CLXXXVI. Toutes les mamas

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CLXXXVI. Toutes les mamas*


Durant les premiers jours qui suivirent mon retour à la maison, je me sentis la plus nulle et la moins douée des mamans. J’étais épuisée, maladroite, assez désemparée par les pleurs de mon bébé… Je dormais peu et mal, malgré la présence de Louka qui ne se faisait pas prier pour donner le biberon ou changer la couche, du moins quand il ne travaillait pas.

Un midi, je traînais en pyjama, Lisandru venait de s’endormir et je m’apprêtais à suivre son exemple dès que j’aurais avalé quelque chose. Je m’étais attablée devant un reste de pâtes à la bolognaise que Louka avait préparées la veille, quand l’interphone déchira le silence et du même coup, le sommeil de mon fils qui se mit à hurler. Youpi…

C’était le facteur, avec un petit colis et un grand sourire… Puis j’eus droit à une vraie tempête maternelle : bébé en larmes, oreilles en feu, self-control en berne. Je mis une bonne demi-heure à rétablir le calme et quand enfin, Lisandru se rendormit, mon repas était froid et mes yeux se fermaient tout seuls. Je déclarai donc forfait et rejoignis la chambre pour dormir un bon coup.

Plus tard, j’entendis le bébé se réveiller et juste après, la voix de son père. Ouf ! Je me sentais mieux, et j’avais dû dormir un bon moment si Louka était déjà rentré du tribunal… Alors je me levai doucement, pris une douche bien chaude, enfilai une tenue à peu près présentable et me rendis au salon pour tomber sur un tableau tout à fait charmant : Louka, assis sur le canapé, habillé en avocat, tenait dans ses bras son fils qui tétait goulûment son biberon. Le grand couvait le petit d’un regard intense, indescriptible, comme on admire une œuvre d’art ou une splendeur de la nature. Ils étaient beaux tous les deux ! Et ils se ressemblaient beaucoup : la forme des yeux, le velouté de la bouche, la couleur de la peau…

Je vins m’asseoir sur le canapé et posai ma tête sur l’épaule de Louka pour mieux profiter du spectacle. Lisandru buvait, buvait, buvait encore, tandis que Louka murmurait en arabe d’une voix douce comme une berceuse. Lorsque le biberon fut vide, le rot dûment effectué, le bébé retrouva la chaleur sécurisante de son berceau tandis que son père, revenant vers moi, me demandait : “Tu as reçu un paquet de Mama ?”

Mon cerveau mit quelques secondes avant de se souvenir du passage du facteur, et je m’emparai du colis qui, effectivement, était tamponné de Buenos Aires. Je l’ouvris donc et découvris à l’intérieur un boîtier de forme allongée, et une lettre.


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Chère Romy,


Avec deux belles-mères méditerranéennes, l’une célèbre cinéaste, l’autre veuve d’un grand acteur, tu dois t’attendre à un peu de grandiloquence et de sentimentalisme, non ? Par cette lettre à quatre mains, Chiara et moi avons souhaité te dire… Tant de choses ! Mais en une seule fois, en une seule voix.

Romy, peut-être as-tu remarqué, aux poignets d’Ingrid, de Lucia et de Nils, une petite gourmette portant l’emblème de la Sardaigne… et de la Corse, puisque c’est la même, ou presque. Je tiens évidemment à faire pour toi et pour Lisandru ce que j’ai fait pour la femme et les enfants de mon fils. Mais avec vous, c’est un peu différent… Puisque je ne suis pas seule. Voilà qui aurait fait sourire Luís ! Il disait parfois que nous étions, Malika et moi, les deux femmes de sa vie. Et au début de la grossesse de Natalia, alors que j’étais moi-même enceinte de Pietro, il disait en plaisantant que s’il avait une fille, nous serions peut-être grands-parents ensemble... Nous y avions renoncé ! Et pourtant, voilà que grâce à toi et à Louka, c’est désormais chose faite. Tu ne pouvais pas me faire de plus beau cadeau, ma belle.

Chiara, comme toujours, sait trouver les mots justes ! Mais je n’en pense pas moins, Romy, sois-en assurée. J’ai essayé d’élever Louka de mon mieux, pour en faire quelqu’un de bien. Pour qu’il pousse fort et droit, envers et contre tout, jusque sur les décombres de son père. Et je suis aujourd’hui infiniment fière de lui ! Alors forcément, je suis très heureuse de la naissance de Lisandru : l’enfant de mon enfant… La première merveille du monde ! Celle d’un nouveau monde, enfin.

Habituellement les filles ont droit à une belle-mère, pour le meilleur ou pour le pire. Et toi, paf ! Tu en as deux… Nous sommes intrusives (surtout moi…), infantilisantes (surtout moi…), excessives (surtout moi…). Nous sautons d’un pays à l’autre depuis toujours comme deux courants d’air marin et nous avons élevé Louka comme une étoile aux pieds de sable qu’il nous fallait conduire à bon port… Conduire à l’autonomie, à la droiture, à la lumière. Conduire à la vie, quand son père portait toujours la mort en embuscade. Conduire à toi, peut-être ?

Prends soin de lui, Romy, s’il te plaît. Il le mérite… Même si parfois, il y a des claques qui se perdent ! Et notre rôle s'arrête ici. Ou pas ? Car nous serons là pour lui, pour toi, pour vous. Nous serons là pour garder Lisandru, pour partager des moments entre filles, pour tirer les oreilles de Louka si jamais il t’embête… Nous serons là, jusqu’à ce que vous ne puissiez plus, ni l’un ni l’autre, nous supporter !

En attendant, puissent nos deux pays te protéger, ainsi que ton loupiot.


A très bientôt, bises à vous trois,


                      Chiara       Malika


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J’ouvris alors le petit boîtier qui accompagnait la lettre, de l’eau plein les yeux, et j’en sortis deux gourmettes, une à ma taille et une autre minuscule, qui portaient l’étoile à cinq branches du Maroc, le prénom de mon fils, quelques caractères arabes que Louka me lut comme étant le mot “na’îm”, et la tête de Maure au front bandé du drapeau sarde.

Belles-mères, jolies-mères, douces-mères, voire bonnes-mères comme à Marseille ! Avec de telles protectrices, mon enfant n’avait plus rien à craindre.

*Toutes les mamas, de Maurane ; single, 1989.

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