A propos d'un roman...
de
Richard Gildas
C'est un roman humide et moite, où ça tangue et ça gîte, au gré des caraques, ces immenses nefs qui voguaient les océans, en route pour transbahuter la soie, le coton, le bois, les évangiles, les bras des hommes noirs, leur dignité en fond de cale… Cales où l’on entreposait lors du voyage aller, de menues pacotilles, des verres et miroirs, du tissu et des armes à feu, quelques lingots et de l’alcool, autant de marchandises troquées contre des captifs en retour. C’est un roman animé de trois héros ordinaires embarqués pour une épopée maritime au XVIIe siècle ; entre tumulte, clarté et tragédie. Deux hommes et une femme que l’on suit dans les bouges, sous les déluges des dieux, ventre à terre, en mal de mer, l’aventure, guerriers, un œil au combat, à chercher le choc, fendre le roc, guerrier qui tombe, un pied dans la tombe, fait mal, sifflent les balles, le vent et la mitraille… L’époque est alors celle du vaste empire portugais. Pays petit d’un million d’habitants qui maintient alors difficilement sa supériorité navale et doit céder du terrain face aux convoitises des armées bataves et anglaises. Un peu le début de la fin du monde, en somme. Fernando, Marie et Diogo, sont ballotés d’une rive à l’autre, sur des dunes que le vent déplace et qui ensevelissent des villages entiers, au cœur de quelques forêts exploitées pour la résine ou le charbon, des marais insalubres, des landes inondées... Cœurs qui battent en milieu hostile, sans répit. On tourne les pages et, un œil à la fenêtre, on reprend son souffle. Et cette interrogation, soudain. Dans ces temps lointains, il suffisait d’un rien pour mourir. Un mauvais œil, une tornade, un coup fourré, un traquenard ou une plaie où grouillait la vermine. Alors, certains choisissait de vivre le tout pour le tout, s’aventurer dans le loin, oser le vide plutôt que finir pêcheur, crevard et miteux. On tourne les pages, et voilà qu’une notification tombe et l’on apprend que… une pluie de frappes sur la banlieue sud de Beyrouth, un nouveau bilan qui fait état de 44 235 morts à Gaza, 457 sites endommagés en Ukraine depuis le début de la guerre et un million de morts et blessés russes et ukrainiens. On relit l’incipit du roman qu’on tient en main et qui nous tient en haleine : « un lopin de terre pour naître ; la terre entière pour mourir. Pour naître, le Portugal ; pour mourir, le Monde… » Une phrase signée António Vieira (1608 – 1697). Et l’on songe à tous ces malheureux, condamnés à mourir là où ils n’ont même pas pu vivre.
Pour mourir, le monde – Yan Lespoux (Agullo Editions)
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| Para morrer, o Mundo | Chapitre | 0 message |
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