Le client habituel

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Vingt heures Trente-six. Le bus est à l’heure. Tant mieux. A Cinquante-six, je serai à la maison, à Neuf heures, je serai sous la douche. Vingt minutes d’intense plaisir. J’aime l’indiscrétion de l’eau qui se faufile partout, le long de mon corps, jusque dans les recoins les plus intimes et me procure des sensations agréables, délassantes, relaxantes ; et Dieu si sait si ce soir j’en ai besoin, tout particulièrement. La journée a été difficile. Tous ces clients à gérer. Avec Katia en arrêt maladie, ça faisait une caisse en moins et Amédée, lui, ce n’est pas un rapide. Il fait un client quand j’en fais deux ; alors, forcément, les autres, les pressés se ruent à ma caisse. Puis, il y a eu cette bagarre entre les deux clochards, à propos de la dernière canette de bière à Soixante-seize centimes qu’ils prétendaient avoir vue chacun en premier. Les clients étaient scandalisés, horrifiés Il y avait des mamans avec leurs enfants. On a craint que l’un d’eux ne leur tombe dessus. On a failli appeler la police mais, heureusement, elle était là. Deux jeunes agents qui faisaient des achats de boissons et de sandwiches. Peut-être pour eux, ou pour es gardés à vue. (Le commissariat est à deux pas de la superette où je travaille) Quand ils ont entendus les cris, ils se sont précipités sur eux. Du coup, ils se sont calmés. « Ça va, ça va. » Disaient-ils. « On s’excuse. ». Ils ne voulaient pas aller en cellule de dégrisement. La canette s’était renversée par terre et elle avait explosée. « On paiera les dégâts ». Ils ont mis un euro chacun, sur le tapis de ma caisse et sont partis… je le dis souvent à monsieur Leroc : « Il ne faudrait pas les faire entrer. Un jour il va y avoir du grabuge. — C’est défendu, Sylviane. Tout le monde a le droit de pénétrer dans un magasin pour y faire des achats, s’il en a les moyens ou, tout simplement, pour regarder. A condition qu’il ne trouble pas l’ordre public et ne commette pas d’actes délictueux etcetera, etcetera. — Justement. Aujourd’hui, ils ont troublé l’ordre public. — Oui. Et on les a mis dehors. — Et si demain ils recommencent ? — On les remettra à nouveau dehors. C’est tout ce que je peux faire. » J’ai haussé les épaules imperceptiblement et je me suis dit que si c’était ça sa politique, bon nombre de clients ne la partageraient pas et finiraient par aller au grand supermarché qui se trouve à trois cent mètres. Là où il y a des vigiles et où l’on a intérêt à se tenir à carreau, si on ne veut pas avoir des bleus et des bosses. En attendant, c’est Sylviane qui a été de corvée pour nettoyer les dégâts provoqués par cette canette de la discorde. Il n’y avait que moi de disponible. Katia, absente ; Jeanne, besoin pressant ; Luc, dans l’arrière-boutique à dresser l’inventaire et Amédée incapable. Le temps de lui montrer comment fonctionne la grosse bêbête à brosses et le temps qu’il assimile l’explication, j’aurais nettoyé deux fois le sol de la superette toute entière. Alors, je lui ai refilé mes clients et, je dois avouer à mon grand regret, que lorsque j’ai eu fini de tout astiquer, ils sont tous revenus chez moi. Et pas un ne manquait à l’appel. Normal : son tiroir-caisse a refusé de s’ouvrir et, ni ses efforts, ni ceux de monsieur Leroc et ceux de Jeanne, arrivés en renfort, n’ont réussi à le décoincer. Et c’est encore Bibi qui a dû faire comprendre au client, passablement énervé, qui avait déjà emballé sa marchandise, que je devais la repasser sous mon scanner. Et lui qui insistait : « Je suis pressé ! Je vous donne l’argent et vous vous débrouillez » Eh non. C’eût été une entrée non justifiée, vu que la caisse d’Amédée avait effacé les données. Miséricorde, quelle journée…

L’arrêt du cimetière me fait toujours froid dans le dos. Surtout à cette heure-ci de la soirée. J’imagine à chaque fois qu’un zombie va monter, histoire d’avoir un peu de compagnie. Ça ne doit pas être marrant de passer des siècles et des siècles allongé dans un cercueil à six pieds sous terre. Je me signe toujours lorsque je passe devant. J’ai hérité cela de maman qui était Espagnole et très pieuse. Elle se signait partout où elle voyait une croix ou une statue de la Vierge ou de Jésus ou de n’importe quel saint. Quand on partait en vacances dans son village, c’était une succession de signes de croix. Et tout le monde devait s’y mettre. Elle, bien entendu, mes deux frères et moi. Papa en était dispensé, vu qu’il conduisait sur une route tortueuse. Lâcher le volant ne serait-ce que d’une main, c’eût été nous précipiter dans le ravin et, on aurait lu en gros titres sur les journaux :

