Chapitre 8.7

9 minutes de lecture

Khiara n’avait pas eu une minute à elle depuis son couronnement. Elle était pourtant impatiente de passer du temps avec son frère qu’elle avait trouvé bien morne lorsqu’elle l’avait croisé. Aux dires de Sélène, le jeune homme restait souvent dans sa chambre à lire des livres qu’il avait déjà lu. Elle avait donc décidé de repousser une réunion avec le conseil pour lui rendre visite.

Elle le trouva comme elle s’y attendait, assis en tailleur sur son lit, un livre posé sur les jambes.

« Kal, tout va bien ?

  • Oui, fit-il en levant à peine le nez de sa lecture.
  • Nous aurons davantage de temps bientôt, et nous pourrons faire tout ce que tu veux, fit-elle d’une voix encourageante, en attendant, pourquoi ne pas sortir d’ici et trouver de quoi t’occuper ?
  • Parce que les domestiques n’ont de cesse de me dévisager, que dès que j’entre dans une pièce, tous se taisent et que je ne peux même pas parler à Sélène sans qu’on trouve cela étrange. Tant que je reste ici, personne n’est troublé par ma présence.
  • Nous avons réfléchi à ta demande de faire de Sélène notre dame de compagnie, nous en avons également parlé à Zorian, l’informa-t-elle en fermant son livre pour capter son attention, cela risque de paraître étrange…
  • Pas plus étrange que lorsqu’elle est devenue ma femme de chambre, lui souligna son frère.
  • Mais… reprit-elle en posant son index sur ses lèvres, nous allons le faire. Nous voulions que tu puisses lui annoncer toi-même, donc nous ne lui avons encore rien dit. Tu devrais aller la retrouver, elle est à la bibliothèque.
  • Es-tu certaine ? l’interrogea Kaldrys qui peinait à croire que Zorian lui-même avait validé ce changement.
  • Absolument ! Nous ne pouvons nier le soutien qu’elle a été pour toi et qu’elle est encore. Aussi avons-nous décidé de ne pas t’en priver. Si elle fait ton bonheur, alors elle fait le nôtre. »

Kaldrys déposa un baiser sur sa joue puis il la serra contre lui. Khiara sut qu’elle avait pris la bonne décision.

« Mais attention, nous aussi nous voulons passer du temps avec toi ! protesta-t-elle en feignant de bouder.

  • Bien sûr ! Et personne ne peut plus nous en empêcher.
  • Allez, sors de cette chambre et file la retrouver. »

Kaldrys se leva d’un bond, fit rire sa sœur en s’inclinant de façon exagérée puis quitta sa chambre en direction de la bibliothèque. Il pensait y retrouver Sélène seule, mais plusieurs femmes de chambre s’échinaient à nettoyer çà et là. Dès qu’il entra, les têtes se tournèrent vers lui et le silence s’imposa. Elles s’inclinèrent à son passage tandis qu’il avançait en cherchant sa bien-aimée du regard.

« Votre Altesse ? Avez-vous besoin de quelque chose ? l’interrogea Émilie.

  • Je cherche Sélène, elle n’est pas ici ?
  • Je suis là, Votre Altesse » fit celle-ci en se relevant de derrière une pile de livres.

Elle peina à masquer un sourire en le voyant. Il lui sembla particulièrement enjoué et cela lui mit du baume au cœur. Elle s’avança et attendit de voir ce qu’il lui voulait.

« J’ai à te parler, commença-t-il, conscient que toutes écoutaient leur conversation avec attention, d’une décision de ma sœur. Elle manque de temps, c’est pourquoi elle m’a envoyé et… nous devrions en discuter ailleurs. Suis-moi je te prie. »

Ils sortirent dans le couleur désert, et aussitôt le regard saphir de Kaldrys se fit plus doux. S’il n’avait pas été inquiété par la perspective d’être surpris, il se serait autorisé à l’embrasser. Mais avec autant de femmes de chambre à proximité, curieuses et jalouses, il se retint.

« Qui a-t-il, Votre Altesse ?

  • Si cela te convient, tu vas devenir la dame de compagnie de la reine » chuchota-t-il pour être certain que personne ne l’entende.

Il était hors de question que ragots et rumeurs – qui allaient souvent de pair – se répandent au palais.

« C-C’est… c’est vrai ? Votre sœur n’est pas contre ?

