage, sur ses iris pétillants. Son cœur se gonfle d’un sentiment qui irradie sa poitrine d’une chaleur duveteuse.

Il est amoureux d’elle.

Il n’y a rien à dire de plus.

Il se tourne ensuite vers Kaïs. Il ne l’a jamais vu arborer un air aussi suffisant. Ses yeux brillent de fierté, ses lèvres ont repris ces lignes carnassières qui le caractérisent tant. Tss. Quel idiot. Les joues de Micah s’empourprent pendant qu’il s’arrache à sa contemplation.

— Je pense que c’est ça que je devais vous dire, murmure-t-il, presque pour lui-même. J’ai fini par revenir dans les Contrées Humaines, au lycée, dans le but d’affronter mes souvenirs. Il faut que j’accepte que vous faites maintenant partie du passé.

Ces mots ont une saveur désagréable sur sa langue. Ce n’est pas vrai. Plus que n’importe quel autre moment imaginé avec eux, celui-ci lui semble réel. Si réel que penser le contraire pulvérise son esprit. Ce n’est pas vrai, vous ne…

— Micah… Je ne suis pas mort, soupire Kaïs en se relevant. J’ai été transféré à l’hôpital après l’incendie. Mon corps se désagrégeait sous l’effet de ta Maîtrise du Sang. J’allais mourir. En un sens, je pense que je l’ai été pendant un court instant, chuchote-t-il en fronçant les sourcils. Mais la Maîtrise la Mutation a modifié mes cellules pour me permettre de survivre. Je me suis transformé en... Chaton, grince-t-il entre ses dents. Les animaux ayant un sang différent de ceux des humains, ta Maîtrise ne pouvait pas m’atteindre. J’ai mis trois mois à m’en remettre.

Ses iris grenat flamboient dangereusement lorsqu'ils se posent sur Micah :

  • Mais je suis là. Devant toi, insiste-t-il.

L’absence d’injures dans son discours lui donne presque une dimension dramatique à laquelle Micah n’est pas prêt. Il observe Kaïs s’avancer vers lui et son corps se tend par réflexe. J’ai peur. J’ai tellement peur de me tromper. Le blond remarque ce sursaut et son visage devient blême.

— L’Impératrice s’est débarrassée de toutes personnes qui possèdent une Maîtrise de la Mutation car la Maîtrise du Sang ne nous affecte pas, murmure doucement Kaïs en s’accroupissant près du canapé. Elle ne supporte pas de n’avoir aucun contrôle sur une partie de la population. Mais pour toi c’est différent. Micah, tu ne peux pas nous faire du mal avec cette Maîtrise. Même involontairement, poursuit-il, ses poings s’ouvrant et se fermant comme s’il résistait à la tentation de le toucher. J’ai activé mon pouvoir en entrant dans cette pièce et il étend sa protection à Léana. Micah… Tant que je serais là, tu ne crains rien.

Kaïs est si près. Si près qu’il pourrait poser sa main sur sa joue. Son cœur cogne si fort dans sa poitrine que Micah n’entend plus ça. Ses doigts tressautent sur ses genoux. Est-ce le stress dû à leur proximité ou l’expression d’un désir de réalité ? Micah n’en sait rien. Ou peut-être est-ce le contraire : il ne le sait que trop bien.

— Je suis aussi là, Micah, déclare Léana en s’approchant prudemment. Je n’ai pas quitté la ville. Je suis restée. Je ne pouvais pas abandonner. Pas après tout ce qu’il s’est passé, après que vous m’ayez soutenue pendant tout ce temps. Je ne pouvais pas m’écrouler comme ça. J’ai essayé plusieurs fois de t’appeler, mais pas de réponse. Ce n’était pas de ta faute, le rassure-t-elle immédiatement. Lorsque Kaïs a été déclaré mort, ça a été très….

Micah observe Léana se mordre la lèvre tandis que Kaïs pose délicatement une main sur l’épaule de la jeune femme. Cette fois-ci, la bulle de leur intimité ne lui semble pas si lointaine. Il se sent presque… intégré dans cette chaleur bienveillante.

— J’ai ressenti une brisure en moi, continue-t-elle, les yeux baissés sur le sol. Le genre de douleur que tu ne peux supporter seul, au risque de devenir fou. Iris, Hashim étaient là pour me soutenir mais ça ne suffisait pas. Je te voulais toi, je voulais que Kaïs revienne. Je…

Elle cherche ses mots pendant que la poigne de Kaïs se resserre sur son épaule. Léana… Micah se surprend à tendre la main vers elle et s’arrête au dernier moment. Il hait cette hésitation.

