13.Noël et soutien

8 minutes de lecture

Joyce

Midtown, Houston, Texas

30 Octobre 2023

— Je ne comprends pas pourquoi tu lui as donné ce qu'il voulait, insista Angie en amenant son sandwich vers son visage pour croquer dedans à pleine dents.

Presque une semaine que j'avais été sommé de quitter A.J. Investigation. Je me remettais lentement, mais malgré moi, les séquelles persistaient. Emma, que j'avais retrouvé la veille pour le repas du midi, m'avais fait le commentaire.

« J'ai l'impression que tes stratagèmes ne suffisent plus Microbe, tu bégaies presque autant qu'avant. »

Je reposais le mien en sentant la bile de mon estomac en pleine ascension.

— Je p-p-peux p-pas faire autrem-ment, balbutiais-je difficilement alors que je sentais mon corps se tendre de nouveau malgré moi et baissais le regard vers mon plateau.

J'y arrive pas. J'ai échoué. J'ai pas pu terminer ce que j'ai entrepris. J'ai pas pû.

— Pourquoi cette affaire te tiens tant à cœur ? Me demanda mon ancien binôme avec douceur.

Je levais les yeux vers elle pour découvrir la réelle inquiétude et la sollicitude déborder des siens.

— Ce... ce-c'est pas seulement c-cette affaire l-là, expliquais-je. C'est t-toutes. Tout. Tout ce q-que je...

Son haussement de sourcil révélait son incompréhension. Bon. Je sortis mon portable pour enclencher un son. La musique classique, bien qu'à volume faible, me permis de rassembler mes esprits et mon courage. J'inspirais profondément à plusieurs reprises et me raclais la gorge.

— Pour que tu comprennes...

Lawton (environ 400 miles de Houston), Oklahoma

24 Décembre 2007

Il faisait froid et les premières neiges venaient de tomber tout pile pour les fêtes, et ça me mettait le cœur en joie au point que je dansais presque et tournoyais sur place, accaparant le trottoir pour moi toute seule. Je me retournais pour voir mon père secouer la tête, les bras chargés de paquets et un demi-sourire aux lèvres.

— Si tu m'aidais, suggéra-t-il en me tendant le plus minuscule des sacs. Qu'on soit rentrés avant que la nuit ne soit complètement tombée.

J'acceptais de bonne grâce, impatiente de voir le visage d'Emma et la réaction de maman au déballage des derniers cadeaux achetés tardivement. Elles allaient être tellement contentes... Des hurlements inquiétants se firent entendre plus loin devant nous et mon père, soudain alerte, m'incita à changer direction en me doublant.

— Tu restes derrière moi Jojo, ne traines pas, m'ordonna-t-il en accélérant le pas, prêt à emprunter la première intersection pour changer de ruelle.

Sauf qu'avant d'y parvenir, une ombre surgit devant nous, beaucoup trop vite. Une silhouette immense percuta mon père qui lâcha les sacs. Les paquets s'éparpillèrent, et l'un d'eux, tombé entre les pattes du fuyard, le fit trébucher. Il se raccrocha à la première chose qu'il pu saisir, autrement dit mon épaule. Je poussais un cri de douleur doublé de terreur pure en découvrant sa paume ensanglantée, un cri tellement strident que l'homme écrasa sa deuxième main sur ma bouche par réflexe, ou par peur d'être repéré.

Mon père attrapa l'homme par le cou et le bras pour lui faire lâcher prise en me hurlant de m'en aller. Le reste se passa trop vite pour que j'eus le temps de me mouvoir. Impuissante, je vis l'homme lui donner plusieurs coups dans le ventre avant de prendre la fuite, tandis que mon père s'effondrait lentement sur ses genoux, essoufflé.

— Papa ! M'égosillais-je en me précipitant vers lui. Papa !

Mon père leva les yeux vers les miens, pleins d'une émotion que je ne compris pas sur l'instant, et souffla de soulagement avant de poser sa main sur ma tête.

— Ça...tout va bien ma Jojo. Toi, tu vas...bien.

Après quelques secondes d'allègement, ma respiration se saccada alors que je découvrais, horrifiée, le pan de sa chemise qui dépassait, rouge. Il portait une chemise bleu ciel. Non...Non non NON !