  • Elle sait ce qui est bon pour son jeune frère, rit-il. Et même Zorian a approuvé.
  • Pardon ? Il a… ? Eh bien, nous pouvons dire que les choses changent.
  • Acceptes-tu ?
  • Évidemment ! J’en serais ravie, d’autant plus si cela me permet de pouvoir passer du temps avec vous.
  • J’ai oublié de lui demander quand cela prendrait effet, mais… j’imagine qu’en tant que prince, je peux disposer de toi comme je l’entends et donc t’emmener avec moi pour une balade à cheval dès maintenant.
  • Vous pouvez… disposer de moi ? répéta-t-elle en arquant un sourcil.
  • Tu es libre de refuser si tu le souhaites.
  • Faire le ménage… ou passer du temps avec vous ? Quel dilemme ! » ironisa-t-elle.

Le sourire qu’affichait Kaldrys la remplit de joie. Il l’attrapa par la main et commença à la tirer en direction de la chambre royale avant qu’elle ne l’interrompe :

« Quelqu’un risque de nous voir, il vaudrait mieux garder nos distances. »

Le sourire du prince retomba tandis qu’il la libérait de sa prise, et la mine renfrognée, il pesta :

« Un jour, nous pourrons nous tenir côte à côte sans que personne ne trouve à y redire.

  • Bientôt, je l’espère. En attendant, nous pouvons tout de même passer du temps ensemble. Mais… Kaldrys… peut-être est-ce un peu tôt pour une balade à cheval.
  • Mais… cette perspective semblait te plaire.
  • Bien sûr, cependant, après réflexion, ce serait étrange que nous quittions le palais ensemble, non ? »

Il soupira, constatant que la jeune femme avait raison. Déçu, il la regarda d’un air désespéré.

« Pourquoi ne pas nous promener dans les jardins ? proposa-t-elle en glissant vers lui un sourire tendre.

  • Les domestiques ne vont-ils pas nous voir ?
  • Vous vouliez me parler, plusieurs femmes de chambre peuvent en témoigner, non ? Et tout le monde sait que la marche est un excellent moyen d’alimenter une conversation.
  • Bien, alors, allons-y ! »

Son entrain était revenu, ses yeux pétillaient de nouveau.

Tandis qu’ils marchaient, Sélène observait les différentes plantes du jardin et Kaldrys répondait à ses questions sur celles-ci. Le jardin était si grand qu’elle se demanda s’ils retrouveraient un jour leur chemin vers le palais. Elle songea qu’être perdue ici avec le jeune homme serait loin d’être une mauvaise chose. Ils pourraient enfin ignorer le regard du monde et faire tout ce dont ils rêvaient. Il n'y aurait plus ni différence de rang ni convenance ni protocole ennuyeux. Juste lui et elle.

« Votre Altesse ? » les interrompit une voix.

Derrière eux se tenait Cassian. Les traits de son visage étaient tendus et une lueur d’incertitude passa dans ses yeux.

« Veuillez me pardonner de vous déranger ainsi, mais j’aurais aimé m’entretenir un instant avec vous. »

Sélène allait s’éloigner, mais il la retint :

« Restez, il n’y a rien de secret et Khiara m’a déjà parlé de votre relation. Voyez-vous, elle et moi... nous nous sommes toujours bien entendus.

  • Que voulez-vous, Cassian ? s’impatienta Kaldrys.
  • Vous n’êtes pas sans savoir que j’aime votre sœur, et… l’inverse étant réciproque… je voudrais vous demander sa main. Votre père n’étant plus là, vous me sembliez tout indiqué pour cette demande.
  • Vous me demandez la permission de l’épouser ?
  • Oui.
  • Mais qui suis-je pour décider à sa place ? Khiara n’a nullement besoin de mon aval. Demandez-lui à elle !
  • Oh, mais… la tradition…
  • Je me moque de la tradition et vous devriez en faire autant. Elle nous condamne à répéter constamment les mêmes fautes. Pensez-vous que Khiara n’a pas son mot à dire à propos de son propre mariage ?
  • Pour vous dire la vérité… c’est elle qui m’a fait sa demande. »

Kaldrys leva un sourcil sceptique, alors il se justifia :

« Elle a voulu savoir si cela me gênerait d’être seulement roi consort et… j’ai dit non.

  • Ah oui ? s’étonna Kaldrys.
  • J’étais dans l’erreur lorsque je vous ai dit que gouverner n’était pas le rôle d’une femme, il est vrai. Je m’en rends compte davantage aujourd’hui en vous connaissant tous les deux. Khiara est une femme, et vous êtes un homme, pourtant vous êtes exactement pareils. Pas seulement physiquement. Vous êtes tous deux déterminés, courageux… profondément entêtés, rit-il, et votre vision des choses n’a jamais manqué de clairvoyance. Je ne doute pas que votre sœur aurait été à la hauteur de vos exploits. Elle m’a déjà demandé de lui apprendre l’escrime ! Nul ne doute que s’il devait y avoir de nouveau une guerre, elle serait prête à prendre l’épée et à nous porter vers la victoire ! Pour être honnête, je me sens un peu stupide désormais. Vous ne m’entendrez plus dire d’une quelconque manière qu’une femme n’est pas l’égale d’un homme.
  • Pourtant vous venez de me demander sa main comme si elle n’était qu’un vulgaire objet », lui souligna-t-il sur un ton sérieux.

