81. Les reines du shopping

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Julia

- Non, mais non, vous êtes dingues ou quoi ?

J’observe Myriam et Eva se marrer en étalant les vêtements sur mon lit, comme si elles allaient jouer à la poupée. Il y a de tout, là-dedans, comme si elles avaient fait dix friperies différentes et pris tous les trucs qui leur tombaient sous la main. J’ai bien conscience qu’on fait avec les moyens du bord, qu’elles ont récupéré des vêtements auprès des réfugiés, mais il ne faut pas pousser.

- J’ai l’air d’avoir besoin de rembourrage ? bougonné-je en jetant un soutien-gorge sur la pile de vêtements que je ne porterai assurément pas.

- En treillis, clairement ouais, rit Eva. On s’est dit qu’avec des seins qui débordent de partout, personne ne ferait attention à l’arme que tu comptes planquer je ne sais où.

- Justement, il me faut un soutien-gorge qui me laisse respirer et me permette de cacher au moins un couteau, bande de dingues.

Je fouille dans les fringues en désespérant un peu. J’imagine que la soirée sera guindée, tout ce que je déteste, et les vêtements des Silvaniens sont souvent très beaux, mais ce n’est pas l’idéal pour une réception en présence de tous ces cons du Gouvernement.

- Alors, vous vous en sortez ? demande un Snow qui entre dans mes quartiers comme dans un moulin.

- Qu’est-ce que tu fous là, toi ?

- Il nous faut un point de vue masculin, voyons. Et puis, il a besoin qu’on lui change les idées, le P’tit ! s’esclaffe Myriam en attrapant une robe digne d’un Carnaval vu le nombre de couleurs. Elle est jolie celle-ci !

- Mon cul ne rentrera pas dedans, laisse tomber.

- Dis pas de bêtise et essaie-la !

- Bordel, on n’est pas dans Les reines du Shopping, bougonné-je en lui arrachant la robe des mains et en me tournant dos à eux pour me déshabiller.

- Et enlève ta brassière dégueulasse. Laisse-moi respirer ces roploplos, continue Myriam avec l’accent de Cristina Cordula. Pas besoin de soutif avec cette robe !

Je l’enfile bon gré, mal gré et me retrouve engoncée dans le tissu. J’ai l’impression qu’il pourrait craquer au moindre mouvement et je me retourne en la fusillant du regard. Ça déborde de partout, j’ai l’impression d’être un saucisson.

- On est d’accord que c’est non, n’est-ce pas ?

- Oui, bon, ok. Mais on aura essayé, au moins !

- Mathias Snow, bougonné-je en lui balançant le premier vêtement qui me passe sous la main, je te jure que si tu continues à mater mes seins comme ça, je te crève les deux yeux.

- Je ne mate pas, Julia Vidal, je suis là pour t’aider ! Tu sais bien que j’ai ma propre Ju, maintenant ! Et franchement, la robe saucisson, ce n’était pas le top pour te mettre en valeur. Tu devrais essayer la petite robe noire et rouge qui est sur la chaise, peut-être. Je suis sûr que ça te ferait un joli petit cul auquel un bûcheron ne pourrait pas résister !

- Ouais, c’est vrai qu’on part vachement sur un rencard, soupiré-je en récupérant la robe et en leur tournant à nouveau le dos pour me déshabiller alors qu’on frappe à la porte.

Je n’ai pas le temps de dire quoi que ce soit que la porte s’ouvre dans mon dos et je me retourne brusquement en plaquant la robe sur ma poitrine pour tomber sur le regard froncé et incrédule d’Arthur.

- Ah, quand on parle du Bûcheron ! ricane Myriam en lui tirant le bras pour le faire s’asseoir sur ma chaise de bureau. Profite du spectacle, Beau gosse ! Et si tu es sage, je suis sûre qu’elle te fera un petit défilé perso !

- Un défilé ? Mais c’est quoi, cette histoire ? Tu n’es pas prête, Julia ? On va bientôt devoir partir, non ?

