La cour des miracles

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 Un long couloir se tenait devant les deux amis. Une grande porte à double battants les attendait au loin. Ils marchèrent en sa direction. Jack remarqua la douceur sur lesquelles ses pieds glissaient. Un tapis rouge ornait le sol. Des lampes accrochées aux murs les guidaient vers la porte.

- J'ai pas du tout aimé l'attitude de cette femme. Qu'est-ce qu'elle t'as dit d'ailleurs ?

- Que je pouvais l'avoir quand je voulais, que je ne devais pas résister à la tentation du désir, elle m'a mis mal à l'aise. Pourtant elle m'a excitée. C'est bizarre. Je ne savais plus sur quel pied danser.

- C'est sa spécialité à mon avis ! C’est labyrinthique ici, ça a l’air immense ! S’exclama Julie.

- La folie des grandeurs des hommes puissants, souffla Jack. La question que je me pose, c’est qui peut habiter là ?

- Peut-être est-ce juste une demeure pour accueillir leurs soirées ? Vide l'essentiel du temps et aménagé pour des grandes fêtes, fit remarquer Julie.

- C'est pas con ! Viens, allons voir ce qui se passe derrière cette porte. Puisqu'on est là maintenant.

 Il lui prit la main et Julie sourit. Ils étaient ici tous les deux, les bons vieux amis, dans la poursuite de leur folle aventure. Leur échappée belle possédait une certaine aura romantique. Ils se rapprochaient, d’une façon plus intense qu’autrefois. Julie, plus tôt, avait fini par trahir ses sentiments, voyant Jack tomber dans les bras d’une fille presque inconnue. Le temps était venu pour elle de se donner entièrement. De ne plus fuir, de ne plus faire semblant. Et cet instant partagé les entraînait sur les hauteurs de l’amour. Mais aussi du pouvoir. Ils s'enfonçaient dans les arcanes de la haute société. Ils n’allaient pas se lâcher et Julie imaginait cela comme une quête, un but à atteindre, une aventure amoureuse, elle qui était éprise de Jack. Le moment était venu de lui parler, de tout lui avouer et de profiter de cette soirée, dans cette villa des fantasmes, pour faire chavirer leurs corps.

- Jack ! Attends avant d’ouvrir, j’ai quelque chose à t’avouer…Fit-elle en lui retenant la main.

- Tu ne veux pas en parler plus tard ?

- C’est important…

- D’accord, je t’écoute.

- Tu sais, nous nous connaissons depuis longtemps et nous avons connu beaucoup de beaux moments ensemble. Au fil du temps, j’ai fini par admettre que je ressentais plus que de l’amitié à ton égard. Et j'ai compris que le moment était venu de t'en parler. Je suis amoureuse de toi, Jack.

 Jack resta immobile. Il ne sut combien de temps, il eut l’impression qu'une éternité s'écoulait. Il se tenait de manière statique, submergé par les émotions. Troublé, comme un adolescent venant d’embrasser pour la première fois. Il essaya de répondre mais rien ne sortait. Ses cordes vocales s'étaient comme éteintes. Son cerveau bouillonait, sa respiration devenait rapide et son rythme cardiaque s’était accéléré. Il avait chaud, et les gouttes de sueur perlaient dans son dos. Ses mains étaient moites, ses jambes tremblantes. Il la dévorait des yeux, et, dans ce regard qu'ils échangeaient, ils voyaient leurs souvenirs rejaillir. Puis Jack comprit. L'évidence apparut. Ils s’aimaient. Il l'avait toujours aimé. Julie s’approcha de lui et pendant qu'elle glissait soigneusement une main dans ses cheveux et caressait sa joue, ils s’échangèrent un long baiser. Un baiser libérateur, énergique. Libéré de toutes ces années passées à se tourner autour. A dormir ensemble sans se toucher. Toutes ces années passées à ne rien s’avouer. A mentir. A soi. A l'autre. Toutes ces années passées à rester seul alors que l’amour leur tendait les bras. Ils en avaient les larmes aux yeux. C'était leur premier baiser. Ils avaient envie maintenant de se mettre à nu, de toucher leurs corps, d'échanger leurs fluides, de faire l’amour, simplement. Beaucoup. Longtemps. De rattraper le temps perdu. De consumer leur union. D'embraser leur flamme, longtemps ignoré.

