05. Prise de position

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Julia

- C’est un ordre, je ne veux même pas vous entendre !

Je fusille du regard Collins qui, forcément, se permet de discuter ma directive devant tout le groupe présent. Quel foutu connard, celui-là. Dommage qu’il n’y ait pas de mitard ici, sinon, je l’y collerais bien, rien que pour le voir ramper et me supplier de le sortir de là.

- Personne ne sort aujourd’hui, donc vous pouvez décaler vos heures de repas. Et si ça ne vous convient pas, on a une belle quantité de rations qui vont satisfaire vos papilles. Libérez de l’espace pour que les réfugiés puissent s’installer et déjeuner tranquillement, continué-je.

- Ils vont nous ramener leurs maladies ici, Lieutenant. Il faut pas qu’ils viennent manger ici, c’est pour ça qu’ils ont leur camp à eux. Moi, je veux pas être malade.

- Très bien, on a donc trouvé celui qui sera de corvée de nettoyage du réfectoire après le service ! Au moins, on est sûr qu’il sera briqué du sol au plafond. Allez, au boulot les gars.

- C’est pas normal, ça ! Je vais quand même pas nettoyer leur merde en plus ? Lieutenant, avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas d’accord.

- D’accord ou pas, tu n’es pas là pour penser mais pour exécuter des ordres. Si ça ne te convient pas, tu peux toujours aller te plaindre au Colonel.

Qu’est-ce qu’ils ont tous à me faire chier, aujourd’hui, sérieusement ? Entre lui, l’autre abruti de Mirallès et le couillon de l’ONG, j’ai l’impression que c’est ma fête. Comme si blablater et se plaindre allait faire avancer les choses, bon sang. J’ai déjà repéré des dizaines de failles et de problèmes, il faut absolument qu’on se bouge. Non mais, sérieusement, les réfugiés sont à peine installés, et il n’y a même pas de WC ou de douches pour eux ! Je n’en reviens pas que Mirallès ait fait si peu. C’est juste honteux et ça m’agace profondément.

Je vois Collins bouillonner, mais il décide enfin de la boucler et fait demi-tour, accompagné des autres, pour faire ce qui lui a été demandé. Si c’était un homme qui lui avait ordonné ça, jamais il ne l’aurait ouverte, et ça m’agace d’autant plus de voir qu’il se permet de remettre en question mes ordres.

- Snow, t’en es où dans ton exploration ? l’apostrophé-je en le voyant passer.

- A part le fait qu’on part quasiment de zéro ?

- Ouais, j’ai vu ça, soupiré-je. Tu veux bien m’accompagner aux quartiers de Mirallès ? Enfin, à mes nouveaux quartiers. Il n’est toujours pas parti et je n’ai aucune envie de me retrouver en tête à tête avec lui.

- Direction la grange alors, Lieutenant, dit-il en me faisant signe de le suivre. C’est là que sont les troupes. Elle a dû être utilisée pour du stockage ou je ne sais pas trop quoi, il y a plusieurs pièces, qui ont été transformées en dortoirs par les hommes du Lieutenant. La salle de réunion et la salle des opérations y sont installées. Ta chambre est à côté, veinarde. On est plutôt à l’étroit dans les dortoirs, mais au moins les femmes pourront avoir le leur.

- Parfait. On n’est pas dans un cinq étoiles, mais on a un toit au-dessus de nos têtes, comparé à toutes ces personnes qui crèvent la dalle et dorment dehors.

J’entre dans la grange par une porte sur le côté et y découvre un genre de hall avec plusieurs lits. Effectivement, je crois que les gars pourraient se mettre des coups de pieds en dormant tant c’est étroit.

- Là-haut, me dit-il en m’indiquant une mezzanine, desservie par une échelle, ils ont aménagé un genre de coin repos. Y a un babyfoot et des canapés qu’ils ont dû récupérer dans la bâtisse principale, c’est fleuri et dégueulasse. Les trois portes sont d’autres dortoirs. Et au premier, là, y a ta piaule et la salle des opé.

Je vois Mirallès sortir de la première pièce à l’étage, son barda à la main. Hallelujah, il se barre. Il descend les marches avec son sourire condescendant habituel et me tend la main une fois en bas.

- Bon courage Lieutenant.

