24.A.K. et Retard

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Alec

Sur la route en direction de Denver, Texas

10 Novembre 2023

Deux heures qu'aucun son ne sortait de la bouche de Joyce, ce qui malheureusement, ne me suffisait pas à décolérer. Elle osait me rappeler notre rencontre, sérieusement, là ?

La seule condition à laquelle je tolérais sa présence et ses compétences relevait du fait qu'elle pouvait faire ce dont j'étais foncièrement incapable, vivre au présent. Et donc enquêter en conséquence. Si elle s'amusait encore une seule fois à me renvoyer notre passé dans la tête, j'allais exploser. Je ne pouvais pas me résoudre à excuser alors qu'elle se permettait de me narguer. Elle savait jouer et se faire passer pour l'innocente de service, ce qui, avec moi, ne prenait plus depuis longtemps.

Je m'incitais une nouvelle fois au calme et me focalisais sur l'enquête en cours. Joyce avait raison sur un point, ce sms, l'un des derniers émit par Marvin Dudson, m'avait mis la puce à l'oreille.

« une Air d'autoroute à quelques Kilomètres. »

Rien n'allait, dans ce texto. J'avais ratissé les environ sur la carte, trouvé son domicile, j'avais fait des recherches sur son père, sans comprendre ce qu'il avait cherché à me transmettre. J'en étais venu à la conclusion que le texto en lui-même n'était qu'une supercherie destinée à camoufler le réel message : des initiales. A. K.

Le reste du trajet s'effectua dans la même atmosphère sombre et silencieuse jusqu'à l'arrivée. 17H45. Je garais ma caisse en face de la clinique. Une fois à l'intérieur, j'accédais au service d'accueil avec un agacement profond. Obtenir le planning du personnel concernant l'année en cours s'avérait recevable, mais remonter sur plusieurs années allait nécessairement me demander l'accord d'un chef de service qui, comme je m'en doutais, venait de quitter son poste une heure plus tôt. Branleur, au Texas, ça bosse jusqu'à minimum 19h sans interruption.

— Nous comprenons très bien, acquiesça ma compagne de route. Serait-il possible de consulter le registre des docteurs encore en exercice en attendant, je vous prie ?

J'observais ses doigts tapoter discrètement sa cuisse gauche alors qu'elle me tournait le dos, et mes yeux soulignèrent malgré moi la courbe de ses hanches et de ses fesses rebondies avant que je ne détourne le regard. Après avoir obtenu ce qu'elle souhaitait, elle se tourna dans ma direction. Je ressortis mon portable pour une série de photo du dossier avant que nous ne quittions les lieux avec, pour ma part, une irritation profonde.

— On interrogera le chef de service demain, lança-t-elle d'un ton conciliant. On a une liste à décortiquer en attendant, c'est pas comme si on se trouvait entièrement désœuvrés jusqu'au lendemain.

Nous roulions une dizaine de minutes avant d'arriver à un motel devant lequel je coupais le moteur. Le réceptionniste nous détailla avec un grand sourire à notre arrivée, ou plutôt, le fit en se tournant vers Joyce.

« Une chambre. », laissais-je mon IPhone s'exprimer pour moi.

— Lit double, s'empressa de préciser la blonde à mon côté, en me lançant un coup d'œil à la dérobée.

Ben voyons. J'optais pour un rictus sarcastique en déposant ma carte sur le comptoir. Une fois à l'étage, je repérais l'escalier de secours, puis entrais dans la chambre à la suite de Joyce pour bloquer la poignée de la porte avec une chaise que j'inclinais, sous son regard surpris. On est jamais trop prudent. Depuis mon dernier aller dans un hôtel, les traînées rougeâtres refusaient de quitter mon esprit et je les associais invariablement à ce lieu, aussi pris-je le temps d'inspecter la sécurité de la fenêtre, puis la salle de bain. Elle allait faire une remarque, mais s'en abstint, déplaçant la seconde chaise auprès de la table de nuit pour y installer le dossier qu'elle avait sous le bras tandis que j'ôtais mes chaussures avant de m'enfermer dans la salle d'eau.

Une fois douché, je m'emparais du sac que j'avais emmené pour en sortir un jogging que j'enfilais, puis un second, accompagné d'un tee-shirt que je posais sur l'étendoir avant de quitter la pièce emplie de buée. Lorsqu'elle me vis, son regard pétilla.

— Les initiales dans ton texto, c'était bien A et K ? Me demanda-t-elle, alerte.

Je hochais la tête. Elle brandit mon téléphone d'un air victorieux.

— Un praticien du nom d'Arthur Kennett se trouve dans la liste, sourit-t-elle. Il exerce depuis près de vingt ans, et devines d'où il est originaire ? Le Texas, poursuivit-elle avec frénésie.

Mon rythme cardiaque s'intensifia alors que je plissais les yeux en me rapprochant pour parcourir les informations qu'elle me tendait.

— Et il a suivi son cursus scolaire dans le même établissement qu'un certain Drew Dudson.

