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Quelques mois s’étaient écoulés. En ce magnifique matin de juillet, à Snakefield, un jeune homme se leva bien tôt.

La légère brise annonciatrice de l’été lui faisait le plus grand bien tandis qu’il courait en direction de son café préféré.

Il s’agissait d’un petit bar cosy qui avait conservé un look très vintage, à l’image du centre-ville de Snakefield. Chris avait pris l’habitude d’y aller : l’endroit lui rappelait le restaurant « Chez Mia », où il avait l’habitude de se rendre enfant avec John et Mickael.

Une fois arrivé, la petite sonnette accrochée au-dessus de la porte annonça son entrée.

Le patron du bar frotta ses mains sur son tablier avant de lever les yeux vers le nouveau venu. Cet homme d’une quarantaine d’années avait toujours l’air fatigué. Son visage semblait sans expression, presque triste, mais quand on le connaissait bien, Papa Gustave était un amour. Avec ses quatre-vingt-cinq kilos et sa moustache de bûcheron, il paraissait dangereux comme un ours… alors qu’en réalité il était doux comme un agneau, surtout avec sa fille, Evy.

— Oh mais ça ne serait pas notre virtualiseur préféré !? – s’exclama-t-il, un large sourire aux lèvres.

— Bonjour Papa Gus, et c’est « virtualisateur », pas « virtualiseur ». – répondit Chris avec un sourire gêné.

— Oui oui, c’est pareil, hahaha. Ça faisait un petit moment qu’on ne t’avais pas vu, j’espère que tu m’as pas fait cocu dans un autre bar, hein !

Papa Gustave savait toujours comment mettre Chris mal à l’aise, tout en le faisant se sentir chez lui.

— Mais non Papa Gus, je suis un homme fidèle, tu le sais bien.

— Mais bien sûr fiston, c’est pour ça que j’te réserve pour ma petite Evy !

Tandis que Chris devenait tout rouge, une silhouette apparut derrière Papa Gustave et lui jeta un œuf sur la tête :

— Eh oh, papa, arrête de dire n’importe quoi et sers-lui à boire plutôt ! – cria-t-elle, tout aussi gênée.

Il s’agissait d’Evy. Tout juste âgée de dix-sept ans, elle avait hérité des cheveux bruns de son père, avant qu’il ne soit chauve, et de la douceur et du franc-parler de sa défunte mère.

— C’est malin, ça, Evy, tu viens de me faire perdre un œuf ! – s’écria Papa Gustave en s’essuyant la tête.

— Ça t’apprendra à parler de moi comme si j’étais une chambre d’hôtel !

Tous les clients éclatèrent de rire devant leurs chamailleries, c’était leur spectacle quotidien.

Papa Gustave soupira avant de se remettre au travail :

— Bon, comme toujours ? Un latte macchiato, Chris ?

— T’as tout compris !

Soudain, la porte s’ouvrit sur un autre client. Chris, assis au bar, ne vit pas directement de qui il s’agissait. Papa Gustave le prévint :

— Bah ça alors, notre bon vieux Heylel ! Comment vas-tu mon beau ?

— Gus ! Ça va bien et toi ?

Au même moment, Chris se retourna :

— Monsieur Heylel ! Comment allez-vous ?

— Monsieur le virtualisateur ! Ça faisait un bail, dis donc !

Chris fit de la place à Heylel à ses côtés, et ils se mirent à discuter, comme à leur habitude :

— Alors Chris, comment avance ton projet ? Désolé, en ce moment je n’ai plus trop le temps de regarder tes lives…

— Mais non, ne vous en faites pas, Monsieur Heylel. De toute façon, en ce moment rien n’avance. Je bloque toujours à environ cinquante pour cent de la virtualisation… C’est comme si j’avais oublié un détail important…

Heylel prit un air pensif :

— Mmmh… je vois. Il y a effectivement quelque chose qui coince. Ça te fait ça avec tous les objets ?

