Je suis allé récemment à l’enterrement d’un voisin du quartier. Il y avait beaucoup de monde dans la salle. Les gens avaient accouru dès qu’ils avaient entendu la nouvelle du décès. Après avoir présenté mes condoléances à ses enfants, Je je me trouvai une place à coté d’un groupe de quinquagénaires qui semblaient très biens se connaitre. Ils discutaient presque joyeusement entre eux. Je me surpris à tendre l’oreille pour écouter ce qu’ils se disaient.
– Tu te souviens quand il nous avait retenus en classe tout les soirs pendant plusieurs semaines. C’était en sixième non ?
– Oui, il nous avait obligés à travailler les maths comme des fous.
– Et on l’avait tous eu notre sixième ! Nos parents n’en revenaient pas. C’était la fête dans tout la ville !
– Ce qui m’avait le plus marqué, et certainement sauvé la vie, c’est l’année où il avait décidé que tous les élèves devaient avoir droit à la cantine scolaire, même ceux qui habitaient juste à coté et qui pouvaient rentrer chez eux à midi, ce qui était mon cas. Je me souviens que les cuisiniers faisaient la gueule à cause du travail supplémentaire que ça leur demander. Ce n’était pas évident de doubler le nombre de plats.
– Je crois qu’il était conscient de notre misère et qu’il voulait qu’on ait au moins un repas correct par jour.
– Le plus extraordinaire c’est qu’il avait réussi à tous nos nourrir sans demander de budgets supplémentaires, qu'il n'aurait jamais eus d'ailleurs.
– C’est normal, il ne rentrait que tard le soir chez lui à force de vouloir tout superviser lui même, de négocier les prix avec les fournisseurs, de décider du menu et de surveiller le réfectoire. Il leur avait mené la vie dure, à ces filous de cuisiniers !
Ils allaient éclater de rire, puis se turent d’un coup se rappelant les circonstance qui les avaient réunis.
– On pourrait parler de notre cher M. Le directeur des heures et des heures sans nous arrêter. Il a peut-être quitté cette terre, mais il reste à jamais dans nos coeurs. Rien que la semaine dernière, je parlais de lui à mes enfants. Je leur avais raconté la fois où il avait loué un taxi pour nous emmener faire les inscriptions au collège. Sans lui, je n’aurais jamais fini mes études. Sans lui, je n’aurais jamais pu devenir ingénieur.
– Et moi je n’aurais jamais pu aller à l’étranger faire ma vie.
– J’ai suivi son chemin et je suis devenu professeur de lycée. Qui l’aurais cru.
– Lui. Il avait foi en nous et il nous a tous mis sur nos rampes de lancement. Il savait que nos parents étaient trop pauvres et trop ignorants pour nous apporter une quelconque aide.
Le groupe se tut pendant un long moment. Chacun avait remonté le temps et rejoint des souvenirs lointains.
Enfin, l’un d’eux se leva puis les autres le suivirent. Ils se donnèrent des accolades, se promettant de se revoir dans d’autres occasions, moins tristes, puis partirent prendre congé auprès de la famille du défunt.
Je restai là, seul, à me demander quel personnage extraordinaire était M. Le directeur et regrettant de ne pas avoir cherché à le connaitre de son vivant.