06.Professionnalisme et défouloir

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Brett

East Downtown, Houston, Texas

Octobre 2023

A l'instant où je franchissais le seuil de mon bureau, Alec m'attrapa par le bras, me foudroyant littéralement du regard. Oh, mon pote, je connais très bien ces yeux. Avec un soupir volontairement bruyant, je refermais la porte tandis qu'il marchait vers le centre de la pièce en griffonnant sur son calepin, signe qu'il voulait garder cette conversation discrète. Il me plaqua littéralement sur le torse son papier d'un geste rageur.

« Vire-là. Sur le champ. »

Sérieusement ? Je relevais les yeux vers lui, abasourdi.

Tu rigole, j'espère ? Laquelle d'ailleurs ? Angélina ? Elle a un talent inouïe !

Sous sa négation impérieuse de la tête, mon sourcil se haussa d'incrédulité. C'était la première fois qu'il prenait autant en grippe une nouvelle embauche sans avoir même pris le temps d'étudier son cas.

Joyce ? C'est de Joyce dont on parle ? Tu te rends comptes de ce que tu me demande, mec ?! On va pas s'asseoir sur un puit de science et d'analogisme pour un délit de faciès mal placé. Quoi, ça veut dire quoi ce plissement d'yeux ? C'est qui, un de tes anciens plans cul, c'est ça ?

Les mâchoires d'Alec tressautèrent, signe qu'il les serraient à s'en faire péter une dent.

Quoi, c'est toujours d'actualité, elle et toi ?

Ce fut mon tour de m'inquiéter. Qu'est-ce que tu as foutu, Alec ? Il griffonna une nouvelle fois sur son calepin avant de me le tendre, avec une sorte d'hésitation.

« C'est beaucoup plus compliqué que ça. Je peux pas bosser avec elle, c'est tout. »

Cette fois, c'était ma propre mâchoire qui se décrocha presque. C'est pas possible. Me dis pas que...

C'était du sérieux ?

Lui, en couple de façon officielle ? Pour de vrai ? C'était une ex-COPINE, une VRAIE de chez VRAIE ? Il grogna en croisant les bras, sans assortir son attitude d'un quelconque signe contrevenant à ma question. Bon, pas de panique.

— T'avoir comme rédac-chef ne semble pas faire peur à Joyce, donc il n'y a pas de problème.

Le PDG d'A.J. Investigation émit un claquement de langue désapprobateur et récupéra son instrument de discussion de mes mains.

« Le problème, c'est Carson. Débarrasses-toi d'elle. »

— Bon, ok regardes bien bouger mes lèvres là, je refuse de la foutre à la porte moi-même tant que tu ne me donneras pas une raison valable de le faire. Que vous soyez sortis ensemble n'en est pas une et ça sort du domaine pro, tu le sais parfaitement, affirmais-je avec aplomb.

Avec un expire méprisant et un rire chargé de dédain, il me répondit une nouvelle fois par écrit.

« C'est toi qui ose parler de professionnalisme ? »

Bon je l'avais cherché, celle-là. Il était vrai que j'avais de temps à autre quelques peu fait fît de la compétence au profil de l'apparat lors de précédents recrutements. Je me raclais la gorge avant de poursuivre.

— C'est moi qui me chargerai des dossiers sur lesquels elle bossera, tu n'auras que peu, voir aucun contact direct avec elle. Et tu m'as donné ta parole. Un mois.

Un duel de regard entre nous s'amorça, auquel mon officiel supérieur fini par céder d'un geste rageur.

— Ca vaut le coup de la garder, Alec, je le sens, fis-je avec sympathie. Et je ne sais pas ce qui s'est passé entre vous, mais ne laisses pas le personnel obscurcir ton jugement. Tu as besoin de temps, et elle est l'un des éléments capable de te le fournir sur un plateau d'argent.

Alec

Brenham Ct, Houston, Texas

Octobre 2023

Je sortis de la douche avec l'impression d'avoir percuté un trente-six tonnes. Chacun de mes muscles se voulaient toujours endoloris suite à l'excès de zèle que j'avais fourni à l'entrainement de musculation. Il était près de minuit, et le simple fait de ressonger à la journée écoulée m'avait ôté toute sensation de sommeil. Carson. De toutes les femmes potentiellement douées que Brett auraient pu embaucher, il avait fallu que ce soit elle. Son prénom roula dans mon esprit jusqu'à m'en refiler la gerbe. Joyce, putain.

Je me souvenais très bien de son visage impassible et maitrisé que seuls ses iris bleus s'étaient permises de contredire de façon manifeste, lorsque je les avaient croisé un peu plus tôt. Mon absence de réaction était sans conteste suffisamment convainquant pour la laisser dans le doute et ça me suffisait. Rien n'était pire pour une femme comme elle que l'indifférence. Elle qui prétendait vouloir être invisible, j'allais lui montrer ce que cela signifiait vraiment.

