À ramasser à la petite cuillère

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Si un jour tu t’effondrais,
Complètement meurtrie à l’intérieur,

Malade à en mourir, étrange maladie,
Qui atteint le cœur et l’esprit,
Au point de ne plus pouvoir parler,
De ne plus pouvoir marcher,
Ne plus savoir aimer.

Je viendrai te chercher,
Et même décomposée,
Même dévastée et blessée,
« À ramasser à la petite cuillère »,
Je serai là pour toi.

J’ai, au plus profond de moi,
De ces recettes de cuisine
Qui donnent du cœur à l’ouvrage.
Tout un tas d’ustensiles, prêt à l’usage,
Dont je connais le fonctionnement.

J’ai douze petites cuillères,
À café ou à thé,
Mais tellement appropriées
À cueillir des perles d’émotions
Au coin de tes beaux yeux.

J’ai douze grandes cuillères,
À huile ou à soupe,
Mais pas « soupe au lait »,
Mais tout de même un peu,
Des fois que tu débordes de trop d’émotions.

De l’infinie tristesse à l’immense joie,
Du mal-être jusqu’à l’excitation suprême,
Au point de courir, pour montrer ta joie,
De danser en furie toute la nuit,
Et tomber de chagrin, au petit matin.

Ne t’inquiète pas,
J’ai de bien meilleures que celles-là.
De ces armes suprêmes
Aux formes avenantes,
Je possède de ces grosses louches
De celles qu’on utilise...

Pour les soupes et les bouillons,
Quand la Révolution gronde.
Et qu’il faille cueillir et ramasser,
Tous ces gros mots,
À te débarrasser.

Alors n’hésite pas, mets du put... comme purée,
Ch... comme chienne de vie,
Et là ce n’est rien. Va jusqu’à empaffé !
Quand on a mal, de ce mal indéfinissable,
On dirait n’importe quoi, pourvu qu’il s’en aille.

J’ai aussi des écumoires,
De celles à petits trous,
Capables de cueillir au sommet,
D’un pot au feu ou d’une potée,
De cette écume grisâtre et déplaisante.

Cette sorte d’humeur malfaisante,
Cette aigreur qui exhale,
Comme un parfum de moisi, de désespoir,
Comme une sorte d’envie d’en finir,
Alors j’ai de quoi empêcher cela.

Car j’ai dans mes placards,
Dans mon arrière-boutique,
Un nombre incroyable de couverts,
En plastique, souples et colorés,
Une véritable armée.

Consommables à souhait,
Tu pourrais en abuser,
Supporter les montées de désespoir,
Contrôler chaque sanglot,
Ils seraient là pour toi.

Et si ceux-là ne suffisaient pas,
J’ai pour les coups de tabac,
Les grandes marées,
Les tempêtes aux vagues impétueuses,
De ces grosses cuillères en bois.

Pour, tu sais !
Contenir ces grosses « purées »,
Parfois grumeleuses.
Elles traitent les urgences,
Et libèrent de tout.

Et si rien de celles-là ne convenait,
Il me resterait mes bras,
Pour te serrer très fort,
Et quelques mouchoirs,
Pour essuyer tes yeux.

Il resterait ma voix,
Pour te parler tout bas,
Et apaiser tes tourments.
Ferme les paupières à présent, laisse-toi aller !
J’ai plein de petites cuillères.

De ces petites cuillères,
Pour mélanger la vie.
La rendre supportable,
Et, claquées l’une contre l’autre,
Elles nous donneront du rythme, jusqu’à la fin de la nuit.

Publié sur Short Edition le 25 février 2016 et finaliste pour le Grand Prix Eté 2016

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