— Pa ! PAPA ! Pas...

Il grogna de douleur avant de commencer à tomber de côté, mais je le rattrapais par les épaules malgré son poids. Il se relâchais vraiment de tout son poids. Je tournais la tête vers le trottoir d'en face, puis vers la rue pour croiser le regard de deux passants.

— Joy...ce...

— APPELEZ LES SECOURS ! M'époumonais-je avant de ramener mon attention vers mon père. Papa, papa, non, ouvres les yeux ! T'es un bon docteur, on va te soigner et ça ira mieux ! Papa !

— Regardes-moi...Joyce. Tu vas me rendre service d'a-d'accord ? Murmura-t-il avec difficulté.

Je plongeais mes yeux dans les siens, le même bleu que les miens en retenant mes sanglots pour l'entendre, alors que mes poumons étaient secoués de larmes inaudibles.

— Là... Tu vas dire... à ta mère... et ta...soeur que je les aiment. Je vous ai-me toutes les trois mes princesses.

Sa tête recommençait à vaciller et moi, incapable de supporter son poids plus longtemps, je ployais avec lui pour amortir sa chute. Je me redressais pour ouvrir son blouson et paniquais à la vue de tout ce sang perdu. J'enlevais le mien et arrachais presque mon pull pour le mettre en boule et l'appuyais sur la blessure. Il faut que ça s'arrête. Il faut que ça s'arrête de couler....Pitié !

— Papa, sanglotais-je alors que mes doigts devenaient poisseux.

Une sirène d'ambulance, mais faible et encore trop lointaine me parvient tandis que mon père, dans un effort visiblement difficile releva le visage, un demi-sourire triste sur le visage.

— Tu sais...ce que j'ai...merais aus...si que ma...courageuse...petite fille...fasse ?

Je secouais la tête sans arrêter de maintenir le tissu sur sa blessure, déjà complètement imbibé, noyé.

— Qu'elle termine... ce bel exposé qu'elle avait commencé...je veux que tu sois... fière de ton travail fini...comme je...le suis de t...oi.

Ses dernière paroles furent pour moi. J'avais pleuré à chaudes larmes, supplié. J'avais hurlé à m'embraser les cordes vocales, mais il ne m'entendait pas. Il ne m'entendrait plus.

Midtown, Houston, Texas

30 Octobre 2023

Angie n'avait pas prononcé un seul mot. Elle avait seulement serré une de mes mains, comme pour me rappeler de l'endroit où je me trouvais et se mordait les lèvres. Un moment de silence suivit mes révélations qu'elle finit par interrompre.

— Tu veux vraiment terminer cette affaire ? Me demanda-t-elle.

Ses prunelles n'exprimaient ni la pitié, ni la compassion. Seulement une sorte de compréhension et de détermination. Je hochais lentement la tête, serrant ses doigts avant de la quitter.

— Si c-c'était possible j-je changerais ma m-manière de pro-procéder avec A-Alec, mais on-on-on ne refait p-p-pas le p-passé.

Elle secoua le doigt devant moi en signe de négation.

— Non non non, binôme un jour, binôme toujours ! On va régler cette affaire et j'ai quelque chose à te proposer. Ton ex PDG frigo-et-râleur-en-chef ne va pas aimer, par contre.

Brett

A.J. Investigation, East Downtown, Houston, Texas

Octobre 2023

J'avais bataillé un nombre incalculable de fois auprès d'Alec et plaidé la cause de Joyce pour lui éviter de faire une énorme connerie, jusqu'à ce qu'il ne finisse par me menacer de me foutre à la porte si je voulais la rejoindre, moi aussi. Pas comme si je ne m'y attendais pas venant de lui. En près de dix ans, je ne l'avais jamais vu faire machine arrière et revenir sur une décision une fois prise. Lorsqu'il avait choisi de plaquer l'équipe de football sur un coup de tête à l'université, personne n'avais sût le faire changer d'avis, ni le coach, ni moi, pas même sa propre mère. Impossible de traiter avec cet âne bâté. Des exemples similaires, j'en avais à la pelle.