- Merci, dis-je en la lui serrant.

Je vais en avoir besoin, vu le boulot qu’il y a à faire. Je monte les marches sans m’attarder, dépose mon barda devant la porte de mes quartiers et entre dans la salle des opérations. C’est plutôt bien équipé, rassurant, mais il n’y a plus âme qui vive. Je m’assieds à la table de réunion et suis rejointe par Snow.

- Quelles sont les priorités, selon toi, Snow ?

- Les réfugiés. Des tentes, des WC, des douches, sinon on va avoir une épidémie. Et organiser le camp, faire les corvées. Planifier la défense. Tu en veux encore ?

- J’en veux seulement si tu ajoutes “couper les couilles de Collins”, ris-je en regardant l’horizon à travers la petite fenêtre. Il faut absolument qu’on sécurise les lieux, ça m’inquiète. On peut mettre un garde dans la maison. A l’étage, il aura une vue dégagée. Idem au-dessus de l’infirmerie. Mais il faut qu’on construise deux points d’observation rapidement.

- Il faut que tu voies le gars de l’ONG aussi. Tu peux pas continuer à bosser contre lui. Sinon, on va à la catastrophe.

- Je ne bosse pas contre lui, bougonné-je en lui jetant un regard noir. C’est lui qui s’est emballé. Je viens de me mettre la moitié du groupe à dos pour arranger les choses, tu veux quoi, que je lui lèche les pieds aussi ?

- Le combat de coqs devant tout le monde, c’est à éviter, si je peux me permettre. Pas une bonne idée entre les deux responsables du camp. Sinon le Colonel va finir par te tomber dessus.

- Il m’a cherchée, et j’ai pas besoin que tu joues le paternel avec moi, Snow, t’es pas là pour ça, même si à toi, je demande de réfléchir. Je verrai avec le Bûcheron tout à l’heure ce qu’on va mettre en place, ensemble. En attendant, s’il me cherche, il me trouve, je ne vais pas me laisser marcher sur les pieds sous prétexte que Monsieur gère sa mission humanitaire. Si moi je manque d’humanité, il ne doit pas y avoir grand monde sur cette foutue Terre qui en a.

- Pas de souci, Lieutenant. Une autre mission pour moi ? demande-t-il toujours prêt à me venir en aide ou à me soutenir.

- Tu veux bien t’assurer que tout se passe bien pendant la distribution des vivres, s’il te plaît ? Je vais passer voir tout à l’heure, mais je vais essayer de me poser et de réfléchir un peu à tout ce bordel d’abord.

Il est bien le seul à qui je dis s’il te plaît. Et aussi le seul qui a droit à mon ton naturel, quand nous sommes en tête à tête. En dehors de ces instants rien qu’à nous, je le sais, je suis directive, autoritaire, froide et hautaine. Voilà comment on me décrit, certainement. Pour certains, je dois avoir un balai dans le popotin, être frigide, pas aimable ou je ne sais quoi d’autre. Je dois être habillée pour l’hiver en qualificatifs pourris, mais je m’en fous. J’ai bossé comme une dingue pour en arriver là.

- Tu peux disposer, Snow, à moins que tu aies autre chose à me dire ?

- Non, rien à rajouter à part que tu vas en chier pendant les six prochains mois. N’hésite pas à me solliciter si tu as besoin. Et profite bien de tes quartiers, finit-il, un sourire aux lèvres qui me fait comprendre qu’il me cache quelque chose, même si je ne sais pas de quoi il s’agit.

- Merci. Je ne sais pas ce que je ferais sans toi, Camarade, souris-je en récupérant le dossier que m’a laissé Mirallès.