Lycée public de Springer, Oklahoma

Novembre 2010

Encore une putain de journée dans un endroit où je ne voulais pas être. Des regards tantôt méfiants, tantôt effrayés parmi ceux qui avaient le malheur de croiser le mien, assassin. La rumeur qui courait sur mon mutisme, attisée par la conseillère d'orientation, allait bon train, me rendant encore plus barge que je ne l'étais depuis des mois. Si seulement j'avais pu passer plus de temps en convalescence...

Et la seule qui avait eu le culot de me regarder dans les yeux, je lui avait bien vite fait de lui faire entendre de baisser les siens. Comme si le destin avait décidé de mettre au défi ma patience, il avait fallu que la bègue soit ma voisine de classe à la moitié des cours de la semaine. J'eus tôt fait de comprendre qu'elle se faisait victimiser par la majeure partie de la classe. Une belle brochettes de connards prétentieux pour la plupart, les autres n'étaient que des suiveurs qui souhaitaient bien se faire voir de leurs objets d'idolâtrie. Branquignols de mes deux. Tiens, puisqu'on en parlait...

Au détour d'un couloir, j'entendis l'accès de colère faiblards de la part de la bègue face à un mec qui l'humiliait sous les commentaires rabaissants d'une autre nana. Ben voyons. Ca lui apportait quoi ? En passant devant le gars blond, je l'attrapais par le cou pour l'envoyer valser dans le couloir. Il trébucha pour s'écraser au sol et se releva avec l'aide de sa copine. Ses yeux se plantèrent dans les miens, hésitant quant à la démarche à suivre. Avances, reviens à la charge ducon, j'attends que ça. Sans en être vraiment étonné, je le vis faire machine arrière. Dommage. Une légère pression se fit sentir sur mon bras, et je me retournais pour voir la petite blonde lever vers moi un visage empreint de reconnaissance. Et merde, me regardes pas comme ça, toi...

Je me dégageais sans ménagement, rompant tout contact. Je vis ses doigts se resserrer autour de son classeur et je lui offris un sourire mesquin avant de fouiller ma poche droite. Muni d'un stylo, je lui ôtais des mains son bien, l'ouvrais avant de griffonner sur la page de présentation sans aucune vergogne et le lui rendit. Voilà qui devrait la refroidir. Son expression interrogative se décomposa à la lecture de mes mots libres uniquement sur le papier, tandis que je la contournais me préoccuper plus de son cas.

« Te fais surtout pas d'illusions la bègue, je cherche juste un défouloir, pas des amis. Touches-moi encore et je te casserais les doigts un par un. »

Il était hors de question que je laisse qui que ce fut prendre de nouveau une quelconque importance à mes yeux. Jamais plus...

Brenham Ct, Houston, Texas

Octobre 2023

Sauf qu'évidemment, l'histoire ne m'avait pas donné gain de cause, loin de là. J'ouvris les yeux en expirant profondément. Pourquoi Joyce ? Pourquoi est-ce qu'elle déboulait de nouveau dans mon monde ?

Après deux longues heures, le sommeil fini par avoir raison de mes réflexions et m'emporta.

A. J. Investigation, East Downtown, Houston, Texas

Octobre 2023

À mon arrivée en bas de l'ascenseur, miss météo m'offrit un immense sourire et un clin d'œil un peu trop charmé auquel je ne répondis que par un regard froid. Je me comportais comme un connard, peut-être. Au moins, je ne laissais aucune place pour les fausses idées. S'amuser, aucun problème, mais s'attacher ou sortir, ça, c'était même pas envisageable une seule seconde. De toute manière, le temps de Candice ou Candace au sein A. J. Investigation était compté, J - 5.

Lorsque j'entrais dans mon bureau, je je pris place pour relever la présence des rapports des deux nouvelles qui leur avait valu leur embauches. Quand faut y aller...J'examinais sommairement les photographies d'illustrations réalisés par Angélina qui, à mon grand étonnement, étaient incroyablement bien choisis. Vérifiant le matériel utilisé, que Brett n'avait pas manqué de mentionner dans son dossier, je regardais d'un nouvel œil d'autant plus impressionné les clichés. Cette fille a un talent épatant, elle capte toujours la lumière et l'angle à la perfection à chaque clic. Je recherchais son curriculum vitae pour constater que son cursus scolaire était dépourvu d'une quelconque formation en la matière, pas même l'ombre d'un stage. Elle était passionnée, ce qui se ressentait dans son travail. Brett, tu me surprends agréablement sur ce coup-là. C'était presque trop beau de trouver une photographe de terrain aussi douée. S'il s'agissait de « coup de chance » ou si le rendu n'était pas le sien, nous le saurions bien vite. Mes yeux accrochèrent le second rapport à l'en-tête duquel figurait le nom de Joyce et mes mâchoires se contractèrent. La réalité, c'était que je n'avais même pas besoin de jeter un œil à son dossier. Je savais déjà qu'il était de qualité...