J'avais également tenté de joindre Joyce à plusieurs reprises, mais sans résultat. J'ai bien l'impression qu'elle n'est pas différente de lui, à ce niveau-là. Je ne comprenais pas comment ces deux-là avaient pu partager une histoire ensemble. Rien ne les reliaient, si ce n'était leur obstination autodestructrice. C'était peut-être ça, la similarité qui avait cimenté leur couple.

Je soupirais en examinant le calendrier. Le match de baseball avait lieu dans une heure. Joyce serait certainement avec Angie. Mes pensées se tournèrent vers la belle blonde encore en exercice au sein de l'A.J. et je me frottais le visage. Suite à l'éclair qui avait traversé son regard, hurlant la déception après mon rejet, rien n'avait changé. Ses sourires demeuraient identiques, sa spontanéité intacte. Elle ne s'était pas débarrassée de son enthousiasme, comme si sa proposition n'avait jamais été lancé. Sauf que moi, ça me hantait toujours. Elle avait peut-être fini par abandonner l'espoir que je m'intéressa à elle. Ou ça n'avait pas été le cas et j'enrichissais un peu trop mon égo en me représentant son attrait pour moi de façon excessive.

Moi qui me targuais de cerner les gens avec aisance, je me tenais dans l'incapacité de savoir ce qu'elle pensait vraiment. Et je me triturais l'esprit à longueur de journée. J'avais besoin de savoir. J'avais envie de... Je me morigénais une fois de plus pour le cheminement interne sur lequel je surfais malgré moi. Elle travaille pour toi ! Tu n'as pas le droit, putain, et ton éthique espèce de gros débile ?

Je détestais cordialement ma position, par rapport à elle. Je m'en voulais de la désirer autant que de l'avoir rejeté. Si le moindre dérapage ou le plus petit des désaccords a lieu, qui encaissera les retombées ? Mon égoïsme me susurrait qu'aucun problème ne pouvait survenir avec une jeune femme à l'esprit aussi mature que celui d'Angélina. Quand bien même nous ne serions pas compatibles, elle saurait faire la part des choses. Mais dans le cas contraire... Tu es son boss ! Imagines qu'elle décide de démissionner seulement pour t'éviter ? Je me refusais d'être le potentiel pivot de son échec professionnel. Une carrière talentueuse l'attendait et je n'avais pas le droit de gâcher ses chances alors qu'Alec avait accepté de lui offrir l'opportunité de se faire une place. Ressaisis-toi garçon ! Angélina Fritzberg était bien trop parfaite pour que je prenne le risque de la mettre dans une situation délicate. Mais.

Joyce

Arlington, dans la banlieue de Dallas, Texas

Les cris d'encouragements venant des gradins fusaient de toute part, et Angie comme moi prenions très à cœur de manifester notre soutien aux Texas également, malgré leurs difficultés à reprendre l'avantage. Et durant un bon moment, j'oubliais complètement la réalité. Mes angoisses. Cette semaine, que j'avais passé à ressasser. Les deux crises de panique qui en avaient résulté. Mes recherches d'emploi nouvellement relancées. Tout.

La proposition de mon ex-coéquipière, je l'avais dans un premier temps refusé. Elle avait sût se montrer persuasive, cependant. « Que tu le veuille ou non, je t'enverrai leurs coordonnées et les heures, lorsque je les auraient. ». Je ne voulais pas qu'elle prenne de risques pour moi, mais je lui en était reconnaissante. Je me sentais malgré moi soulagée d'un poids énorme. Je poursuivrais ce que j'ai commencé, même à domicile. Quitte à ce qu'Angie ou Brett en prennent tous les éloges, peu m'importait. J'allais continuer.

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Bonjour à tous !!!

Le passé traumatique de la Joyce de onze ans se dévoile partiellement dans ce chapitre - un peu plus court que les précédents - , nous rendant à même d'entrevoir la raison de sa ténacité à vouloir terminer ce qu'elle commence. Brett se sent impuissant et particulièrement tiraillé sur le comportement à adopter avec Angie, et celle-ci souhaite aider son ex-binôme, contre l'avis de ses chefs.

Le prochain chapitre quant à lui, devrait être le point névralgique d'une confrontation avant un entretien. Alec et Joyce devraient se partager le flambeau de la narration... à bientôt !

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