Je commence à le consulter alors que Snow quitte la pièce, et ne tarde pas à sortir de la salle des opérations pour aller découvrir ma chambre. La pièce n’est pas très grande mais Mirallès s’est octroyé le droit de récupérer du mobilier. Un lit deux places qui a bien vécu, un bureau, une armoire, et même une télévision, pas très loin d’un lavabo. Une télévision, c’est la première fois que je vais pouvoir regarder la télévision en mission. Avec un peu de chance, je pourrai avoir internet et brancher mon ordinateur sur la télé pour voir la famille en plus grand. Je dépose mon barda à côté du meuble télé et en ouvre les portes pour y découvrir une tonne de DVD. Je commence à me dire que ça va être cool, si j’ai le temps… Enfin… Finalement, non, je crois que je vais me passer des DVD. Mirallès s’est fait une collection impressionnante de films pornos ! Quel foutu pervers, ce type ! J’éclate de rire en comprenant l’allusion de Snow, et en récupère un, puis un autre et un troisième, et constate que le mec apprécie le sexe avec des femmes d’origines ethniques différentes. Un comble quand on voit comment il a tenu ce camp ! Il a vraiment passé son temps à se branler plutôt qu’à bosser !

Après avoir pris le temps de ranger mes affaires, je redescends pour rejoindre le réfectoire, où il y a foule. Snow contrôle les entrées de manière discrète, beaucoup plus diplomate que moi apparemment, puisqu’il discute avec l’un des gars de l’ONG. Je me faufile dans la cantine, qui devait être une grande étable il fut un temps, et observe un peu tout ce qui s’y passe. Les personnes recrutées par Food Crisis sont très actives, presque dépassées, et j’approche, voulant donner un coup de main, ou tendre un drapeau blanc, chacun interprètera ça à sa sauce.

- Je peux vous proposer mon aide ? demandé-je au responsable alors qu’il a le nez dans un carton.

- Vous êtes pas censée nous protéger contre tous les méchants dehors plutôt ? me rétorque-t-il, clairement toujours remonté.

- Vous pouvez ranger vos crocs cinq minutes ?

- Ouais, quand vos soldats arrêteront de menacer les gens qui viennent manger avec leurs fusils. Regardez l’autre là-bas, avec son masque à gaz. C’est pas pathétique, ça ?

Je lève les yeux et cherche le couillon en question, me doutant déjà de qui il s’agit. Quel foutu con, celui-là ! Je soupire en me dirigeant vers Collins, hésitant encore sur la conduite à tenir. Si je la joue discrète, je ne fais peur à personne. Mais si je la joue voyant, je montre à ces personnes, si tant est qu’elles comprennent, que je les prends en considération, et je montre au bûcheron de l’ONG que je ne suis pas comme mon homme. Au choix, Julia, décide-toi vite...

- Collins, dégage de là avec tes conneries ! Ton manque de respect est inadmissible. Tu seras de corvée de latrines pour les sept prochains jours, je peux te le garantir ! Et si tu râles, je fais un rapport à la hiérarchie, suis-je claire ?

- Vous pouvez pas faire ça, Lieutenant, c’est pas juste ! ne peut-il s’empêcher de réagir.

- Sors, ou je double la mise. Tu facilites mon travail d’organisation des corvées, là.

- Ouais, ben on en reparlera. On est à l’armée, pas en dictature, grommelle-t-il en sortant.

Une dictature, rien que ça ? Le mec a quand même eu l’occasion d’intervenir dans des pays où règne la dictature, et il me compare à un dictateur ? S’il n’est pas capable d’entendre et de suivre un ordre, ce n’est pas dans l’armée qu’il aurait dû entrer. Il va falloir que je l’aie à l'œil celui-là. En attendant, je retourne auprès de l’autre ronchon de la journée.

- Problème réglé. Ce type est un crétin. Les armes, c’est obligatoire. Règlement. Et vous protéger, j’ai des hommes dehors. Autre chose à me reprocher ou je peux donner un coup de main ?

- Il va vraiment se prendre deux semaines de corvée ?

- Une au moins, c’est certain.

- Merci pour eux, me répond-il en montrant les personnes. Ce n’est pas parce qu’on n’a plus rien qu’on doit être victime de manque de respect. Si vous voulez aider, il faut aller ramener ces rations aux mamans qui ont des bébés et qui ne peuvent pas venir ici toutes seules. Vous venez avec moi ?

- Bien sûr. Je vais pouvoir en profiter pour observer un peu les conditions dans lesquelles ils vivent. Allons-y alors.

Est-ce que c’est un drapeau blanc ? Peut-être. Je prends, en tous cas. On verra ce que ça donne. En tous cas, c’est la première fois qu’il me parle sans s’énerver. C’est toujours ça de gagné. Un petit pas pour la sécurité, un grand pas vers l’humanité.

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