Le père de Marvin. Bingo. Je récupérais mon portable en m'installant sur le rebord du lit.

« Vas te doucher, je prends la relève. »

Son immobilisme m'interpela et je détournais le visage dans sa direction.

— J'ai pas prévu de découcher quand je suis arrivée au bureau ce matin, admit-elle avec gêne.

Je m'en doutais. Je pianotais avec exaspération.

« Je croyais t'avoir spécifié d'avoir un sac toujours prêt au cas où. On est pas chez New Canuum, assit toute la journée à rédiger des articles uniquement. »

Elle tiqua au nom de son ancien journal et son regard glissa sur mon torse avant qu'elle ne retrouve mes prunelles. Évidemment que j'ai parcouru tes références avant de maintenir l'embauche de Brett, petite emmerdeuse, qu'est-ce que tu croyais ?

— J'ai oublié. Ce réflèxe est plus ancré dans les habitudes des photoreporters, se défendit-elle.

« Tu y remédieras à notre retour. Vas te doucher. Y des fringues propres étendues, tu feras avec. », écrivis-je sans plus lui accorder le moindre regard.

Joyce

Motel au centre de Denver, Texas

10 Novembre 2023

La perspective de passer la nuit dans un motel avec Alec me rendais fébrile en dépit de toute ma bonne volonté. Le rappel à l'ordre sec qu'il avait lâché dans la voiture quelques heures plus tôt avait refroidi drastiquement l'ambiance, mais demeurer auprès de lui en enceinte close face à son torse dévêtu ne pouvait me laisser de marbre. Reprends-toi, Joyce, tu l'as déjà vu bien moins habillé que ça ! N'oublies pas : c'est seulement ton connard d'employeur. Il est arrogant. Méprisant. Il t'as laissé tomber sans la moindre explication. Il est... malgré tout insupportablement attirant.

Accablée par la terminologie de l'énumération de mes constats, je laissais l'eau brûlante couler sur mon corps et soupirais à la sensation de mes muscles qui se décontractais lentement. C'était physique, une question d'hormones stupides. L'absence de contacts charnels commençaient à se faire ressentir, voilà tout. Rien à voir avec Alec. Le dernier homme en date que j'avais fréquenté remontait à près de deux ans maintenant. Léandro se montrait rarement excessif, toujours débordant d'humour et très tactile, malheureusement, nous n'avions pu trouver un équilibre entre nos deux professions. Je partais au journal lorsqu'il revenait du restaurant où il travaillait, et je dormais déjà depuis longtemps lorsqu'il rentrait de son service du soir. Nous passions même certains jours sans se parler ni s'embrasser autrement qu'en chuchotement durant le sommeil de l'autre. Notre rythme de vie en décalé espaçant de plus en plus nos retrouvailles et moments de partage, nous avions pris la décision douloureuse d'y mettre un terme.

Si notre séparation m'avait impacté au point d'en perdre l'appétit, je m'étais plongée dans le travail avec acharnement pour ne pas m'effondrer, au grand ravissement de mon ex-patron. Nos boulots respectifs nous auront volé notre bonheur. Au bout de plusieurs mois, je l'avais revu aux côtés d'une sublime rousse, achevant d'empaqueter mon moral dans mes chaussettes, sur le coup. D'après Emma qui, commère comme elle l'était, avait pris soin de se renseigner, il s'agissait de sa cheffe. Au moins, ils ne subirait pas le rythme en différé que nous avions vécu. Cette information avait suffit à me rassénérer légèrement. Il était heureux, au moins. Son visage m'avait paru radieux, et j'aurais été acariâtre de lui en tenir rigueur. J'étais donc allée à sa rencontre avec le sourire pour lui souhaiter mes vœux de bonheur, puisqu'il m'avait confié la nouvelle de ses fiançailles.

Je secouais la tête en repoussant la molette du robinet. Voilà Longtemps que je n'avais pas songé à Léandro. Mon cerveau me ramena à l'homme qui se trouvait de l'autre côté de la porte et je me mordis les lèvres. Inspires. Bien que tout droit sortit de mon passé, ce n'était pas une nuit en sa compagnie qui allait réveiller les maux et les instants de bonheur dont il avait été l'auteur. Il s'agit du passé, un passé révolu. Je m'emparais du bat de survêtement qui trônait sur le chauffage, malgré moi touchée par l'attention. J'enfilais également le tee-shirt immensément trop grand pour moi sans m'attarder sur l'odeur du vêtement qui s'enroulait autour de moi. Son odeur. Frissonnante, je repoussais la boule d'angoisse qui amorçait son apparition en focalisant mes pensées sur l'affaire en cours. L'affaire, seulement l'affaire.

Lycée public de Springer, Oklahoma

24 Mars 2011

J'arrivais en retard et déboulais dans la salle de classe avec précipitation, interrompant le cours sous l'œil exaspéré de la professeur de littérature et le rire de certains élèves. Regagnant timidement ma place, je rencontrais les prunelles moqueuses de mon voisin et son sourire narquois de circonstance.

