Crépuscule
— Bonjour Mortimer, mon vieil ami, je viens te parler encore une fois.
Assis sur son banc, même de dos, je le vois sourire. Il a toujours l’air aussi jeune. Ses cheveux noirs coupés en brosse et ses vêtements y contribuent sans doute.
— Bonsoir, Maxime, dit-il d’une voix douce en me montrant la place vide à côté de lui.
Il est là, comme souvent, à admirer le coucher du soleil. Le belvédère du parc offre une vue imprenable sur la vieille ville. Les toits en ardoise luisant sous la lumiere rasante ce cette fin de journée, le clocher de l’église venant de sonner vingt et une heures.
Je m'assieds à ses côtés et effleure du bout des doigts le bois de l’assise usée par le temps. Ce geste, je le fais à chaque fois, comme un préambule à nos discussions. Mais ce soir, je suis trop fatigué pour parler. Les épaules basses, je repose mes mains sur mon pantalon de costume.
L’odeur sucrée du chèvrefeuille m’aide à me détendre. Je commence même à apprécier ce moment, la douceur de ce soir d’été. Nous restons ainsi à profiter de la chaleur du soleil descendant lentement vers l’horizon. J’aime la compagnie de Mortimer, il sait savourer le silence. Des joggers passent au loin sur notre gauche, tandis que les cris des enfants sur l’aire de jeux se sont tus.
Après plusieurs minutes, Mortimer me pose la main sur l'épaule.
— Je suis à la fois heureux et triste de te voir, mon ami. Comme à chaque fois, dit-il d’un ton grave.
Il sait pourquoi je suis là, en ce moment, avec lui plutôt qu'avec ma famille. Mais il ne me pose aucune question. Et je l’en remercie pour ça.
Il a toujours été là pour moi dans les moments difficiles. Et comme toujours, je trouve un autre sujet à aborder.
— Tu as changé de look, Mortimer, à ce que je vois.
Son humeur passe du tout au tout. Il saute sur ses pieds, et dans un grand geste théâtral, il écarte les bras. Il me fixe de ses yeux gris d’un air goguenard.
— Ce n’est pas un simple look, c’est une libération ! Regarde, dit-il en faisant un tour sur lui-même. Je pourrais presque chanter la Reine des neiges. J’ai dit presque, ajoute-t-il en me faisant un clin d’œil.
Il porte en effet un blouson de cuir noir, type biker, un jean noir et des boots Doc Martens, bien évidemment noires. Il exulte en désignant son dos de ses deux pouces : sur le blouson, une tête de mort surmontée d’un M stylisé.
— Ils ont enfin accepté que j’abandonne l’uniforme. J’ai choisi ça. Tu en penses quoi ?
— Génial. Mais tu as gardé l’accessoire, dis-je d'un ton railleur.
Ses yeux virent du gris tendre au gris acier, froids, durs un instant pour redevenir ceux que j’ai toujours connus.
— Ne m’en parle pas, j’ai négocié je ne sais combien de temps, mais ils n’ont pas lâché l’affaire, répond-il en montrant l’objet appuyé contre le banc.
Je me moque de lui, mais je sais qu’il déteste cet objet, c’est un symbole du passé.
À ce moment, une maman passe devant nous avec une poussette d’un air réprobateur mais également inquiet. À ma hauteur, elle accélère le pas vers le kiosque en fer forgé blanc.
— Tu lui as fait peur, Mortimer.
Il secoue doucement l’index, qu’il tend ensuite vers moi.
— C’est encore toi qui lui as fait peur, dès que tu es avec moi c'est la même chose.
Je hoche la tête, lassé.
— J’oublie toujours Mortimer.
Un sourire réapparait sur son visage.
— Maxime, tu es le seul à m’appeler comme ça .
— Oui, je sais. Cela te va bien mieux que M. Je l'ai trouvé il y asi longtemps.
Son sourire disparait pour laisser la place à une expression grave.
— Oui, cela fait bien longtemps, mon ami.
Je ressens de la tristesse dans la voix de Mortimer.

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