Dansons jusqu'à la mort

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Peut-on désigner comme "beau" n'importe quoi sous prétexte que la beauté est subjective ? Une question compliquée n'est-ce pas ? Prenons un exemple: Le spectacle.

Alors qu'une foule de personnes s'agglutinait dans l'immense demeure du maire, qui avait invité de nombreuses figures de la bourgeoisie afin de fêter la naissance de son fils, des brigades de police étaient postées tout autour. Tels des rapaces, ils surveillaient les moindres faits et gestes de chaque invité et passant. De temps en temps, un domestique venait leur apporter de quoi se réchauffer. C'est qu'il faisait froid en ce 24 décembre bien qu'aucune neige n'avait encore pointé le bout de son nez. Peut-être qu'elle souhaitait se faire désirer ? Quelle sournoise, cette neige. Mais elle avait raison. Il ne fallait pas se montrer nu. Une belle soie rouge était toujours plus agréable.

Observant le ciel qui se coiffait de sombres nuages, le domestique souffla sur ses doigts à la limite du bleu. Qu'il rêvait de pouvoir mettre ses gants si doux et confortables que les aristocrates comptaient par dizaines. Enfin, il n'était pas l'heure à la rêverie. Un événement important se déroulait aujourd'hui et il se devait de faire plaisir à toute l'assemblée. Il exécutera la plus somptueuse des représentations en l'honneur de l'enfant que son supérieur montrerait au monde.

Voilà déjà deux heures que la fête avait débuté. L'orchestre se plaisait à faire résonner leurs violons, leurs flûtes ainsi que d'autres instruments qui n'hésitaient pas à surprendre les valses des invités. Les femmes virevoltaient dans leur robe sertie de pierres précieuses et bijoux en tout genre alors que les hommes les guidaient tout en resserrant l'emprise que leurs mains exerçaient sur elles. Devant cette scène où la supériorité masculine se cachait sous des airs de galanterie, le domestique marchait en direction du maître de maison qui enchaînait les verres de champagne. Aucune trace de son fils, ni même de sa femme, comme si cette soirée lui était destinée. Il riait bruyamment, finissait plusieurs bouteilles, lançait des paroles piquantes sans pour autant craindre une quelconque représaille. En effet, les gens autour de lui riaient moins fort, buvaient moins et lui accordaient de douces paroles. Face à ce spectacle, le domestique se mit à imaginer ce qui se passerait si le maire n'avait pas été duc. Il lâcha un maigre rire et s'approche de son maître. Prenant la voix la plus timide mais aussi la plus forte, il parla à son oreille:

 "Madame la duchesse désirait pouvoir présenter l'enfant."

Le duc fronça des sourcils et se tourna vers lui, levant d'un air dédaigneux le menton.

 "Qu'elle attende. Il y a toujours un meilleur accueil lorsque l'enfant est parfaitement apprêté.

 - Ce n'est pas plutôt car vous en avez honte ? Je parle bien entendu de votre fille."

A chaque seconde, où le regard du maire se décomposait tout comme celui de ses amis, un sourire terriblement satisfait se dessinait sur le visage du domestique. Son regard semblait s'assombrir légèrement bien qu'un éclat y surgissait. Furtive mais bien présente, donnant un avant-goût de la suite.

Ce fut rapide pour un sourd. Mais pour les spectateurs qui dansaient au rythme de la mélodie, tout se déroulait lentement. En crescendo, une lame trancha un coup, arrachant un hurlement à cette vue. Dix autres suivirent mais bien vite fauchés par cette même lame. Tout en tournoyant, bercé par la mélodie qui s'était déjà arrêtée depuis bien longtemps et les cris alentour, le meurtrier taillait, plantait, abattait tous les spectateurs.

Lorsqu'il tournait ainsi, il rencontrait les différents regards. Pour la plupart terrifiés et dégoûtés, quelques-uns se démarquaient par une fascination devant son acte. A ce moment-là, le jeune homme cessait de tourner pour sautiller d'un pied à l'autre jusqu'à eux et leur trancher la jugulaire, s'imprégnant de l'odeur somptueuse de leur sang. Aucun ne pouvait fuir. Aucun n'avait le droit de fuir. Pas temps qu'il n'avait fini son spectacle.

Un pas vers la droite, un petit saut pour se retourner, un grand pas vers la gauche, un grand saut en avant, une gorge en morceau. Tout comme une petite fille, il se plaisait à sautiller ainsi. De temps en temps, il jouait à cache-cache pour surprendre l'assistance. Le domestique prenait alors leurs mains pour les tirer contre lui et virevoltait avec tout autant de grâce que le pouvait un tissu en soie. Son regard s'ancrait chez sa partenaire dont il caressait chaque parcelle de son visage, de ses yeux, de son âme. Plus il s'ancrait, plus celle-ci en oubliait le sang imbibant sa robe claire. Et cette danse continuait avec chaque personne jusqu'à ce que les seuls restant soit derrière la police.

Police qui n'eut le temps que de voir et d'entendre qu'une chose: Un homme au milieu d'un bain de sang, exécutant une remarquable révérence tout en retirant d'un coup sec son masque de domestique. Se redressant, il se vêtit d'un masque de théâtre avant de braquer ses yeux plus clairs que la Lune vers les brigades:

" J'espère que cette petite représentation aura été à votre goût. Au plaisir de vous retrouver pour une prochaine danse."

Il disparut dans l'ombre des cadavres, comme si la Mort en personne venait l'aider. A ce moment là, les flocons de neige commencèrent à tomber sur la demeure, recouvrant par endroit l'herbe ensanglanté et s'en imbibant ailleurs.

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