Chapitre 54

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Trois ans plus tard.

 L’aube se levait à peine. La jeune femme souleva de la main la chaîne barrant le passage balisé d’un panneau « zone interdite ». Au-delà, des torii encadraient une série d’escaliers que la végétation envahissait par endroits.

 « Allez ! Viens ! » exhorta-t-elle en passant sous le cordon métallique.

 Le menton enfoncé dans son col d’uniforme, son amie hésita.

 « Allez Beth ! Fais pas ta chochotte ! insista-t-elle à nouveau. C’est toi qui m’as dit que le prof venait ici tous les jours. T’es pas curieuse de savoir ce qu’il y fait ?

 — Si… »

 Beth jeta un regard alentour, puis franchit à son tour la chaîne.

 « Il vient peut-être simplement ici pour prier ? ajouta-t-elle après quelques instants.

 — Lui ? Je pense pas qu’un mec qui a passé deux ans en Enfer croit en un quelconque dieu. Doit forcément y avoir un truc là-haut. »

 D’un pas pressé, les deux jeunes femmes entamèrent de gravir les marches.

 « C’est pas une bonne idée, Nina. On ne devrait pas être là ; le directeur Sekai a formellement interdit l’accès au sanctuaire.

 — Et tu ne trouves pas ça louche qu’on ait le droit d’aller partout dans l’Académie, sauf précisément ici ?

 — Il a dit que c’était pour notre sécurité. Le temple menace de s’écrouler !

 — Alors pourquoi lui irait ? »

 À court d’arguments, Beth renonça à la dissuader.

 Une cinquantaine de marches plus loin, le sanctuaire se profila au détour d’un virage.

 « On y est presque ! encouragea Nina.

 — Attends ! l’arrêta Beth en lui saisissant le bras.

 — Quoi encore ? »

 Figée sur place, Beth leva l’index vers le sommet de l’escalier.

 « Là, y a quelqu’un », murmura-t-elle.

 Nina leva les yeux.

 Une femme vêtue d’un kimono blanc se tenait en haut des marches, l’épaule et la tête reposant contre le bois d’un torii. Lentement, elle se laissa glisser le long du poteau jusqu’à tomber sur les genoux.

 « OK, on se casse, ordonna Nina, en faisant demi-tour.

 — On ne devrait pas plutôt l’aider ? Elle n’a pas l’air bien.

 — Tu plaisantes ? Avec un peu de chance, elle nous aura pas captées. On file d’ici ! »

 Beth lui lança un regard sévère.

 « Vas-y, si tu veux. Moi, je vais voir ce qu’elle a, annonça-t-elle en poursuivant son ascension d’un pas décidé.

 — Je te rappelle qu’on ne devrait pas être là !

 — Oui, c’était une erreur de venir ici. Maintenant, on fait les choses bien. »

 Nina souffla.

 « Et merde… », jura-t-elle en lui emboîtant le pas.

 Lorsque Beth et Nina parvinrent à hauteur de la dame en kimono, elles ne lui trouvèrent aucune blessure. Elle ne paraissait pas même en mauvaise santé ; sa peau était pâle, mais pas autant que son vêtement. Son visage dégageait une beauté froide. Sans vraiment se l’expliquer, Nina lui trouva quelque chose de familier.

 « Madame, est-ce qu’on peut vous aider ? s’enquit Beth en s’agenouillant à ses côtés.

 Le regard vague, la dame tourna la tête à la manière d’un automate. Ses lèvres remuèrent timidement sans qu’aucun son n’en sorte.

 Mue par sa curiosité, Nina ne put s’empêcher de jeter un œil en direction du sanctuaire. La barre transversale sur l’intérieur du battant entrouvert attira son attention. La porte ne s’ouvrait que dans le sens de la sortie ; pas le genre de celles que l’on trouvait dans les temples.

 Nina opéra un va-et-vient du regard entre l’édifice et la femme agenouillée.

 « Sa voix est trop faible, pesta Beth. Je n’arrive pas à comprendre ce qu’elle essaye de dire. »

 Les lèvres de la dame en kimono semblaient répéter en boucle deux syllabes inaudibles.

 Lorsqu’un choc retentit soudain plus bas dans l’escalier, un courant d’air balaya ses longs cheveux noirs. Une larme roula le long de sa joue, puis son visage s’illumina.

 Beth se retourna avec une certaine appréhension, consciente qu’elle allait devoir répondre de sa transgression. Elle ne connaissait qu’une personne capable de surgir, comme ça, de nulle part.

 Son professeur se tenait quelques marches plus bas, parfaitement immobile. Son visage affichait une expression qu’elle ne lui avait jamais vue, mais qui n’était nullement de la colère. Au contraire, il posait sur la dame en kimono un regard teinté d’une infinie douceur.

 Beth se leva sans un mot, puis emmena Nina avec elle.

 Alors qu'elles redescendaient les escaliers, les deux syllabes leur parvinrent, fébriles.

 « Abel.

 — Ayame. »

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