« TOUTE UNE FAMILLE MEURT A CAUSE D’UN SIGNE DE CROIX »

Enfin. Le bus repart après avoir fait descendre un couple. Je leur souhaite bien du courage. Longer ce lieu pour se rendre chez eux… (Peut-être ils ne vont pas chez eux, mais chez des amis).J’ai hâte d’être arrivée chez moi. Je suis crevée. Vidée, vannée. Envie de me coucher. Pas de plateau télé – petit plaisir que je m’accorde lorsque Fabien est sur la route. Je prépare cela en deux temps trois mouvements. Je me cale bien dans le canapé, je pose mes jambes sur la table basse et c’est parti pour trois épisodes de ma série préférée ou un bon documentaire. Oui. Je pense que la télévision doit distraire mais aussi instruire. Ça, c’est l’héritage de papa qui ne supportait pas les émissions de variétés, les émissions de jeux et les émissions comiques. Emissions perte de temps, comme il les appelait. Par contre, émission littéraire, historique ou reportage, il ameutait toute la famille et la seule qui répondait : « présent » c’était moi. Je venais m’asseoir tout près de lui. Il prenait plaisir à mes commenter les commentaires et je l’écoutais religieusement. Quand Fabien est là, je ne peux pas trop m’en donner à cœur joie. Même s’il est compréhensif et tolérant, je dois tenir compte de ses goûts, également. Et, comme il me le dit : « Tu as le pluzz » Sauf qu’il ne dure qu’une semaine et que j’ai du mal à trouver un créneau disponible… Ah oui, une fois ça m’est arrivé. J’avais raté une émission sur le désert d’Atacama. Elle avait été notée quatre étoiles. C’est dire s’il fallait que je la voie à tout prix. Papa m’avait même téléphoné de Bretagne où il était chez mon frère, pour me dire de la regarder. (Mon frère a deux télévisions, comme ça il n’y a pas de jaloux) Fabien, ce soir-là voulait voir du rugby. Je lui ai dit qu’il aille le voir chez qui il voulait, mais hors de question pour moi de rater une deuxième fois ce reportage. Il est parti chez le voisin qui a la même passion que lui. Moi, heureuse et béate je me suis plongée dans mon désert Chilien. A un moment donné, il est entré chercher ses cigarettes et il s’est mis à rire. Je lui ai demandé ce qui l’amusait tant ; Il m’a répondu : « Quand je vous ai vus la télé et toi, je ne savais pas qui des deux regardait l’autre. » C’est ce que j’appelle son humour à deux balles… Encore un arrêt, et je descends. Ce soir, pas de télé. Trois feuilles de salade un yaourt, une bière… Tiens, pourquoi je parle de bière ?... Association d’idées sans doute. Ce soir, le client habituel, ses deux sempiternelles bières, plus la baguette de pain, plus les pistaches. Il en a prises d’une autre marque et, au moment de payer, il s’est aperçu de l’erreur… (Juste au moment où j’allais les scanner) Il les a reprises et m’a déposé les deux habituelles en me disant : « Aujourd’hui, je ne sais pas où j’ai la tête. » Il a payé et il est parti… Il a payé comment, d’ailleurs ?... Moi non plus je ne sais pas où j’ai la mienne… Il m’a payé en liquide ! Ah ! Enfin mon arrêt. Ouvrez les portes, madame… ou mademoiselle. J’ai hâte d’être chez moi. J’ai encore la place à traverser puis, longer tout le square et tourner à gauche. Après, je dois ouvrir la porte, traverser le couloir, prendre l’ascenseur, monter jusqu’au troisième, prendre à droite et ouf ! chez moi. Et vous, il vous reste encore combien de tours à faire avant de rentrer chez vous ?... Vous rentrez comment, en bus ? C’est peut être un de vos collègues qui vous conduit ?… Dédé était chauffeur de bus. Il habitait en rase campagne. Il me répétait que le service de nuit ça payait double. Sauf qu’on ne se voyait jamais. Et ça n’a pas tenu. Fabien est peut être absent quatre jours mais, les trois autres, il est là. Du matin jusqu’au soir. J’ai l’habitude des hommes absents. Papa, en tant que gendarme mobile, pouvait partir des semaines, voire des mois entiers. Rares étaient les fois où il était autorisé à nous laisser un numéro de téléphone où le joindre. Ses missions étaient presque toutes : top secret. Moi, je pleurais beaucoup, parce que je ne pouvais pas l’appeler et je m’imaginais qu’il pleurait aussi de se retrouver tout seul, sans personne…

