Show me the Monet- Banksy- 2005

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J’avais marché pas mal. Partout des immondices, même quand on s’éloignait des villes. Je ne les voyais plus vraiment, obnubilé par ma progression, en quête perpétuelle d’un endroit où m’abriter, au moins la nuit.

Et je n’étais pas seul.

Je ne savais même plus pourquoi j’avançais ainsi, avec tous les autres. Enfin si. Les villes dégueulaient d’ordures, de pourritures, de merde. La puanteur vous terrassait littéralement et enrageait votre esprit. Ça grouillait de bestioles et des monticules putrides s’éboulaient parfois devant vous, parcourus de ces vies furtives qui prospéraient et se faufilaient partout.

Je ne sais plus trop comment on en était arrivé à ce point. Enfin si, je le savais, j'étais comme les autres à une époque, je voulais voler dans le ciel et me baigner dans des mers chaudes, faire des kilomètres en bagnole pour skier un week-end, bouffer des plats préparés au lieu de cuisiner, acheter des fringues pour suivre la mode, tout me faire livrer à domicile même le dimanche... Pas besoin de chercher plus loin.

Enfin bref, j’avais pas mal marché et j’avais suivi une petite route jonchée d’ordures de toutes sortes mais encore praticable, avec un foulard sur le nez. Une drôle de maison d’un rose délavé, aux volets vert pisseux, la plupart cassés ou pendant de guingois sur leurs gonds, m’a semblé un bon refuge pour cette fin de journée. Une glycine monstrueuse mangeait toute la façade côté jardin et une odeur doucereuse vaguement écœurante émanait des grosses grappes mauves qui pendaient partout.

Tout un tas de gens comme moi allaient et venaient dans la baraque, montaient et descendaient les escaliers en bois dont certaines manquaient. Mais le toit semblait tenir bon et c’était beaucoup. On ne s’occupait pas les uns des autres. On se regardait à peine.

Des murs recouverts de faïence bleue m’ont sauté aux yeux à un moment, j’ai pensé à une maison de poupée pour grands. C’était bizarre. Dégueulasse aussi, enfin pas plus que le reste du monde où on évoluait en général.

Un soleil rasant persistait à l’extérieur, on ne se disait même plus que le temps était beau. C’était envahi de fleurs, de plantes, partout, à profusion. Mais on devinait quand même des détritus, des gravats, d’énormes sacs noirs éventrés vrombissant de mouches, des tôles, des planches. Quel merdier !

J’avançais en évitant les obstacles, en frôlant la végétation qui semblait faire comme si de rien n’était. Et je l’ai vu.

L’étang. Entièrement recouvert de nénuphars en fleurs aux teintes délicates, bordé de saules tristement bruissants mais violemment verts et traversé d’un pont vaguement japonisant se perdant sous les feuillages.

Des chariots de supermarché en partie immergés s'empêtraient dans les tiges des nymphéas et un cône de chantier aux couleurs criardes tanguait mollement à la surface de l'eau agitée de clapotis soyeux.

L’équilibre avait dû être parfait. Avant. Une certaine idée du beau, enfin selon moi.

Et la nature ne m'en voulait pas. De façon immuable et sourde, elle croissait, rampait, s'étoffait, au mépris du métal et du plastique, submersion ou expulsion, elle régnait et me parlait d'éternité.

La nature ne m'en voulait de rien.

Une émotion perdue m’envahit telle une vague lente déferlant par mes yeux jusqu’à mon esprit et le nappant d’une sensation palpable de sérénité et d’harmonie. La nature m’accueillait, m’enlaçait, me consolait, effaçait ma honte et ma détresse.

J'avais une envie folle de me laisser agripper par les branches pleureuses, de les laisser s'enrouler autour de mon corps dans un tintement d'émeraude. Ou m'allonger sur le lit de nénuphars et flotter, le visage offert aux rayons doux du soleil de cette fin de journée.

Demain je reviendrai.

Demain je déblaierai l'étang.

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