Chapitre 6

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Je rattrape mon retard derrière Whiley qui marche à vive allure. Toutes les herbes qu’il coupe se tranchent finement devant mes yeux pour laisser place à un chemin propre et sans encombres.

— Marche dans mes pas. Je n’ai pas besoin de me retourner pour constater que tu fais du tourisme, ajoute le trentenaire apparemment contrarié.

— Je peux admirer le paysage non ? Je n’ai jamais vu un endroit pareil.

— C’est une forêt, pas de quoi en faire un drame.

Son manque de tact commence à me taper sur les nerfs. Je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi têtu dans ma vie. Il fallait que ce soit mon compagnon de route, qui me remonte les bretelles pour un oui ou pour un non. Je ne me contraint pas à regarder autour de moi malgré ses remarques désobligeantes. L’endroit n’a pas l’air d’avoir eu une présence de trace humaine, depuis un long moment. Nos pas sont les premiers à arracher et écraser les herbes qui nous entourent.

— Je peux savoir au moins ce que c’est Basweer ? je demande sur le qui-vive.

— Mon village.

Les bruits de sifflet que j’ai entendu un peu plus tôt devaient venir de ce fameux village. Je ne m’attarde pas sur ce point, je le verrais de mes propres yeux une fois que je serais devant.

Tena ! crie-t-il me faisant sursauter.

C’est un cri de douleur. Je vois les muscles de son corps se tendre.

— Qu’est-ce qui se passe ? demandé-je paniqué.

Je prends une grande inspiration saccadée. Il se tourne d’un quart.

— À force de te parler, je n’ai pas vu qu’il y avait un serpent devant moi. Je lui ai marché dessus, il m’a attaqué.

D’une main, il prend le serpent à la gorge, décroche d’un coup sec les crocs de son mollet et jette la bête au loin dans les herbes folles.

— Il est venimeux ? je me renseigne innocemment.

— Je ne crois pas, mais il s'agrippait qu'à mon pantalon, ça n’a pas traversé le tissu.

— Tant mieux, dis-je tachant de garder mon calme.

Plus on avance, plus je ressens la civilisation proche de nous. Les arbres se font moins nombreux, Whiley dégage de moins en moins les branchages sur nos pas. Des chemins naturels sont formés au sol. Je n’entends plus du tout la rivière. Nous avons marché une bonne dizaine de minutes. Je sens déjà les gouttes de sueur perler sur ma peau. Whiley, lui, est toujours aussi propre qu'à son arrivée.

— Nous arrivons, annonce-t-il en poussant les feuilles d’une sorte de saule pleureur coupant notre vue sur l’horizon.

Face à nous, se trouve un large rempart de pierre. Que je regarde à droite ou à gauche, il ne semble pas avoir de fin. Des hommes surveillent sur le dessus, mais également au sol. Ils sont tout de cuire vêtu. De la cape, passant par le manteau, ainsi que leur drôle de chapeau sphérique. J’ai l’impression de me retrouver au Moyen-âge, au temps des barbares. Et moi, je suis là au milieu de tous ses gens hors du temps, avec mon T-shirt avec un imprimé “The coolest summer of my life” et un short pour les grandes chaleurs. Je suis un zèbre au milieu d’un champ de chevaux.

— Tu me suis, tu ne dis rien, m’ordonne Whiley avec la plus grande des convictions visible dans son regard.

J'acquiesce sans broncher.

On approche des portes. Les deux hommes gardant celles-ci se rapprochent pour former un mur humain. Mais plus on avance vers eux, plus ils regardent Whiley en souriant et s'écartent légèrement de l’entrée.

— Nous vous attendions, exprime le garde de droite.

— Un peu plus et vous restiez dehors après le couvre-feu, ajoute celui de gauche.

— J’ai eu un empêchement, explique Whiley.

Le sourire des gardes se durcit et commence à dégainer leurs armes.

— Il est avec moi. Repos !

Les gardes obéissent au doigt et à l’oeil du blond. L’une des sentinelles demande l’ouverture des portes. Dans la seconde, les rouages font leur travail, laissant apercevoir une ville derrière ce grand mur impénétrable.

Dès que nous avons passé les remparts de cette ville murée, les portes se referment instinctivement derrière nous. Suite à cette fermeture, dix coups de trompette surgissent tel des cris stridents.