- Ça fait du bien putain ! Lança Julie.

 Ils eurent un fou rire complice. Ils laissèrent les larmes couler, il était essentiel d'évacuer toutes ces émotions fortes.

- Je me sens super bien, finit par dire Jack. Je te remercie d'avoir eu le courage de me parler.

- C'est une soirée spéciale hein ? Lui dit-elle en lui adressant un clin d'oeil. Bon on y va ?

 Jack acquiesça et ils franchirent la seconde porte. D'emblée, ils tombèrent sur une immense salle de réception. De grands lustres éclairaient la pièce de manière flamboyante. Le sol s'apparentait à un grand échiquier, donnant une allure chevaleresque au décor. L'architecture mélangeait le modernisme contemporain et le néoclassique avec ces colonnes de pierre reconnaissables à mille lieux. C’était immense. Il y avait un deuxième étage entourant la salle, donnant une vue imparable sur l'ensemble. Jack remarqua la présence d'alcôves sur les côtés, où des invités se cachaients derrière un rideau, à l'abri des regards. Des dizaines de personnes étaient présentes et parlaient dans un brouhaha inaudible, certains hommes étaient entièrement dénudés, d’autres vêtus d’une toge. Tous étaient masqués. Au centre de la pièce, sur une estrade, un musicien jouait sur un piano à queue. A droite, plus loin, une longue table en bois massif était dressé. Jack n’en crut pas ses yeux.

 Des serveurs nus, tous aux formes parfaitement corrélées avec les standards du mannequinat passaient entre les invités pour leur proposer des paquets de cigarette, coupes de champagne et autres fantaisies.

 Il voyait des personnes sniffées à même la table, d’autres s’embrassant. Mais surtout, à leur gauche, une vitre. Une grande cage en verre.

 A l’intérieur, une femme nue était attachée sur une croix, les yeux bandés. Hommes et femmes la contemplaient tout en se masturbant. Ils la touchaient, l’embrassaient, la fouettaient. La femme attachée était à leur disposition et à la vue de tous.

 Jack et Julie restèrent bouche bée. Un spectacle malsain et tordu s’offrait devant leurs yeux ébahis. C’était le temple de la débauche. L’orgie des puissants. Il serra très fort la main de Julie. Des invités allaient et venaient entre le bar, la cage en verre et les alcôves. D’autres écoutaient le pianiste.

 Une femme nue tenue en laisse par une autre femme passa devant eux. Elle marchait doucement, à quatre pattes, de manière féline. Portant un baîllon à la bouche.

- Qu’est-ce que… ? Murmura Jack.

- Regarde là-bas ! Fit Julie en prenant son bras.

 Il tourna la tête et vit plusieurs hommes gesticulant dans tous les sens, comme transcendés. Ils faisaient tournoyer leurs mains et leurs bras comme s’ils soulevaient l’air, le compressaient, le maniaient à leur guise. Ils avaient l’air de communiquer avec un autre monde, une dimension parallèle. Certains poussaient des cris bestiaux, comme possédés.

- Là je commence à flipper. Mais qu’est-ce qu’ils font ?

 Un homme nu portant un plateau s’approcha d’eux. Il contenait des petits sachets de poudre, des petites pilules, des plantes diverses. Jack fit un signe de la main pour le remercier.

- Prends un sachet de poudre, demanda Julie, ça nous fera rentrer dans la soirée et on restera lucide.

- Faut qu’on parte d’ici, Julie, on n’a rien à y faire.

- On peut pas revenir en arrière…

- Essayons !