Si le pauvre Cassian était mal à l’aise et ne savait plus où se mettre, Sélène avait compris que Kaldrys s’amusait à le tourmenter. Elle tourna donc vers lui un regard entendu auquel il répondit par un sourire.

« Je vous taquine, Cassian, avoua-t-il. Si vous avez déjà répondu à Khiara, nul besoin de mon approbation. Elle a toute ma confiance.

  • Mais je tenais tout de même à l’avoir. Je sais combien elle vous aime, et je ne voulais pas risquer de ternir votre relation si vous ne vouliez pas de moi pour beau-frère.
  • Bien, je suis d’accord », fit Kaldrys en songeant que l’attention du jeune homme prouvait combien il tenait à sa sœur.

Une joie immense s’empara du soupirant et il faillit partir annoncer la bonne nouvelle à Khiara sans même prendre congé.

« Je vous remercie, Votre Altesse, fit-il en s’inclinant.

  • Appelez-moi Kaldrys, si nous devons faire partie de la même famille, abandonnons ces formalités.
  • Bien, Kaldrys », répéta Cassian en s’inclinant de nouveau.

Il fit un signe de tête à Sélène puis repartit en direction du palais. Cette dernière posa sur le prince un regard empreint de tendresse.

« Je suis fière de toi », murmura-t-elle doucement.

Kaldrys se tourna vers elle, surpris, puis une ligne fendit ses lèvres. Et tandis qu’il la détaillait amoureusement du regard, il songea à ce qu’avait été sa vie avant leur rencontre. Puis il dit sur un ton affecté :

« Sélène, je tenais à te remercier, j’ai conscience que… tu m’as sauvé.

  • Comment cela ? Je n’ai ni courage ni épée, et je n’ai affronté aucun ennemi, fit-elle avec un sourire sans comprendre où il voulait en venir.
  • Cet ennemi-là était invisible. C’était… ma propre peur. La peur d’être différent, de n’être pas assez bien pour que l’on m’accepte. J’ai été dur avec toi, pourtant tu m’as toujours tendu la main. Je me suis souvent demandé si tu me comprenais, désormais c’est une certitude. Et je dois avouer que cela me réconforte beaucoup. Je sais qu’avec toi, j’ai le droit d’être imparfait. Je… suis peut-être trop honnête… ? »

Les joues rouges, il détourna le regard se disant qu’il en avait trop dit et qu’il devait lui paraître bien sentimental tout à coup.

« Ne sois pas embarrassé, je suis honorée que tu ais suffisamment confiance en moi pour me dire tout cela, le rassura Sélène. Ne crains jamais de me dire ce que tu as sur le cœur.

  • Voilà qui appuie mon propos, fit-il tandis que son visage se détendait.
  • J’ignore si je te comprends aussi bien que tu le souhaiterais, mais je te promets de toujours essayer de voir au-delà des apparences. »

Le cœur du prince se souleva dans sa poitrine et il posa un regard profondément épris sur la jeune femme. Il se rappela toutes ces heures enfermées dans le noir, glacé jusqu’aux os dans le refuge à espérer un jour avoir un ami. Une personne autre que sa sœur à qui il pourrait vouer une confiance aveugle, à qui il pourrait tout raconter.

Et il l’avait finalement trouvé.

« J’ai reçu une lettre aujourd’hui. Beau et Jésami m’ont proposé de les rejoindre à Oryn. Ils doivent rendre visite aux parents de Jésami. M’accompagnerais-tu ?

  • Oryn ? Mais c’est loin, non ? Il faudra que je prévienne mes parents !
  • Est-ce un oui ?
  • J’en serai ravie, mais cela ne va pas paraître étrange ?
  • Sélène… Lorsque je songe au futur, je songe à toi et moi. Ensemble. Unis. »

Sélène l’admira ; elle trouvait à son sourire un charme envoûtant et ne se lassait pas de le regarder. Que n’aurait-elle pas donné pour qu’il ne cesse jamais…

« Cette perspective me plaît ! Mais il nous faudra être patients. Que comptes-tu faire en attendant ? demanda-t-elle.

  • Vivre. »

Annotations

Vous aimez lire Charlie V. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0