Chapitre 2.6
Elle ordonna à la jeune femme de chambre de verrouiller la porte puis lui fit signe d’approcher. Sélène avait remarqué sa nervosité mais elle fit comme si de rien n’était pour ne pas la mettre mal à l’aise.
« Il semble que nous soyons blessée autre part, lui indiqua-t-elle en posant sa main sur le côté de son ventre.
- Bien, je vais vous aider à retirer votre robe, ensuite nous regarderons cela. »
Elle allait se glisser derrière la reine quand celle-ci attrapa son bras, le visage grave.
« Sélène… soupira-t-elle, nous ne sommes pas ce que tu crois. »
La jeune femme leva un sourcil interrogatif sans comprendre. Khiara relâcha alors sa prise et lui fit signe de poursuivre. Elle dénoua les nœuds et tira sur les cordons de la robe puis sur ceux du corset afin de le détendre et dévoila ainsi la peau blanche comme de la neige de la reine. Avec précaution, elle fit glisser le tissu de la robe et enleva le corset qu’elle examina. Une petite entaille l’avait transpercé de part en part à l’endroit indiqué par Khiara.
Immédiatement elle tourna un regard inquiet vers elle, s’empressant de chercher la blessure. Ses yeux se posèrent alors sur un torse exempté de tous attribues féminins.
Sélène la regarda durant plusieurs secondes, choquée.
« Vous êtes… un homme ? chuchota-t-elle, interloquée.
- Kaldrys de Bénéfiel, fils du roi Drasyl.
- Il n’a jamais eu de fils. Il n’a eu qu’une fille, la reine Khiara. »
Soudain, elle sursauta.
« Qu’avez-vous fait de la reine ?
- Notre sœur est… morte il y a bien des années. Nous avons pris sa place à ce moment-là.
- Comment ça ? Pourquoi n’ai-je jamais entendu parler de vous ? Pourquoi devrais-je vous croire ? s’affola-t-elle.
- Parce que notre père craignait une sotte prophétie et qu’il a caché notre existence. Nous ressemblons trait pour trait à notre sœur car nous étions jumeaux. Sans quoi nous n’aurions pu prendre sa place, expliqua Kaldrys dont l’appréhension se lisait sur le visage. Lorsque le roi Drasyl a été assassiné, sa fille Khiara a subi le même sort. Personne ne connaissait notre existence, il aurait été compliqué de faire comprendre notre situation. On aurait pu nous traiter de menteur alors nous avons décidé de nous faire passer pour elle. Ainsi le royaume est resté soudé au lieu de voler en éclats. Nous avons fait ce que nous pensions le mieux.
- Cela explique pourquoi vous ne voulez pas vous marier. Personne n’est au courant ?
- Annabelle l’était.
- Et votre conseiller ? »
Il fit signe que non en laissant sur elle ses prunelles bleutées qui tentaient de pénétrer son esprit. Sélène y retrouva le regard familier de la reine – après tout, savoir qu’elle était en réalité un homme ne changeait guère ses traits. Mais être dans la confidence d’un tel secret la mettrait sûrement dans une position délicate tôt ou tard. À bien y réfléchir, ses problèmes avaient déjà commencé : elle ne pouvait se dérober aux services de Sa Majesté après une telle confidence, aussi forcée soit-elle.
« B-Bien, laissons cela de côté pour l’instant et montrez-moi votre blessure » l’encouragea Sélène avec un sourire rassurant.
Surtout ne rien dire qui pourrait lui faire penser que tu n’es pas de son côté. Sinon toi et toute ta famille allez y passer !
Tandis qu’elle nettoyait la petite entaille de quelques centimètres et peu profonde – le corset avait par miracle protégé le jeune homme – Sélène pensa à ce qu’avait dû être sa vie et à ce qu’elle était encore alors qu’il cachait son identité.
« Tu es bien soucieuse, l’interrompit-il avec toujours la même voix féminine.
- Pour être honnête, difficile de ne pas l’être, Majesté.
- Évidemment tu comprends l’importance de ton silence. Nous n’avons pas besoin de te dire ce qui pourrait arriver si tu en parlais à quiconque. »
La menace était lancée, et le ton employé par Kaldrys, péremptoire. Il était anxieux de devoir se dévoiler de la sorte à une jeune femme dont il n’était pas certain de la loyauté. Il ne la connaissait pas et ne voulait pas d’une seconde Annabelle.
Sélène avait compris qu’il ne lui faisait pas confiance. Elle pensait qu’il s’attendait à la voir demander quelque chose en échange de son silence, mais elle sentait que ce n’était pas la bonne approche.
« Vous n’avez nul besoin de me menacer, Votre Majesté, je ne dirai rien à personne. Mais ne pouvez-vous vraiment pas vous présenter tel que vous êtes ? Vous êtes le portrait de votre sœur, personne ne pourrait contester votre légitimité au trône.
- Ne peines toi-même tu pas à croire qui nous sommes ? Le roi Drasyl a tout fait pour cacher notre existence. Une femme lui a un jour prédit que son fils amènerait le chaos à son royaume, et il l’a crue. Dès notre naissance, il nous a caché et isolé dans une pièce secrète du palais. Une nourrice a pris soin de nous, faisant d’elle une complice de sa cruelle décision.
- N’aviez-vous aucun contact avec votre sœur ?
