Chapitre 17:Stone 

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Ses jambes tremblaient, mais elles couraient toujours — frappant la terre humide, éclaboussées de boue et de larmes.
Derrière elle, le camp brûlait encore.
Chaque craquement de branche explosait dans son crâne.
Le souffle court, le cœur serré, elle cherchait un repère, une silhouette, une figure familière.
Elle n'osait pas s'arrêter. Pas maintenant.
Sa robe en lambeaux, sa peau couverte de griffures — mais la blessure la plus profonde hurlait en elle, là où rien ne saignait.

Tout... tout était fini.
Tout avait brûlé.
En une fraction de seconde, son petit monde s'était effondré en cendres.
Elle n'était déjà personne — et n'était plus rien.
Un être sans attache, sans mère, sans père, sans nom.

Quand enfin ses genoux cédèrent, elle s'effondra dans la mousse, haletante, les yeux embués de larmes. Ses doigts s'enfoncèrent dans la terre comme pour y chercher refuge.
Elle aurait voulu disparaître sous les racines, ne plus jamais revoir le ciel, ne jamais avoir existé.

Le monde lui-même semblait terrifié.

Hector se retourna, satisfait.
Il la toisa longuement, des pieds à la tête, comme on observe un animal blessé mais docile.
Sa voix, douce et mielleuse, couvrit le tumulte de son esprit.
— Calme-toi. Tu es en sécurité maintenant. Avec moi.

Elle n'entendait presque pas ses mots.
Dans ses oreilles bourdonnaient encore les cris étouffés, le souffle du feu, et ce silence immonde qui lui collait à la peau.
Son corps tremblait, secoué de spasmes invisibles.

Elle se jeta dans ses bras — non par confiance, mais par panique, par instinct.
Terrifiée à l'idée de perdre la dernière chose qui lui restait : un mentor, un espoir, un père.
Elle avait honte de sa lâcheté, honte d'être faible, incapable de survivre seule.

Il passa son bras autour de ses épaules pour la soutenir.
Elle ne protesta pas.
Peut-être parce qu'elle n'en avait plus la force.
Peut-être parce qu'elle avait besoin, plus que tout, de croire en quelqu'un.

— Regarde-moi, souffla-t-il en penchant le visage vers le sien. Tu n'as plus à t'inquiéter. Je vais t'aider.

Elle hocha la tête, muette.
Au fond d'elle, quelque chose hurlait qu'elle devait fuir.
Mais où aller ?
Elle n'avait plus Shara.
Elle n'avait plus rien.

Il la souleva et la posa sur son cheval avant de grimper à son tour.
Un dernier regard vers la forêt — la fumée, le sang, les cendres.
Au loin, les échos de la guerre hurlaient encore.
Mais Élise se força à croire qu'elle avait fait le bon choix.
Ici, il n'y avait que la désolation.
Là-bas, le silence.

Élise n'en savait plus rien. Le temps se dissolvait dans la fatigue, la boue, les secousses de la route.

Hector ne tenait plus qu'une coquille vide entre ses mains — l'ombre d'un corps calciné.
Elle ne voulait plus réfléchir, plus penser.
Qu'est-ce qu'il lui restait, au fond ?
De l'éther. Du poison dans ses veines. Des cauchemars. De la douleur.

La cime des arbres laissa place aux montagnes escarpées du Sud.
Au loin, encastrée dans un pic enneigé, la cité apparut.

Forclés.

Dressée sur un éperon rocheux, la ville ressemblait à une muraille taillée dans la montagne elle-même.
Les toits d'ardoise étincelaient sous la pluie fine, et les hautes tours du palais dominaient tout — des lances braquées contre le ciel.
Une fumée épaisse s'élevait des longues cheminées ; le métal chauffé à blanc, Forclés vivait au rythme de la guerre.
C'était un roc carré, contre nature, une insulte au ciel — un monolithe froid et autoritaire.

Ici, vous ne mourrez pas de froid.
Ici, il n'y a pas de roi.
Ici, il n'y a que le feu des forges.
Ici, il n'y a que la foi du fer.

Sous la cape trempée d'Hector, Élise grelottait.
Elle sentit son ventre se nouer.
Jamais elle n'avait vu autant de soldats au même endroit : des colonnes d'hommes en armes, des bannières sombres claquant au vent, des cavaliers au pas cadencé.
Chacun portait l'écusson de la famille qu'Hector servait — un blason rouge et noir, marqué d'une hydre.
La ville, au passage d'Hector et de Fabius, semblait cesser de respirer pour ne pas souiller leur air — prière pour les uns, salut militaire pour les autres.

— Regarde, murmura Hector en se penchant vers elle.
C'est ici que commence ta vraie vie.

Sa main serra son épaule, presque trop fort.

Ils franchirent la première herse, puis une deuxième, puis une troisième, le chateau l'avalait entière.

Le choc du fer faisait vibrer le sol, les chaines ponctuant les chuts.

Au-delà, les rues étroites grouillaient d'enfants crasseux, de mendiants, de femmes courbées sous les charges. Les gardes les repoussaient du plat de leurs hallebardes pour laisser passer le cortège.

Les regards se posaient sur eux, surtout sur elle. Élise se recroquevilla davantage, elle était une pouilleuse qui avait été touché par la grâce, une élu.

Les murs n'étaient plus de pierre brute mais de marbre poli, les gardes portaient des armures ouvragées, les torches diffusaient une lueur dorée. Forclés avait deux visages : la misère des rues et le faste des hauteurs, l'air semblait plus frais, plus respirable, loin de la chaleur lourde et âcre de centre, le bastion de forclès n'était que froid et légèreté.

Au sommet des marches, un homme au corps bouffi, vêtu de parure les attendaient. Ses yeux fouillèrent Élise avant même qu'il ne salue Hector.

Ses paupières étaient grasses, l'empêchant de pleinement ouvrir les yeux,

La jeune fille avait l'impression qu'il la dévorait du regard, et que si elle voyait sa pupille elle aurait vue l'intérieur de son œsophage.

Sa peau était marqué de tâche marron ou rouge, parsemé de bouton purulent à peine masqué

— Quelle belle merveille nous as tu ramené mon bon Hector ? dit-il d'une voix gutturale.

Élise frissonna, observant le menton de cette être bougeant comme un dindon à chaque mot.

Le vêtement bien que ample arrivait à peine à cacher son obésité, à chaque mouvement tout son apparat teintait.

Elise fixa son regard sur une tâche de sauce sur son torse, elle luisait de gras et était encore fraiche.

Hector posa une main sur sa hanche.

— Elle est sous ma protection. Elle apprendra. Elle s'intégrera.
— Oh, je n'en doute pas, répliqua l'homme avec un sourire mince. À Forclés, tout le monde à sa place.

Les lourdes portes se refermèrent derrière eux.

Pour Élise, la cité se transforma en forteresse. Et la promesse d'un foyer, en geôle.

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