— Kaïs s’est révélé à moi hier soir, murmure-t-elle en souriant timidement. Il m’a raconté la même chose qu’à toi. ­Tout est vrai Micah, insiste-t-elle, ses grands yeux gris brillant sous la lumière de l’aube. Tout est réel.

Un flash passe devant les yeux de Micah.

Il se revoit, éreinté, s’enfoncer dans la forêt avec le téléphone de secours. Il se revoit regarder avec insistance la conversation avec Léana, il se souvient du désespoir qui le submerge lorsque l’heure passe et qu’elle ne répond pas, qu’elle ne vient pas.

— Le chat…

La lumière orangée, les particules de cuivre tourbillonnant autour du félin, cette brume révélant…

— Tu m’as pris pour une hallucination hier soir, fait Kaïs dans un petit rire. Tu as livré devant moi toutes les émotions qui t’étouffaient et je n’ai rien pu faire pour te rassurer. Tu t’es évanoui avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, soupire-t-il. Je t’ai ramené ici parce que c’était la seule option que j’avais.

La vision de Micah se brouille de larmes. Ses mains se mettent à trembler, ses barrières déjà bien fragiles s’effondrent.

— Tout est réel, face de givre.

L'adolescent se noie dans la supplique silencieuse qui dévore les iris de Kaïs. Crois-moi, je t’en prie.

Alors qu’un sanglot étreint sa gorge, le corps de Micah se met à agir de lui-même. Ses doigts s’avancent vers le visage du blond. La peur de ne rencontrer que du vide, la peur de se réveiller en sursaut de ce rêve l'asphyxient.

La chaleur de la peau de Kaïs titille sa paume pendant que Léana tend la main vers lui. Micah pose ses doigts sur la joue du garçon et entrelace les autres avec ceux de la jeune femme. C’est réel.

C’est réel,

C’est réel,

C’est réel !

Il se jette brusquement dans les bras de Kaïs qui ne peut que refermer les siens sur le corps du brun. Alors qu’il laisse la chaleur brûlante du jeune homme l’enivrer, il resserre sa poigne sur la main de Léana.

— Vous êtes réels. Vous êtes réels. Vous êtes là, murmure-t-il dans le cou de Kaïs qui se couvre de frissons.

Micah ferme les yeux et inspire l’odeur de la peau du blond. Puis, toutes les émotions qu’il a retenu dans les abysses de son âme éclatent. Il fond en larmes. Son corps tremble dans l’étreinte de Kaïs mais ce dernier le maintient fermement contre lui. Il l’entend murmurer des paroles rassurantes mais sa propre poitrine continue de produire des secousses irrégulières.

Puis la chaleur de Léana irradie son dos sans que son amie ne lâche sa main. Les perles d’eau qui coulent sur son visage humidifient le tee-shirt de Kaïs, il sent le cœur de Léana cogner contre sa cage thoracique, il…

— Vous êtes réels, je… hoquète Micah entre deux sanglots.

Les mots qu’il a prononcés il y a quelques minutes se bloquent sur ses lèvres. Il s’écarte un peu de Kaïs et essuie ses larmes. Ni les bras du blond ni ceux de Léana relâchent leur étreinte. Son souffle tremblant s’échoue sur le visage bien trop proche de Kaïs.

— Je…

La main de Léana glisse jusqu’à sa taille et son amie se décale jusqu’à se serrer contre le côté droit de son torse. Les yeux de Micah se posent sur ses lèvres tremblantes puis ses doigts se détachent des siens pour caresser ses joues humides.

— Je t’aime, bredouille-t-il. J’aime ta douceur, ta force, les craquelures dans ton armure… Je…

Il l'observe appuyer sa tête contre sa paume. Des millions de papillons prennent leur envol dans son ventre quand elle lui répond :

— Je t’aime. Je t’aime comme je n’ai jamais aimé.

Ses doigts se crispent sur sa joue. Puis il étend son bras vers elle et Léana se réfugie contre lui. Une vague de chaleur se répand dans sa poitrine. Il sourit dans ses cheveux avant de resserrer son étreinte. Puis ses pupilles glacées rencontre la fournaise des iris de Kaïs :

— Je t’aime, chuchote-t-il, les battements de son cœur s’accélérant. Tu l’as toujours su, n’est-ce pas ?

Une inspiration.

Ses lèvres s'étirent pendant que les larmes de soulagement roulent sur son visage :

  • Je vous aime tous les deux, balbutie-t-il, les yeux pleins d'étoiles.

La bouche de Kaïs se plisse de ce rictus carnassier si familier. Puis le coeur du prince s'arrête. Une main calleuse s'est posée sur sa pomette. Un front contre le sien. Le souffle du blond caresse sa peau :

— Je t’aime, face de givre. Depuis le premier jour. Je n’ai jamais cessé de t’aimer.

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