La Maison de Poupées
Je me réveillais d'un long sommeil sans rêve, pour découvrir qu'autour de moi, excepté le lit sur lequel je me trouvais pour dormir, toute la chambre avait changé, repeinte en rose de fond en comble pendant la nuit, et déchargée de mes affaires habituelles que je laissais souvent traîner comme des cadavres abandonés au parquet. La pièce était méconaissable, et même le placard ancré dans le mur, dans lequel étaient rangée une partie de vêtements, avait totalement disparu derrière un nouveau revêtement placé là, que je n'avais jamais vu.
Surpris d'abord, intrigué ensuite, après avoir passé quelques minutes à observer ce nouvel environnement bien étrange, bien différent de celui que je connaissais, je décidai de sortir de cette chambre, peut-être qu'après tout ce n'était qu'un rêve et que tout redeviendrait simplement dans l'ordre quand j'y reviendrais. Mais, alors que je fermais délicatement derrière moi la porte, comme ayant peur de faire trop de bruit, alors que je me savais pourtant seul dans cette maison, quelle ne fut pas ma surprise quand je vis que ma chambre n'était pas la seule à avoir été totalement modifiée, mais le reste aussi ! Ainsi, les murs dégoulinaient tous de cette même couleur infâme, sucrée et terrifiante qui contrastait tant avec les anciens murs blancs et crémeux qui m'entouraient habituellement et que j'aimais tant. Je m'en rendais compte à présent.
Alors, effarouché, courant de partout dans les pièces, apeuré, je tentais tant bien que mal de chercher un seul endroit resté intact, dans lequel je pourrai au moins rester tranquille. Mais seules les toilettes avaient été épargnées, et, toujours perdu et désoeuvré, j'eus comme premier réflexe de m'y blottir comme pour me rassurer.
Je ne sais combien de temps j'y restai, des heures peut-être, car je n'avais aucune envie de ressortir et me replonger dans ce monde totalement différent du mien ; je préférais rester là plutôt que d'affronter une réalité étrange et qui ne m'appartenait pas.
Mais, alors que je commençais à retrouver un peu de mon calme, et me préparais seul à ressortir, à émerger dans ce cauchemar si étrange, j'entendis quelques voix, très fortes et aigues que je ne reconnaissais pas. Alors que je plaçais mon oreille à la porte, celle-ci s'ouvrit brutalement, tirée par une main gigantesque qui vint attraper mon corps à la taille et me tirer à l'extérieur de la petite pièce exigüe, qui restait jusqu'alors mon seul repère, mon seul refuge. Cette fois-ci, je cédai entièrement à la panique : habitué bien sûr à être attrapé et déplacé ainsi au quotidien, c'était pourtant la première fois que la main était aussi violente avec moi et que je me retrouvais être autant secoué. Dans tous les sens j'étais bousculé, et je n'espérais plus retrouver la terre ferme tant ces déplacements étaient violents, rapides et illogiques, me faisant perdre tout espoir de garder la vie sauve.
Toujours aussi perdu et désorienté, sans aucune information sur ce qu'il se passait, je compris finalement ce qui était en train de m'arriver : quand la main se calma finalement, au bout de 15 bonnes minutes de remue-ménage sans fin, et que je fus placé face à la personne qui me tenait, je vis qu'elle était bien différente de d'habitude : ma propriétaire, elle n'était plus la belle jeune fille brune, Emma, qui prenait tant soin de moi, mais une gamine blonde, édentée, surexcitée et maldaroite au possible, qui trouvait visiblement drôle de me remuer partout et de changer chaque recoin de ma maison adorée, m'enlevant tout bien personnel.
Je venais de comprendre, je venais d'être vendu, Emma était devenue trop grande, et elle n'avait eu d'autre choix que de se débarasser de moi, c'est pour cela que tout avait changé, que tout était différent.
Moi, misérable poupée, déplacée de partout au voeu de mes propriétaires, je venais de trouver ma nouvelle maîtresse, ma nouvelle vie et tout venait d'être modifié, changé, redirigé, j'avais tout perdu au profit d'un nouveau destin qui ne me plaisait pas.
Et ma maison maintenant serait rose, rose bonbon répugnant, dégoûtant mais auquel je ne pourrai jamais dire non.
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