- Figure-toi que je n’ai dans mon armoire que des treillis, il faut bien que je trouve un truc à me mettre, non ? soupiré-je en me tournant face au mur pour enfiler la robe que Mathias m’a conseillé de porter.

- Et tu choisis toujours tes habits devant tous tes amis ? Il est vrai que j’ai bien fait de venir, le spectacle est agréable, dit-il en souriant, faisant semblant de se frotter les mains.

- Bien sûr, on fait souvent des sorties shopping tous les quatre, Mathias a un sens inné pour la mode, me moqué-je en tournant sur moi-même. Vous en pensez quoi ?

Je vois Mathias et mon Bûcheron ouvrir lentement la bouche et rester sans voix, leurs yeux grand ouverts. Arthur me dévore du regard et je le vois porter son attention d’abord à mes jambes que l’on découvre jusqu’au haut de mes cuisses car la robe est fendue sur le côté. Il mate ensuite sans retenue aucune le léger décolleté qui est mis en valeur par la coupe du vêtement bien serré contre ma poitrine nue. Je ne peux m’empêcher d’éclater de rire en voyant Mathias faire le chemin inverse et c’est Myriam et Eva qui réagissent les premières;

- Wow ! T’es canon comme ça, chérie ! Mathias a vraiment du nez pour t’habiller !

- Ouais, c’en est presque inquiétant, ris-je. Je crois que tu t’es planté de carrière professionnelle, Snow. Par contre, je vais avoir du mal à planquer une arme là-dessous.

- Pas besoin d’arme avec une telle tenue, intervient Arthur dont le regard enfiévré me donne des envies folles de mettre tous les autres dehors. Tu sors comme ça et aucun soldat ne va réussir à se souvenir où il a mis son arme !

- Vous avez vraiment le cerveau au mauvais endroit, vous, les mecs, soupiré-je en regardant les quelques paires de chaussures au sol. Snow, tu vérifieras bien que Collins fait ses corvées, s’il te plaît ? Et je te laisse le plaisir de l'entraînement au beau milieu de la nuit pour leur relâchement pendant mon absence. Réveil brutal et entraînement de la mort, je compte sur toi.

- Est-ce que je peux te prendre en photo comme ça ? me demande-t-il alors, amusé. Je leur dis que celui qui réussit le mieux l'entraînement a le droit d’avoir la photo, ça serait une belle source de motivation !

- Hors de question, ils ne méritent aucune récompense, juste de souffrir pour avoir glandé en mon absence, dis-je en enfilant une paire d’escarpins qui a déjà bien vécu.

- Tiens, regarde ce petit sac, me dit Eva qui a continué à fouiller dans les affaires déposées sur le lit. Tu vois, je suis sûre que tu pourrais y glisser ton arme. Et hop, ni vu, ni connu !

- Ils vont forcément fouiller mon sac, non ? On va entrer au palais, ce n’est pas une petite boutique de fringues qu’on va visiter.

- S’ils fouillent ton sac, il vont aussi te faire une fouille au corps. Le mieux, c’est d’y aller sans armes et d’utiliser les techniques de self-défense qu’on a apprises à l’école, me dit Snow. Tu sais, utiliser les moyens du bord et faire feu de tout bois.

J’acquiesce en soupirant. Je préférerais avoir une arme, quand même, mais il n’a pas tort. Quant au self-défense, c’est d’autant plus vrai qu’à mon retour d’Afghanistan, j’ai pris des cours supplémentaires en dehors de la base, à la fois pour m’améliorer, parce qu’il y en avait clairement besoin, mais aussi pour évacuer. J’ai aussi fait plusieurs mois de sport de combat pour apprendre à vraiment me défendre. Hors de question de revivre l’Afghanistan.