Et le client habituel ? Est-il seul lui aussi ? C’est la question qu’on se pose toujours Katia et moi… Tiens, j’ai oublié de noter son passage de la soirée. (Toutes les deux, on note tous ses passages à la superette) Nous sommes sûres que c’est le client qui passe le plus souvent. Vers les dix-onze heures, il achète son plat cuisiné à chauffer pour midi, plus les condiments : sel, bicarbonate, mayonnaise et moutarde. Vers trois heures de l’après-midi, ce sont les produits d’hygiène et d’entretien. Le soir, c’est invariable : deux bières, un paquet de pistaches et une baguette de pain. D’habitude, il règle avec sa carte bleue. Aujourd’hui il a payé en liquide. Je le revois sortir son portefeuille, sortir le billet de 10 euros. Quand je lui ai rendu la monnaie, il l’a mise dans sa poche. Il a emballé ses produits et est parti… Et il a oublié son portefeuille. Avec toute la confusion qu’il y avait (C’était au moment où les deux clochards se disputaient) je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite. Quand j’ai vu qu’il traînait sur le tapis roulant de ma caisse, je l’ai mis dans ma poche…

« Fabiche, je viens juste d’arriver. J’ai encore mon manteau sur moi… Bien sûr que je vais l’enlever. Je vais même me préparer pour partir sous la douche. Tu ne peux pas savoir tout ce qu’une femme peut faire en téléphonant…. Tu es déjà à Lille ?... Fatigué, hein ?... Moi aussi. Journée pénible. Deux clochards qui se sont bagarrés pour une canette de bière. Heureusement, que deux jeunes agents de police étaient là qui faisaient leurs courses. Quand ils les ont vus, ils se sont excusés, ont payé et sont partis… A quelle heure tu pars demain ?... C’est tôt… Moi non plus je n’ai pas envie de faire de vieux os. Douche, deux feuilles de salade et au lit… Avec qui ?... Avec mon ours en peluche. J’espère que tu n’es pas jaloux de lui… Bon… Je t’embrasse aussi… Je t’aime aussi… Sois prudent sur la route, demain… Je t’aime… Bonne nuit. A demain. »