 Jack retourna vers la porte et essaya de l’ouvrir discrètement. Elle fut impossible à ouvrir. Ils étaient coincés. Jack grogna. Il retourna vers Julie et scruta l'alentour, essayant de voir s’il ne s’était pas fait remarquer. Il se dirigea vers le serveur. Il sonda le plateau avec un regard à la fois curieux et méfiant. Il prit un sachet contenant quelques grammes de poudre blanche ainsi qu'une cigarette. Il en avait besoin.

- Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? Demanda Julie.

- Allons au bar boire un verre, ça fera passer le temps, proposa Jack, je commence à ne pas être à l’aise ici, je n’aime pas du tout cet endroit.

 Ils traversèrent la vaste pièce, essayant de contourner les corps qui se livraient à la jouissance. Il put entendre quelques bribes de conversations entre les invités. Qui parlaient du monde d’aujourd’hui, de leur vision de l’avenir et Jack se força à ne pas écouter. Il valait mieux ne rien savoir de ce qui se tramait entre ces murs. Des décisions devaient sûrement être prises ici. Des décisions entre magnats des médias et hommes politiques. Entre financiers et pdg de multinationales. Le conflit d’intérêt à son paroxysme. Comment manipuler l’opinion, voir comment gagner des élections ? Quels candidats mettre en avant ? Quels candidats à jeter dans les abîmes de l’oubli ? Quels états, quelles entreprises privilégier ? Quels lobbyistes étaient présents ? Tant de questions que Jack se posait mais qui devait rester sans réponse. Son avenir et peut-être même sa vie en dépendait.

 Ils s‘approchèrent d’un comptoir long d’au moins dix mètres, en étain. Des lampes de cristal accrochés au plafond éclairaient le bar et une bonne centaine de bouteilles garnissaient les étagères en face. Il y avait des vins très chers, très rares, du champagne, du gin, du whisky et tout ce que le monde du luxe pouvait produire comme alcool. Ce n’était pas la bouteille de rhum acheté bon marché au supermarché du coin. Que du haut de gamme. Il ne faut pas boire la même substance que les autres. Un miroir immense était posé derrière les étagères, reflétant l’immense hall environnant. Le reflet de soi-même, comme ultime expression narcissique de ces hommes riches. De leur mégalomanie. Se voir jouir, se regarder pénétrer. Se voir maîtriser, posséder des corps. Des esclaves sexuels, objets de désir à leur merci.

 Les deux amis prirent place sur deux hautes chaises et Jack interpella la serveuse qui s’avança vers eux. Elle était nue, les seins percés. Elle ne portait pas de masque et avait le crâne entièrement rasé. Jack s'imagina qu'elle sortait tout droit de l'enfer, des ténébères. Elle avait des tatouages fluorescents sur le corps, un collier de piques au cou et des lèvres noires. Elle s'approcha et Jack fut terrifié par ses yeux vairons, dénués d'humanité.

- Vous désirez ?

- Deux verres de rhum, s’il vous plaît.

 La serveuse esquissa un large sourire qui laissa apparaître une langue fourchée, comme les serpents. Elle se tourna vers les étagères, revint vers les deux amis et leur laissa une bouteille qui devait valoir une fortune, ainsi que deux verres.

- Attendez Madame, nous gardons la bouteille ?

- Bien sûr, vous avez d’autres questions idiotes ?

 Jack haussa les épaules et se contenta d’ouvrir la bouteille et de servir deux verres. Il vit Julie ouvrir le petit sachet de poudre et en poser quelques milligrammes sur le comptoir.

- Bah quoi ? Regardes autour de toi, autant faire pareil. Madame excusez-moi ? Interpella Julie.

- Oui ? Appelles-moi Vanessa, je t’en prie.

- Vous avez des pailles ? Fit-elle en désignant les deux lignes qu’elle préparait.

- Oui, voilà pour toi et ton ami. Vous êtes les invités du monde d’en bas ?

 Jack se retourna vers la serveuse et la dévisagea avec intensité. Il enfonça ses yeux dans les siens en essayant de l’intimider par le regard. Mais cette dernière ne broncha pas. Il n’avait pas aimé l’expression qu’elle employait.