— Oui, même avec des fruits. J’ai tenté avec une pomme. Je prends en compte absolument chaque particule matérielle, chaque cellule… Je réussis à rendre le tout immatériel et à le transposer dans le monde virtuel, mais bizarrement, la pomme ne se virtualise pas entièrement et bloque à cinquante pour cent…

Heylel fut très attentif. Il prit un court instant avant de répondre :

— Donc, si j’ai bien compris, tu réussis à dématérialiser toute la pomme, mais cela ne suffit pas à la virtualiser complètement, et ça ne représente que cinquante pour cent du travail ?

— C’est exactement ça. – concéda Chris en grattant sa cicatrice frontale.

— Ce que tu dis là est effectivement très étrange. Il faudrait que tu passes un jour chez moi. J’essaierai de t’aider grâce à mes recherches. On étudiera ton idée de virtualisation dans mon labo, et après on jouera aux échecs. Enfin… si tu sais un minimum y jouer, haha.

Chris esquissa un sourire nerveux :

— Pour qui me prenez-vous ? Je vais vous battre à plate couture !

— Alors ça, c’est ce qu’on verra… – répondit Heylel, lui aussi un sourire nerveux aux lèvres.

Même Papa Gustave sentit l’électricité qui se dégageait de ces deux-là.

— D’ailleurs, Monsieur Heylel, vous travaillez sur quoi déjà ?

Heylel prit une dernière gorgée de son café avant de répondre :

— Je suis chercheur en neurosciences. J’étudie les comportements humains, en gros. Dans mon domaine, il y a encore beaucoup de questions sans réponses. Alors c’est à nous d’en trouver. C’est pour ça que je veux t’aider dans ton projet, et que, d’ailleurs, il m’a tout de suite intéressé dès la première fois.

Chris se mit à sourire. Malgré le point mort dans lequel stagnait son projet de virtualisation, il était heureux de voir que des gens croyaient en lui. Alors qu’il remerciait Heylel, son téléphone vibra. Il venait de recevoir un message qui illumina aussitôt son visage. Heylel le remarqua instantanément.

— Que se passe-t-il ?

Chris se leva de son tabouret :

— J’ai mon meilleur ami d’enfance qui vient passer les grandes vacances avec moi aujourd’hui ! Son train arrive bientôt, je dois y aller ! Je repasserai dans la semaine, Monsieur Heylel, comme ça on verra quand est-ce qu’on se voit pour que vous m’aidiez.

— Oh, je vois. Par contre, ça risque d’attendre un peu, je pars aujourd’hui pour Djab-Nur, sur le continent Hanifiyyien. Je ne sais pas quand je rentrerai.

Chris posa l’argent sur le comptoir :

— Ok, très bien, Monsieur Heylel. Faites bon voyage alors. Papa Gus, à la prochaine !

Puis il fila comme le vent.

Courir jusqu’à la gare ne lui prit que cinq minutes.

C’était clair : il était devenu bien plus athlétique qu’à l’époque.

Cependant, il arriva un peu tôt, et l’envie de revoir son ami prit le dessus sur sa patience.

Il tournait en rond devant le quai. Il n’en pouvait plus d’entendre cette voix automatique répéter :

« Bonjour, nous sommes le 7 juillet, et il est 8 h 30. Faites attention à vos effets personnels, et merci de garder la gare propre. Bon voyage à vous. »

Le message revenait toutes les dix minutes, tandis que le train annoncé pour 9 h 00 était retardé.

Et alors que Chris commençait enfin à se calmer et à retrouver patience, l’arrivée du train devint imminente. Son cœur s’accéléra à la vue du convoi approchant, puis lorsqu’une vague de passagers descendit du wagon :

— Oh ! Chris Antei Kacimmia !

Comme un radar, Chris repéra immédiatement la voix et courut dans sa direction :

— Arrête de m’appeler par mon nom complet, triple idiot ! – cria-t-il en sautant sur son frère de cœur.

Le début des vacances.

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