— Ils préviennent pour le couvre-feu. Il reste dix minutes. Dépêchons, annonce Whiley.

Je me retrouve devant des rangées impeccablement droites et propres de maisons rondes. Elles sont toutes les mêmes. Pas une seule se différencie, à part les couleurs de devantures qui varient. Basweer ressemble plus à une énorme résidence, plutôt à qu’a une ville à proprement parler. Tout est parfait. Les rues sont propres, les gens suivent un sens de circulation. Je crois voir des robots. Des robots assez joyeux et riches, si je peux m’en fier aux vêtements qu’ils vêtissent. Toutes les personnes que je croise on le sourire. Ils portent des vêtements de cuire, ou de tissu léger coloré. Chaque personne que je croise me salue et font de même avec Whiley. Certains accompagnent leur révérence du mot “Nau mai”. Je l’entends depuis mon enfance ce mot. Cela veut dire bienvenue en maori. La bienveillance des gens me surprend.

Un enfant court en notre direction. Il a les yeux scintillants, un sourire à en faire pâlir plus d’un et une peau couleur caramel brillant presque sous le soleil. Whiley se baisse et met à genoux afin d'être à hauteur du petit. Un sourire se dessine sur le visage du maigrelet. C’est la première fois que je le vois faire un sourire sincère et non moqueur.

— Qu’est-ce que tu me rapportes cette fois Luaï ?

Le jeunot replace son petit chapeau rond, identique à celui des gardes. Il sort un pochon de cuire de son pantalon.

— J’ai trouvé du Marrube blanc, dit-il en montrant le contenant de la bourse.

— Tu ne l’as pas volé j'espère ?

— Non, je l’ai cueilli pour toi dans la forêt avant le couvre feu.

Whiley frictionne amicalement les cheveux du petit et récupère le pochon.

— Tu apprends vite.

— C’est parce que j’ai le meilleur maître, dit-il levant la tête fière de lui.

— Allez, va ! Rejoins ton père, il va s'inquiéter. Le couvre-feu arrive dans quelques minutes, sollicite Whiley en posant sa main dans le dos de Luaï.

À force de répéter le mot “couvre-feu”, j’ai l’intuition qu’ils se protègent de quelque chose de gros. Peut-être de toutes les choses effrayantes, qu’il avait évoqué au détour d’une de nos conversations. La détresse des villageois, n’inspire rien de bon. De plus, Whiley presse le pas. D’habitude, il marche d’un pas assuré, mais tout de suite, on est presque en train de courir. Aurait-il peur ? Pour des raisons de sécurité, je ne lui demanderais pas. Je préfère avancer que de perdre mon temps avec des questions sordides.

— Dépêche-toi ! J’ai l’impression de trainer mon chien en laisse, confesse-t-il s'arrêtant net.

Nous sommes sur une place, le décor a changé. Les multitudes de maisons rondes ne font plus partie du paysage. Tout autour de cette place se trouvent des bâtiments très neutres, à un détail près. Les fonctions des bâtiments sont écrites en gros sur chacune des façades. Il y a un lieu de prières, de l'administration, ainsi qu’un marché couvert et bien d’autres.

— Je découvre, désolé de ne pas courir comme toi, dis-je levant la voix.

Il ne cille même pas. Whiley me prend par le bras sans aucune douceur. Ses traits se sont durcis en à peine dix secondes.

Sans me lâcher, Whiley me traîne dans une ruelle derrière les bâtiments de la place. Au bout de celle-ci, se trouve un quartier fermé par des barrières en métal forgé. Les maisons sont immenses, et forment un demi-cercle autour d’un jardin somptueux. Chacune des villas, est d’une couleur différente. Allant du jaune au violet. J’en compte cinq.

— On ne va pas par là, annonce de but en blanc mon partenaire de voyage, c’est ici: le palais.

Je lève les yeux à la gauche du quartier emprisonné. Le soi-disant Palais est une grande bâtisse semblable à un manoir abandonné. Sur l’une des façades de la vigne vierge a pris de l’ampleur, ce qui donne un charme très rustique à l’endroit. Le Palais illumine les alentours. De ses pierres blanches écrues, il fait presque tâche dans le paysage de couleur. De sa taille abusive, il entre en collision avec l'orée de la clairière. C’est le bâtiment, qui, d'apparence est le plus ancien et également le plus majestueux.