« Faut arrêter les nuits de folie. Moi au moins, j'assume les réveils. », griffonna-t-il sur la feuille qui avait déjà trouvé sa place entre nous.

« Ne nous compare pas, répliquais-je, je ne passe pas mes soirées ou mes matinées à batifoler dans les vestiaires ou les toilettes du dernier étage. »

Il pouffa, pas vexé le moins du monde par mon tacle au sujet du spectacle que j'avais surpris deux mois plus tôt. Il secoua la tête.

« Sois pas jalouse B.B., si tu veux en profiter aussi, faut juste demander. »

Je le fusillais du regard en constatant qu'il reprenait son stylo.

« Tu faisait quoi, du coup ? »

« J'écrivais, admis-je. Je m'entraînais à la rédaction d'un journal. »

Il considéra ma réponse un long moment.

« Fais-moi lire. J'aimerais y jeter un œil. »

« Tu n'as pas suffisamment de sujets à moquerie, me concernant ? », grattais-je le papier avec humeur en soufflant.

« J'aime ta manière d'écrire. J'ai envie de te voir faire. Savoir dans quel état d'esprit tu es quand tu rédiges quelque chose par passion. »

Vraiment ? Ses yeux se plantèrent droit dans les miens et il me scrutait avec un sérieux total en attendant ma réponse.

« Tu fais quelque chose ce weekend-end ? », demandais-je, incertaine.

À l'instant où ses yeux quittèrent mon visage pour rencontrer le papier, je regrettais instantanément d'avoir posé la question. Un sourire se dessina sur ses lèvres alors qu'il se détournait derechef vers moi une seconde.

« Faut que je vérifie si j'ai pas un cours à donner dans les vestiaires ou les chiottes, je te confirme ça, B.B. »

Sombre crétin.

Appartement de la mère de Joyce, Oklahoma

25 Mars 2011

Sachant ma mère de garde ce soir-là, j'entamais tout de même la discussion au souper avec un air faussement décontracté.

— M'man, je p-p-peux inviter un camarade de c-c-classe d-demain soir après l-les cours ?

Ma sœur ouvrit grand les yeux.

— C'est pas vrai, Microbe tu t'es fait des amis ? Tu veux inviter qui ? Tu as dis un ! C'est qui ?

— Je serais à l'hôpital, rappela ma mère alors que je lançais un regard peu amène à mon ainée. De qui s'agit-il, je connais ses parents ?

— Il s'appelle A-Alec, résumais-je, mais ne t-t 'emballes pas Emma, c'est s-seulement pour un de-devoir commun.

En quelque sorte.

— Le grognon, là ? S'exclama-t-elle. Celui de la dernière fois quand...

— C'est ça, l'interrompis-je en lui faisant les gros yeux. Il est p-pas très bavard m-mais il est s-sympa.

— Il a même pas décroché un mot quand je l'ai rencontré, souligna ma sœur en acquiesçant, signe qu'elle avait compris ma mise en garde.

Merci de ne pas faire flipper maman gratuitement.

— Il p-p-peut pas, le défendis-je malgré moi. Il est m-m-muet. Il est arrivé en c-c-cours d'année et il n'a p-p-pas beaucoup d'd'amis non plus.

Le visage d'Emma se décomposa alors que la compassion se peignait sur le visage de notre mère.

— La vie de ce pauvre garçon ne doit pas être évidente, fit-elle. J'espère que tu l'aides à s'intégrer au sein du lycée.

T'inquiètes, il en a pas besoin. Et ce n'était pas moi, avec mes difficultés d'interactions sociales qui allait contribuer à son épanouissement, loin de là.

Emma me lança un regard en coin. Elle avait déjà entendu les échos qui entourait sa petite sœur bègue et les vacheries auxquelles j'avais eu droit, mais j'avais toujours insisté pour qu'elle ne s'en mêle pas. Elle m'avait malgré tout défendu à plusieurs reprises et menacer Kimberly, ce qui avait passablement atténué les choses. Devant ma sœur en tout cas. Et devant Alec, en général.

— Mince, souffla-t-elle, c'était pas des bruits de couloirs alors... si j'avais su, je ne l'aurais pas engueulé. Faut dire qu'il met pas en confiance ton Alec. Il est vraiment sympa ? Souffla-t-elle en se penchant à mon oreille.

Repensant à nos rapports et les comparant d'avec ceux des autres lycéens, un vrai sourire s'arrima à mes lèvres et je hochais la tête.

— Il est v-vraiment sympa, je t'assures.

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Bonjour tout le monde !!!

Un regard de l'un, un glissement d'yeux de l'autre, notre duo n'a pas les "oeils" dans leurs poches dans ce chapitre malgré les étincelles.

Dans le prochain chapitre, le Alec du présent va une nouvelle fois s'opposer cordialement au Alec passé, et tout ce que je peux vous dire, c'est que l'une des deux versions sera largement plus aimable que l'autre. Vous devinez laquelle ..? A bientôt !

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