Le vide

4 minutes de lecture

Une journée de plus. Encore. Toujours.

Une journée supplémentaire où il faut se lever, une journée où encore une fois le travail durera une éternité, où je me sentirai bridée, bâillonnée par un chef qui demande plus de productivité et moins d’humain. Le chiffre prenant le dessus sur les sentiments, les clients, de plus en plus inhumains et une paye stagnante dans un monde qui coûte toujours plus cher.

Une journée de plus à faire semblant de pouvoir gâter une enfant alors que ce n’est pas le cas, une journée à faire semblant que tout va bien, même si le bonheur s’effrite un peu plus chaque jour.

Mais c’est une nouvelle journée et il faut la vivre, la survivre, non ?

Une main sur la poignée de la porte, je m’apprête à sortir lorsque je me rends compte que j’ai oublié mes clés, j’opère un demi-tour, m’en empare et ouvre enfin la porte pour sortir.

Habituellement, je me retrouve en principe sur le palier de mon appartement, mais cette fois-ci ce n’est pas le cas. Happée par le néant, je me retrouve projetée dans le vide.

La panique s’empare de moi, j’essaye de faire demi-tour, de m’accrocher à quelque chose mais il n’y a plus rien de palpable, ni devant, ni derrière. Je hurle, mais le son de ma voix paraît étouffé, comme s’il n’avait aucuns murs sur lesquels se répercuter.

Fatiguée de gesticuler en vain, je me replis sur moi-même, ne sachant même pas si je flotte ou pas, je remonte mes jambes contre moi et j’attends. Peut-être que je rêve ? Peut-être pas. Peut-être qu’attendre suffira pour que ça s’arrête.

Je ne bouge pas, dans l’expectative de…Quoi ? Je vais être en retard au travail. Peu importe, je déteste mon travail, non, en fait c’est mon responsable que je déteste, la confrontation aussi. Les deux vont ensemble de toute façon, j’ai détesté devoir le confronter et c’est ce que je hais le plus en lui. Je le hais tellement que j’ai envie de pleurer.

Pourquoi j’ai envie de pleurer ? Je ne pleure pas, pleurer c’est montrer une part trop intime de moi. Je déteste ça. Mais être ici, à virevolter de pensée en pensée aussi, je déteste. Pourquoi ne pas plutôt retourner à ce bon vieux déni et reprendre la route pour aller travailler ?

Ah, c’est vrai. Le vide, le noir. Les pensées, les idées noires.

C’est bien ça le problème du silence, il laisse trop de place à l’imagination. Et le noir laisse aussi entrevoir des ombres que je préfère ignorer, quitte à cacher le nez sous la couette.

C’est beaucoup de travail d’enfouir tout ça sous le tapis sans que personne ne s’en rende compte, alors pourquoi je suis là ? J’aimerai sortir, je veux voir la lumière et écouter quelque chose, n’importe quoi. Une conversation à la dérobée, de la musique, un podcast, n’importe quoi qui comblerait le vide.

Qu’il est assourdissant ce silence ! il me force à parler, parler en silence. A mettre en lumière ce que j’aime tant ignorer. Il me force à penser que même si je souris, même si je fais comme si tout allait bien, Mamie s’en va toujours petit à petit et Papi la suit de très près. Je crains d’affronter non pas ma tristesse, mais celle de Papa. Oh comme il va être triste Papa, inconsolable de perdre ses parents. Et comme ça me brise de le savoir si triste sans rien pouvoir faire. J’aimerai prendre sa douleur, j’aurai aimé prendre celle de Maman, quand elle a perdu ses parents aussi. Bien sûr qu’à moi ça me fait de la peine, bien sûr que j’ai aimé et que j’aime encore ces personnes, mais qu’est-ce que l’amour qu’on porte à ses grands-parents en comparaison à celui qu’on porte à ses parents. Alors je me tais, j’essaye d’être forte pour eux, et je continue à aller au travail et je continue à supporter cet exécrable faux gentil qui me sert de chef, ce petit homme au petit pouvoir qui pense avec son grand égo.

Pourtant, j’ai envie de hurler, de casser et de taper du pied, je veux être à nouveau une enfant qui trouve un moyen d’extraire tout ces sentiments hors de ma poitrine qui se serre et qui renferme trop de choses. Je veux que ça sorte, quitte à avoir mal pour me débarrasser de tout ça.

Alors je pousse un cri, plus fort que quand je me frappe le petit orteil contre le coin de la table basse, plus fort aussi que dans un manège a sensation forte, plus fort que quand je chante en boite de nuit en dansant, attendant avec impatience les acouphènes du lendemain, causés par des enceintes réglées trop fort.

Je ferme les yeux et je crie encore, je me débats, je frappe le vide avec les mains et les pieds, sans me soucier qu’on me prenne pour une folle, qui le pourrait ? je suis seule ici.

Et lorsque j’ouvre les yeux, je suis sur le pallier de chez moi à nouveau, les clés dans la main.

La voisine me regarde curieusement. Je regarde curieusement ma voisine.

Finalement je rentre chez moi et je prends mon téléphone. Une sonnerie, une deuxième…

- Bonjour Chef, je vais être absente aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que je démissionne.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Ninanto ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0