— Tu ne vas pas rester devant la porte si ? demande Whiley qui a déjà passé la porte de l’endroit délabré.

— Tu vis là-dedans ? je l’interroge les yeux écarquillés d'émerveillement.

— Oui ! Maintenant entre, il reste peu de temps.

Je le suis, il ferme immédiatement derrière lui, la porte de son domaine.

L'intérieur est tout aussi passionnant de la devanture. Une multitude de fleurs, arbustes et d’arbres de toutes sortes poussent dans tous les sens dans ce hall d’entrée plus que prestigieux. La nature à repris ses droits. Cette place est en mauvais état, je ne vois même pas comment c’est possible de vivre là dedans. Cet endroit paraît surréaliste. Pas autant que toute la magie que j’ai pu voir jusqu’ici, mais l’endroit dégage quelque chose de spéciale, presque effrayant. Si on regarde de plus près, on peut même imaginer l’ancienne jeunesse du château avant que la nature vienne s’installer. C’est absolument magnifique toute cette arborescence, florissante, laissant même vivre les mauvaises herbes les plus coriaces. Un peu plus, je vois des traces de combat se former dans la destruction des colonnes, dans l'ébrèchement de la fontaine au centre de la pièce et des brûlures sur les mosaïques au sol.

— C’est incroyable, réussis-je à affirmer après quelques secondes de contemplation.

— Je ne viens jamais ici, avoue-t-il fronçant les sourcils. Personne ne passe par ce hall sauf en cas de précipitation, comme ici même.

Sa voix est posée en révélant ceci. Quelque chose s’est forcément produit à cet emplacement.

— Ce n’est pas là que tu vis ?

— Si bien sûr, mais pas dans cette aile. Je vis dans l’aile gauche du palais. Personne ne vient dans l’aile droite. Elle rappelle trop de choses. Le palais à longtemps été inhabité pour cette même raison.

Il avance vers une porte faisant tache dans le paysage. Elle est toute neuve, comme si elle venait d'être posé au milieu des décombres. Whiley l’ouvre et m’invite à entrer. Nous sommes dans un simple ascenseur. Je ne comprends plus rien.

— Comment se fait-il que tu es un engin aussi sophistiqué ici alors que dehors tout le monde à l’air de venir du siècle dernier ?

Fermeture automatique des portes, annonce la voix robotisée du monte-charge.

Whiley appuie sur un bouton.

Deuxième étage, continue la voix.

— Tout n’est qu’apparence, se limite-t-il de dire.

— Mais pourtant tu ne connaissais pas les toilettes chez moi.

Il croise les bras tout en regardant son reflet dans le miroir en face de nous.

— Je ne connaissais pas ce système. Qu’est-ce que ça peut te faire ? Tu apportes beaucoup trop d’importance aux détails, souffle-t-il.

Deuxième étage, répète la voix, ouverture automatique des portes.

Whiley sort de l'habitacle, je le suis.

— Je tente seulement de comprendre. Si je veux des réponses sur mes parents, il faut d’abord que je comprenne les bases de ce monde non ?

Il se contente de grogner en prenant ses grands airs de duchesse.

Je remonte mon sac sur mon épaule, qui est en train de glisser.

Autour de nous se trouve un endroit beaucoup plus récent et absolument pas en ruine. Tous les murs sont ornés de moulures propres et impeccablement blanches. Les couloirs sont recouverts de longs tapis brodés. Sur les murs on retrouve des portraits d’hommes et de femmes, ainsi que de paysages luxuriants. Le couloir que nous traversons aboutit à une énième porte en bois massif avec les inscriptions “grand salon” dessus. C’est quoi cette manie de notifier l’utilité de chaque endroit ? Drôle de ville. Whiley pousse la porte et se pose devant.

— Je t’en prie, dit-il pour me laisser passer.

Je pose un pied dans la nouvelle pièce qui s’offre à moi. En voyant la pièce, je ne me sens pas dans mon élément. La pièce, et surement toutes les autres, pue le luxe. On se croirait dans une suite d'hôtel cinq-étoiles. Dans la partie de la pièce à gauche de la porte se trouve une longue table en verre entourée de chaises inspiration victorienne. Tout le long du mur face à la porte, un banc avec des coussins de velours et à droite une table basse avec des chaises longues méridiennes l'encerclement.

