Violaine

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« Bas de laine et bas de verre,

ce soir tu ne danseras pas,

car dans mon cœur et par ma foi,

il ne désire que moi ».

 Dans le crépuscule empourpré, elle erre à travers les bois. Le pied léger dans ses bottines, elle vole sur les sentiers de mousse tout en chantant des ritournelles qui n’ont de sens que pour elle. Les mélodies aux accents lancinants ordonnent le ballet des feuilles qui chutent du ciel vers la boue en des tourbillons or et sang. La moire obscure de sa cape retient les reflets d’agonie du jour qui bientôt se fera nuit. Les paumes ouvertes au tranchant de la serpe lunaire, elle tient d’une main une pomme blette, de l’autre une poire charnue.

« Son frac qui glisse vers toi

allume en ton œil les scènes incertaines,

que tu joues du bout de tes doigts

dans le secret de ton boudoir.

Mon crépuscule empourpré s’allume sur ton front.

Bécasse ! Espère toujours le beau Charles qui vient,

le pas glissant sur les trois temps,

l’enchantement ne durera pas ».

 La meule des charbonniers, devenue fouée, enfume une clairière cernée de taillis et de troncs. Humant les senteurs goudronnées, elle danse au milieu des braises qui scintillent au fond de ses yeux.

« Le désir comme un lierre,

s’entortille autour de tes bas,

il monte au creux de tes cuisses,

mais surtout ne te réjouis pas,

car le joli comte est à moi ».

 Arraché à son banquet de glands, de vers et de jeunes faons, un sanglier puissant hume les parfums qui traînent après la belle. Envoûtée, la bête noire s’échappe et la suit dans sa course folle.

« Mais le lierre des Bacchanales, Amandine,

devient roncier dans le nid de ton ventre.

La bergère au tendre velours sur laquelle tu te trémousses,

n’est plus si douce.

Voilà que tu t’accroches à ses bras.

Mon Charles ne te voit pas,

ce soir je roulerai dans ses draps ».

 Au bout de la nef des chênes, elle devine les mille lanternes qui brillent dans les salles du bal, tandis que roulent dans le ciel de lourds nuages violacés.

« Pourquoi désirer lys et roses,

leurs arômes écœurants d’encens,

quand tu peux posséder mon cher,

plaisirs de chair et lents tourments ».

 La silhouette sombre glisse sur les allées qui mènent au château. La bête noire hésite, se retourne, fuit vers le couvert des bois. La pomme blette et la poire, jetées dans l’eau d’un bassin, flottent un temps en surface avant de s’enfoncer dans l’onde sombre. Les carpes effarées s’écartent. Les chevaux s’affolent aux écuries.

 Un laquais, dont les traits grossiers s’animent dans les lueurs d’un flambeau, la voit et gronde « vas-t-en vilaine ! ». Une brume s’échappe de son mufle de Minotaure.

« Vilain ne chasse pas Violaine.

Sinon je scellerai tes brayes,

à l’hiver tu perdras un fils,

puis la folie t’emportera ».

 Sous les toits une chouette hulule. L’homme rejoint l’abri d’une nymphe, statue de marbre dont les formes lisses l’apaisent dans la nuit bleutée.

 Le comte s’est enfui de la fête, grisé par l’essence des vins, poursuivi par des portées de notes, il sort prendre un bain de lune, avaler l’air glacé du soir.

« Comte, ne boude pas Violaine

et suis sa voix qui t’appelle.

Plonge tes doigts dans ses dentelles

et sur son cœur endors toi ».

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