D'aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours aimé les choses nettes, propres et sans bavure. Mon parcours scolaire a bien entendu débouché sur de hautes études dans le domaine de la finance. J'ai brillament obtenu mon label d'analyste financier... exactement de la même manière que l'on félicite une poule bien engraissée avec de la nourriture bon marché dont elle a été gavée.

Même mon prénom "Khalis" aussi chantant et exotique soit-il, signifie dans sa langue d'origine "pur", "droit". Autant dire que j'étais prédestiné à rentrer proprement dans des cases en ayant pour plus simple angoisse l'idée d'en dépasser.

Marié avec une institutrice aussi conventionnelle que ma veste grise en tweed, nous venons d'accueillir notre petite Marie et nous nous déplaçons en famille avec notre monospace flambant neuf.

Je ne pense pas nécessaire de vous apporter davantage de détails sur ma vie... vous avez bien compris que je suis le genre de personnage pour lequel la simple idée de porter une chemise rose relève davantage d'un signe de folie que d'une fantaisie vestimentaire.

Tout jeune analyste financier, je viens de décrocher mon premier job auprès du célèbre, mais non moins mystérieux cabinet Mc Kinsey. Défini comme un cabinet international de conseil en stratégie, cette dénomination est tout autant ostentatoire que la nouvelle veste estampillée "Zara" de Madame.

Aujourd'hui je me jette dans le grand bain de la finance mondiale. Mon apparence lisse, pour ne pas dire translucide devrait m'aider à ne pas attirer le regard des plus féroces.

Etant bien placé au creux de l'oreille des dirigeants de ce Monde, le cabinet m'investit, moi le supposé analyste financier le plus doué de sa génération, d'une mission d'importance capitale, d'après les dires du directeur qui se tient en face de moi.

D'un air gêné, la tête pensante de cette haute instance très influente me tend un dossier marron sur lequel est écrit "Confidentiel et épineux". Je reçois la consigne de n'ouvrir ce dossier que lorsque je serai seul dans mon bureau et de l'enfermer dans le coffre-fort à chaque fois que je dois quitter la pièce.

Je suis assis à mon bureau et j'ouvre religieusement le dossier, comme s'il contenait le secret de l'humanité. A la fin de la lecture des quelques pages qui le constituent, je sens mon monde s'effondrer. Je vis le même cataclysme que s'il prenait à Madame l'envie de lancer nos hebdomadaires ébats du dimanche soir 20h en arborant une lingerie en dentelle.

Le temps de reprendre mes esprits et de laisser le brouillard qui m'entoure s'estomper, je suis écrasé par l'impossible réalité qui s'abat sur mes épaules. Le très célèbre cabinet Mc Kinsey a été placé en redressement judiciaire. Après coup, il semblerait que le choix d'un nouveau papier toilette imprimé à l'effigie de nos meilleurs clients ait été une décision bien trop onéreuse pour notre société.

Se nettoyer le séant avec les jolis minois d'Emmanuel Macron, de Bill Gates ou encore du président des Etats-Unis devait être un acte qui devait nous rappeler leur juste place en tant que nos clients. Dès lors les visages des plus influents présidents actuels dans le monde pourraient-ils, après l'avoir nettoyée de ses souillures, avoir la peau de notre cabinet? Et c'est à moi qu'incombe la lourde tâche de redresser la situation.

Dès lors une question se pose... plutôt deux. Si l'un des meilleurs cabinets de conseil est capable d'une telle erreur, où va le monde? En qui avoir confiance si même ceux qui au creux de l'oreille des puissants les pilotent sont humains au point de se tromper?