Sur l’une d’elles, un homme pas plus vieux que moi est allongé, une grappe de raisin d’une main et une pêche dans l’autre. Il est vêtu d’un simple pantalon de tissu très fluide. Le haut de son corps est nu laissant apparaître ses muscles parfaitement dessinés et une peau couleur miel. Son visage est presque inhumain. Il porte tous les standards de la beauté masculine: une mâchoire bien dessinée, un regard chocolat profond, des dents alignées, un nez portionné au reste de son visage, une bouche charnue et des cheveux aux boucles impeccablement dessinées. J’ai l’impression de faire face à une statue grecque.

— Pas trop tôt, j’ai pensé un instant que tu ne reviendrais pas, atteste d’une voix suave l'Apollon du grand salon.

Whiley s’avance jusqu’à la table pour chiper un fruit qu’il apporte directement à sa bouche.

— J’ai eu un contretemps, clame-t-il en me regardant.

L’homme qui jusqu’ici n’avait pas daigné lever les yeux de son maigre repas, me fixe instantanément comme s’il se doutait d’une seconde présence dans la pièce. L’homme très peu habillé, me scrute de la tête aux pieds avec un sourire espiègle au coin de la bouche. Ce dernier, se releva de sa position de pacha. Il pose ses pieds nus sur le sol carrelé et d’une stature élevée, il s’avance vers moi.

— Que nous as-tu ramené là, cher frère ? questionne le brun, plaçant un doigt froid sous mon menton.

— Achille, ne commence pas, avertit Whiley se posant dans l’une des chaises.

Le dénommé Achille s'écarte de moi. Je n’avais pas pensé à l'éventualité qu’il ne vivait pas seul. Alors je sors la première chose qui me vient à l’esprit.

— Vous êtes frères ? dis-je alors que je l’ai très bien compris.

— Fut un temps, on se ressemblait, ricane Achille tout en inclinant la tête en ma direction. Mais que dit-on des aînés déjà ? Ha oui, ce ne sont que de vulgaires esquisses.

Whiley se sent immédiatement visé, et lance dans la seconde un regard terrifiant. Son jeune frère reste de marbre, arborant fièrement un sourire moqueur au creux de ses joues.

D’un coup un énorme bruit surgit. C’est plusieurs coups de trompettes en même temps faisant la même note en continu.

— Que se passe-t-il ? je demande en me rapprochant d’une fenêtre.

— Il va faire nuit, m’explique Whiley finissant tranquillement sa pêche.

— Tu nous le sors d’où celui-là ? renchérit Achille à son aîné.

— C’est un Tangata Whenua.

— Je comprends mieux pourquoi il est vêtu comme un prolétaire.

Un prolétaire ? Connaissent-ils la notion de respect dans ce pays ? Je laisse ce petit “détail” de côté. Je tente de faire bonne figure.

— Je peux enfin savoir ce que veut dire ce mot ?

— Humain de Terre, explique honnêtement le grand brun, chose que son frère n’a pas été capable de me dire jusqu'à présent.

Tout devient plus clair à présent. Je me sens insulté, encore plus que je ne l'étais dès lors.

— Pendant qu’on y est, quelqu’un peu m’expliquer pourquoi il va faire nuit à…, je regarde ma montre, neuf heures trente-sept ?

Whiley écarte les narines et ferme les yeux d’impatience.

— Il y a une éclipse une fois tous les quinze jours. Absolument tout le monde est en danger quand il fait nuit, d’autant plus qu’en un phénomène de ce genre se produit. Les sorciers dont je t’ai parlé, utilisent ce phénomène contre la population.

— Dans quoi je me suis embarqué ? dis-je tout bas pour moi-même en fixant le sol.

Petit à petit, la pièce qui baignant dans la lumière du jour, se fonce, jusqu'à devenir totalement noir.

Whiley se lève pour allumer le plafonnier. Au même moment, une sorte de fumée blanche pailletée sort de sous la porte en bois. J’ai instinctivement un mouvement de recul. Mon coeur palpite, la fumée me contourne. Juste moi. Ce petit tour, à l’air de faire rire les deux hommes dans la pièce.

— Bonjour bel inconnu, dit une bouche qui flotte dans la blancheur qui m’entoure.

Je crie de toute mon âme. Je n’ai jamais autant eu peur de ma vie. Tous mes muscles se contractent en même temps.

Qu’est-ce que c’est que ça ?

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