- Monde d’en bas ? C’est-à-dire ?

- Vous croyez passer inaperçu ? Vous savez, il y a environ une fête de ce type par mois ici et j'y travaille depuis deux trois années en tant que serveuse. Les personnes comme vous, mal à l’aise, je les repère vite. Vous n’êtes pas du même milieu, vous avez été invités. Si j’ai un conseil à vous donner, faîtes-vous petits et essayez de ne pas vous faire remarquer, j’ai rarement vu des invités du monde d’en bas ressortir indemne d’ici !

- Quoi ? C’est-à-dire ? C’est quoi ces conneries ? S’empressa de demander Jack.

- Vous savez, les gens qui viennent ici se connaissent, depuis longtemps pour certains, et ils se reconnaissent entre eux, même avec les masques. Ils invitent des gens du bas-monde pour jouer avec eux.

 Jack se mit à transpirer abondamment. Il commençait à trembler, tétanisé par la peur. Ils jouent, qu’est-ce que cela voulait dire ? Et pourquoi spécialement eux, étaient invités ? Il repensa à l’article qu’il avait vu sur son portable et cette jeune fille retrouvée nue, en bas de chez elle, sans aucun souvenir de la veille. Violée et torturée. Était-ce le même sort qu’ils allaient subir ? Il se sentait de plus mal à l’aise mais essaya de ne pas attirer l’attention. Il se concentra, chercha de toutes ses forces le courage qu’il lui restait. Restes calme, fais comme si de rien n’était.

 - Vous entendez quoi par jeu ? Balbutia-t-il.

 - Le but est de trouver ceux qui ont été invités et de tester leurs limites. Je suppose que vous êtes  deux amis de longue date. Ils vont vouloir trouver la fille, l’amener dans une chambre spéciale et  vous laisser la regarder se faire toucher par des hommes. Les hommes les plus puissants de ce   pays. Vous ne pourriez rien faire. Ils possèdent la justice, la police, les médias. A moins de vous  laisser prendre au jeu, de vous initier comme ils disent. De vous montrer l’étendue des plaisirs du  pouvoir. De leur pouvoir. C’est un jeu pervers, machiavélique, appelez ça comme vous voulez   mais, pour eux, ce n’est qu’un jeu parmi d’autres. Vous êtes leurs cibles, ils vont tester votre amitié, voir votre amour si vous l’êtes. Vous voyez les hommes et femmes nues qui servent d’esclaves de plaisir ? Ce sont d’anciens invités du bas-monde. Qui ont perdus. Maintenant, ils sont manipulés pour leur plaisir. Ils leur ont bourré le crâne, ils les ont conditionnés à cet état. Ils ne savent plus qui ils sont, ni d’où ils viennent. Ils se considèrent comme des objets insignifiants, bons à rien, à part pour servir de support à fantasmes, à la merci de leurs maîtres.

- Non je ne peux pas vous croire...Nous ne sommes pas venus pour...

- Vous l’avez pourtant fait. C’est la curiosité qui vous a amené. Vous vouliez découvrir ce qu’est le vrai pouvoir. Tout le monde rêve de pouvoir. Votre fantasme vous a conduit ici.

- On… On ne peut pas sortir d’ici ?

- Vous n’avez qu’une seule solution et je vais vous la dire. Je ne sais pas pourquoi mais je vous aime bien. Vous devez gagner leur jeu. Aller au bout du labyrinthe. Trouver la sortie. Le but étant d’arriver tous les deux, ensemble. Là, le grand maître vous donnera un bon de sortie.

- Le grand maître ?

- Oui, nous l’appelons aussi le grand architecte, personne ne sait qui c’est mais c’est lui qui dirige, qui organise, c’est le plus puissant, le plus influent.

 Jack prit la bouteille de rhum et remplit la moitié de son verre qu’il but en vitesse. Il avait besoin de digérer tout ça. Il réfléchit à tout ce que lui avait dit la serveuse.

- J’ai peur Jack.

- Nous allons nous en sortir Julie. Je te le promets.

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