Je me déshabille et enfile un jean et un tee-shirt basiques empruntés à Eva avant de plier soigneusement la robe pour la glisser dans un sac avec tout le nécessaire pour la soirée. Je prends tout de même le temps de détacher mes cheveux et de les discipliner. Je crois que l’une des premières choses que je ferai en rentrant en France, c’est d’aller chez le coiffeur pour retravailler mon carré plongeant, ça devient le bordel là-haut. Je regarde mon Pamas posé sur mon bureau et bougonne dans mon coin. Je déteste sortir sans arme, j’ai l’impression d’être à poil. Dans ce genre de situations, ça peut être utile et là, ça va manquer. Je suis sûre que je vais la chercher à un moment ou un autre, même si j’espère qu’aucune situation ne m’obligera à nous défendre.

- Bon, vous voulez me regarder ranger aussi ou je peux être tranquille deux minutes ? Vous n’avez pas assez maté, bande de pervers ?

- Oh le spectacle est déjà terminé ? demande Snow en prenant une mine faussement désespérée. Dommage, nous étions prêts à faire les quatre-cents coups avec toi, Ju.

- On va te laisser ma puce, me dit Myriam en déposant un petit baiser sur ma joue, Arthur, tu as le droit de rester, toi ?

- J’ai deux ou trois choses à voir avec lui avant le départ, dis-je en tirant la langue à Myriam. Et je vois ton cerveau partir sur du cul, Myriam, t’emballe pas, on est au boulot, là.

- Faut profiter, ma chérie ! Passez nous voir avant de partir quand même !

- Bien sûr, on va faire un tour d’honneur avant le départ tant qu’on y est, bougonné-je en ouvrant la porte pour les inciter à sortir. Oust !

Les filles sortent en riant, sans oublier de déposer une bise appuyée sur ma joue.

- Fais attention à toi, Ju, me dit Snow au passage, et au Bûcheron aussi, mais ça je n’en doute pas.

- Compte sur moi. Et fais-en baver aux flemmards cette nuit, je veux les voir éreintés en rentrant, ris-je.

- Oui, je vais faire mon petit chef, ils vont morfler, crois-moi !

Je ris et referme la porte derrière lui en soupirant. J’ai un foutu mauvais pressentiment qui refuse de me lâcher et j’ai beau tenter de masquer mon inquiétude, elle m’étreint lourdement depuis que j’ai lu ce courrier qui m’amène à jouer la garde du corps en robe de soirée.

Je me tourne vers Arthur qui m’observe, toujours assis sur la chaise, et vais finalement m’installer sur ses genoux en entourant son cou de mes bras.

- Tu es prêt à te jeter dans la gueule du loup ?

- On n’a pas vraiment le choix, mais je sens bien le coup foireux. Tu es vraiment sûre que tu veux venir avec moi ? Je ne me plains pas de la vue et du spectacle, mais je ne voudrais pas qu’il t’arrive quelque chose.

- J’en suis certaine. On ne sera pas trop de deux pour se défendre au besoin. Hors de question de te laisser affronter ça tout seul, Beau Bûcheron !

- Merci, Jolie Soldate. Je vais récupérer mon sac et puis on se retrouve en bas ? Lila voulait te dire au revoir aussi. La voiture que le Gouvernement nous envoie devrait arriver d’ici quinze minutes. Ça va aller pour toi ?

- Oui, je suis prête. Je vais profiter des dernières minutes pour revoir le plan du palais et de ses environs, juste au cas où.

Je pose mes lèvres sur les siennes et l’embrasse tendrement, profitant encore un peu de cet environnement sécure que nous allons quitter pour l’inconnu. Qu’importe ce qu’il va se passer dans les prochaines heures, nous pourrons compter l’un sur l’autre. C’est l’essentiel.

Quand je plonge à nouveau mes yeux dans les siens, les trois petits mots magiques menacent de sortir de ma bouche, mais je me contrôle et lui souris. Ce n’est ni le lieu, ni le moment, et je ne suis pas certaine d’être prête à m’exposer de la sorte. On se calme, Julia, même si ton cœur bat la chamade, ce n’est pas adapté à la situation. Pour les effusions, on verra plus tard.

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