Lycée public de Springer, Oklahoma

Novembre 2010

Alors que j'entrais dans la salle de maths, une petite silhouette fine entra en collision avec mon torse. Par réflexe, j'attrapais le poignet de tête de linotte qui m'était littéralement rentrée dedans pour l'empêcher de tomber, alors que pour ma part, je n'avais évidemment pas bronché. Un fouilli de feuilles volantes s'éparpillaient sur le sol l'instant suivant, tandis que je baissais la tête rencontrer les prunelles écarquillée de Mlle bègue. Ben voyons...Je la relâchais dans la foulée et elle trébucha sur l'unique et courte phrase d'excuse avant de s'activer au ramassage de ses cours. Je la contournais en soufflant avant de l'entendre m'apostropher sur un ton de reproche. Je me retournais dans le même temps.

— Hey ! Tu p-pourrais regarder où t-tu marches !

En effet, j'étais entrain d'écraser une de ses feuilles. Je levais le pied avec irritation, pour voir ses sourcils se froisser d'une colère mal contenue.

— T'aurais pu t-t-t'excuser qu-quand même ! Je l'ai f-fait moi.

Et puis quoi encore ? T'as qu'à regarder devant toi, la bigleuse. En grognant, je reposais mon pied sur son cours à l'instant où elle tentait de le récupérer. Je la vis se dévisser le cou, accroupie comme elle l'était pour atteindre une nouvelle fois mon visage, et un sourire moqueur étira les commissures de mes lèvres. Elle a du caractère ou elle se donne un genre ? Parce que, pour lors, je n'avais vu personne me confronter pour exiger des excuses. Encore moins pour des torts partagés. La sonnerie qui retentit amena un vent d'inquiétude sur son expression et elle se dépêcha de rassembler ses affaires pour se relever.

— On en rep-parlera, souffla-t-elle avant de filer.

Je lâchais un ricanement inaudible malgré moi avant de noter que la feuille volontairement coincée sous mon talon y était toujours. Ah. De toute manière on aurait cours ensemble dans la journée. Je la ramassais et l'oubliais dans le fond mon sac.

Après une fin de soirée passée à essayer d'éviter les soins envahissants de ma mère inquiète depuis ma sortie de l'hôsto etle changement de décor — heureusement que mon paternel parvenait à tempérer son côté mère-poule —, je me réfugiais dans le calme de ma chambre, avant de m'étendre sur mon plumard, dans un état proche de la léthargie. Les minutes défilaient telles des heures dans le chaos de pensées auxquelles mon cerveau me soumettait. J'allais encore galérer à fermer les yeux...Et si par miracle je parvenais à m'endormir rapidement, ce serait sans doute pour me réveiller en m'étouffant dans une série de cris intérieurs et de halètements.

Je me redressais d'un seul coup avec colère et saisis mon sac. Fallait que je m'occupe, que je leurre mon putain de cortex. Une feuille tomba sur mes genoux et je l'amenais à ma vue par réflexe.

« ...tes promesses, légèrement proférées sur le ton de tes chuchotements, je ne les entendaient plus depuis si longtemps que j'en ai oublié le fond. N'en reste que la forme, ces contours vagues aux relents indistinct d'inachevé, cette sensation de vide, cet écho insaisissable qui me manque pour te survivre, pour exister, pour me faire une place dans cet espace où ma voix semble de trop...j'ai hérité de ton gout du paradoxe, toi jadis si lumineux et pourtant si invisible aux yeux d'autrui...moi je voulais seulement me cacher parmi les autres, mais les regards sont immanquablement braqués sur les zones d'ombres qui me font malgré moi, qui m'habitent, qui me noie et me prive d'air...Emma a pris de ton éloquence, tu serais si fier d'elle...ce que j'ai pris de toi, c'est l'art de synthèse, je le crois, alors qu'à contrario mes pensées se répandent comme un tsunami dans les circonvolutions de mon cerveau...j'ai tant de mal à exprimer ce que j'éprouve ou désir sans avoir l'impression de me sentir écrasée par le poids des mots, asphyxiée par les sons et, principalement, ceux délivrés ou plutôt extorqués maladroitement par ma bouche qui n'a de cesse de me combattre...et si...»

Je retournais frénétiquement la feuille noircie d'encre en quête d'une suite à cet épanchement douloureux et si bien retranscrit, semblable à un journal, mais ne trouvais qu'un fragment du cours de biologie. Mes doigts frôlèrent les lettres incrustées dans le papier qui transpirait le mal-être et la mélancolie.

Etonnamment, cette nuit-là, j'eus l'impression que, dans mes songes, je n'étais pas complètement seul face aux ombres.

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Bonjour à tous !!!

Je ne le répète pas suffisamment souvent, mais merci à ceux qui prennent le temps de s'intéresser à cette histoire, ainsi qu'à ceux qui s'enhardissent jusqu'à me corriger !

Ce chapitre propose non pas un mais deux flashbacks du passé d'Alec qui, très remonté, refuse d'être amené à travailler avec Joyce, au point de sommer Brett de la licencier (pas ultra intègre comme comportement !).

Dans le prochain chapitre...ben ultra bonne question tiens x) Il devrait débuter par le point de vue de Joyce. Je reviendrai pour une mise à jour de cet avant goût qui manque cruellement de détails - autant que dans la tête de l'auteur -...à bientôt !

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