- Nous devions avoir huit ans lorsque Khiara nous a découvert, dévoila-t-il avec un sourire en se remémorant ce souvenir, elle jouait avec la nourrice lorsqu’elle a découvert la pièce où nous vivions. Celle-ci s’ouvrait de l’extérieur. Son visage est devenu tout pâle quand elle s’est retrouvée face à nous. Le roi Drasyl était furieux lorsqu’il l’a su, il lui avait interdit de nous rendre visite. Mais Khiara n’en a toujours fait qu’à sa tête et elle venait dès qu’elle le pouvait. »
Pour Sélène, la tendresse dans sa voix indiquait sa sincérité. Quelle tristesse d’avoir perdu son père et sa sœur le même jour, d’avoir été privé de sa mère à cause d’un accouchement qui s’était mal passé et d’avoir en plus dû vivre dans l’ombre ! Elle se rendit compte que la malchance ne cessait de poursuivre le jeune homme. Sa propre femme de chambre venait de tenter de le tuer ! Bien sûr qu’il se montrait méfiant envers elle !
« Nous voulons faire de toi la première femme de chambre, lui dévoila-t-il subitement. Tu rempliras désormais le rôle d’Annabelle. »
Sélène s’inquiéta immédiatement des répercussions de cette décision, mais Kaldrys la rassura :
« Personne ne conteste les ordres de la reine. Sauf peut-être Zorian. Mais à ce sujet, son avis rejoindra le nôtre.
- Mais, personne ne va trouver cela étrange ? Et les autres, ne vont-elles pas s’en prendre à moi par jalousie ? Je suis la dernière arrivée.
- Qui sait pourquoi Annabelle a voulu s’en prendre à nous, mentit-il, peut-être était-ce sur les ordres de quelqu’un. Tu es, à défaut, la seule à qui nous puissions faire confiance.
- Dans ce cas Majesté, vous allez devoir me dire quoi faire » répondit-elle en désignant les vêtements posés sur le lit.
Il expliqua que son corset ne le quittait jamais, pas même pour dormir, cachant l’absence de sa poitrine. Aussi lorsqu’il se changeait, la porte devait impérativement être verrouillée pour éviter tout incident. Puis il se tut, happé par ses pensées, son regard azur fixant ses mains bandées. Des frissons se formaient sur ses épaules blanches dont il ne semblait pas se soucier.
« Votre Majesté, permettez que je vous aide » fit Sélène avec une douceur presque maternelle, le corset intact dans les mains.
Kaldrys mit quelques instants à revenir à lui. Son esprit revivait le passé, le faisant espérer pouvoir y changer des événements, en vain. Lorsqu’il leva enfin les yeux vers Sélène, il se retrouva face à son sourire. Délicat et empreint d’empathie. Cela le changeait d’Annabelle qui avait toujours été incapable de telles démonstrations de sympathie. Mais Sélène était-elle la jeune femme compatissante et bienveillante qu’elle laissait penser être ? Kaldrys décida de lui laisser le bénéfice du doute. Si jamais elle s’avérait être une seconde reine des vipères, il avait de quoi lui retirer les crocs.
Il se leva et laissa sa nouvelle femme de chambre le délivrer de sa robe puis lui nouer son corset avant de glisser sur son corps frêle une chemise de nuit.
Sélène ne l’avait jamais remarqué, mais le jeune homme était à peine plus grand qu’elle. D’ailleurs, il n’était guère plus âgé. Le voir ainsi sous son vrai jour lui donnait le sentiment d’être plus accessible, plus réel.
Soudain on toqua à la porte, les faisant sursauter tous les deux. Ils échangèrent un regard puis la voix de Zorian se fit entendre de l’autre côté :
« Majesté, allez-vous bien ?
- Oui, merci cher ami, répondit tout de suite Kaldrys. Nous allons nous reposer ici cette nuit. Faites le nécessaire pour que nous puissions retrouver notre chambre au plus vite.
- Bien entendu. Je passerai vous rendre visite dans la matinée. Ne voulez-vous pas que je fasse mander un médecin ?
- Ce ne sera pas nécessaire. Sélène a été d’une grande aide sur ce point.
- Bien, vous faut-il autre chose ? s’enquit-il soucieusement.
- Cela ira, nous vous remercions. »
Zorian lui souhaita une bonne nuit, le cœur serré. Il se promit de découvrir qui cherchait une nouvelle fois à s’en prendre à sa protégée et ordonna au capitaine de la garde royale de fouiller la chambre de l’ancienne première femme de chambre sur l’instant, dans l’espoir d’y trouver des indices. Roch Tellir partageait le même désir ; plus que son rôle, c’était un devoir que son âme lui imposait de respecter. Le roi Drasyl avait été assassiné sous la protection de son prédécesseur, il était hors de question qui lui arrive à la même chose. Son honneur ne le lui permettrait pas, et son attachement envers Khiara non plus.
« Êtes-vous sûr d’aller bien, Votre Majesté ? » insista Sélène.
Kaldrys entendit à peine la question, son esprit lui renvoyait des images, des sons de cette agression dont il était sorti vainqueur. Pourquoi avait-il fallu qu’Annabelle le pousse à cette extrémité ?
D’autres scènes lui revinrent en mémoire, celles de son père, la colère de celui-ci, son sempiternel ton sévère qu’il lui réservait et…
« Votre Majesté ? »
Les iris royales se tournèrent vers Sélène, questionnant la jeune femme.
« Je vais aller chercher le bois dans votre chambre, ensuite j’allumerai le feu pour que vous n’ayez pas froid cette nuit. Si vous le désirez, je pourrai aussi vous apporter un thé ou un chocolat chaud, qu’en dîtes-vous ?
- Faisons cela » répondit-il tandis qu’une ligne fendait ses lèvres.
Il savoura secrètement la présence de Sélène, ne pouvant réellement se permettre d’être proche de quelqu’un. Et si… ?
« Tu apporteras deux tasses » ajouta-t-il simplement.
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