Je suis la reine des empotées ! Qu’est-ce que je vais lui dire demain à monsieur Leroc ? « Désolée, mais je n’ai pas fait attention. Je suis partie avec le porte-monnaie que le client a oublié sur le tapis roulant de ma caisse. J’ai cru le glisser dans la poche de ma blouse de travail mais je l’ai fourré dans celle de mon blouson. Je vous assure que je ne sais pas ce qui m’a pris et que je n’ai rien pris dedans. Je ne l’ai même pas ouvert. » Il ne me croira pas. Autant que je l’ouvre et que je regarde ce qu’il contient… Non, je n’ai pas le droit… Si en plus je le lui dis, je risque la porte. Et ce n’est vraiment pas le moment. On veut acheter. On a pris rendez-vous à la banque la semaine prochaine. Et puis, il y a le petit que nous voulons mettre en route… Je suis trop fatiguée pour penser à quoi que ce soit. Une bonne douche, porte conseil. Trente minutes de calme, de luxe et de volupté, que Fabien ne comprend pas. Pour lui, ça ne doit pas durer plus de quinze minutes. Sans doute, l’eau qui glisse sur son corps ne lui fait aucun effet, sinon celui de le rincer. Moi, c’est après que ça me plaît. Une fois que mon corps été débarrassé des miasmes accumulés dans la journée, qu’il aura été purifié, elle va pouvoir le caresser, l’érotiser. Adolescente, elle me donnait des orgasmes. Tout dansait autour de moi et j’avais envie de hurler de bonheur. Mais je ne voulais pas me faire entendre. Alors, j’ouvrais grande la bouche et je laissais filer l’air par saccades. Et je me voyais étendue sur un lit, toute nue, le corps d’un beau jeune homme imaginaire allongé sur le mien, qui me regardait et me souriait, qui approchait ses lèvres des miennes… Et la bulle éclatait, car mon instinct me disait qu’il était temps de sortir, si je ne voulais pas entendre les réprimandes de ma mère, derrière la porte. Aujourd’hui, des corps se sont allongés sur le mien et m’ont aimée, plus ou moins bien, plus ou moins mal et, ce ne sont plus des fantasmes que je recherche sous l’eau mais, sans doute, le souvenir de ce temps où je les créais. Je suis revenue dans la chambre et le portefeuille est toujours posé sur le lit. Je le prends. Je le tourne et le retourne dans mes mains. J’ai une irrésistible envie de l’ouvrir. Pas pour l’argent qu’il contient mais pour les quelques petits trésors que je pourrais y découvrir : photo, format identité, d’un ou d’une inconnue, petits bouts de papier pliés en quatre avec un numéro de téléphone ou un nom griffonnés dessus et, peut-être une de ses cartes de visite, grâce à laquelle, je pourrais le lui renvoyer par la poste, avec un petit mot lui expliquant que je l’ai trouvé par terre. (Il vaudra mieux que je ne lui écrive pas qu’il l’a oublié à ma caisse. A coup sûr il aura déjà questionné monsieur Leroc qui lui aura répondu qu’aucun portefeuille n’a été retrouvé) Ou alors, sans aucun mot. Juste un paquet anonyme. Cette idée, transforme ma curieuse envie de l’ouvrir, en nécessité et il me faut absolument le faire. Si je n’y trouve que de l’argent et des petits billets pliés, je le referme tout de go. Promis, juré. Je ne cherche que sa carte de visite mais une petite voix, à l’intérieur de moi, me dissuade de le faire. Elle me conseille de l’emmener demain au commissariat qui se trouve à deux pas de la superette. Il se chargera de faire le nécessaire. Et je le repose sur le lit. Mieux. Je vais le placer hors de portée : dans mon sac…

Maintenant j’ai faim et je crois que je vais changer mes plans pour le dîner. Je m’installerai devant la télé et je m’abrutirai devant l’émission la plus stupide que je trouverai en zappant. Je me lève, je vais dans la cuisine, j’ouvre le frigo, je sors le sachet de salade – une roquette – que je vide dans le saladier. J’y ajoute une goutte d’huile d’olive et un peu de vinaigre balsamique. Je mélange. Comme dessert, je prendrai un yaourt. Je place le tout sur le plateau et je me dirige vers le salon et le pose sur la table basse. Je m’installe confortablement sur le canapé et j’allume la télé. Les infos viennent de s’achever. Après la météo, on annonce une série policière Américaine. Je vais la regarder et, pendant qu’on nous annonce de la pluie au nord, du soleil au sud et des entrées nuageuses avec risque d’orages sur le front Atlantique, j’ingurgite ma salade et avale mon yaourt. Je devrais me lever, emporter le plateau dans la cuisine, et faire la vaisselle. J’ai horreur de la laisser traîner, mais un certain engourdissement me saisit. Je pique du nez. La musique du générique me fait rouvrir les yeux. Le titre de l’épisode et le défilé des acteurs, s’affichent sur l’écran. Puis, les images défilent mais ma tête est ailleurs. Ça parle de documents compromettants perdus par un agent secret et j’entends : un portefeuille compromettant oublié dans un supermarché. A l’intérieur se trouvent des mots codés qui, entre les mains de la police, peuvent faire arrêter tout un vaste réseau de trafic de drogue. Celui-ci aurait été retrouvé par l’une des caissières, qui l’aurait emmené chez elle. Un tueur de la mafia, se faisant passer pour un policier tout ce qu’il y a de plus authentique, et qui ressemble étrangement au client habituel, se rend dans l’établissement et se fait remettre l’adresse de la femme, par le gérant qui n’y voit que du feu. A tel point que, lorsque la police, qui a quelque retard sur les gangsters, débarque elle aussi dans le supermarché pour la même raison il l’envoie sur les roses. Et tous les efforts de l’agent pour lui prouver qu’il est réellement du FBI n’y font rien. Alors, à bout d’arguments, il lui lance : « Très bien monsieur. Nous la trouverons par nos propre moyens, mais ça risque d’être long et, si entretemps le gangster arrive chez elle et la tue, vous aurez sa mort sur la conscience ». Le gérant, enfin convaincu, lui file l’adresse et le flic repart toutes sirènes hurlantes chez la caissière qui se trouve dans sa cuisine en train d’éplucher des pommes de terre et qui aperçoit par la fenêtre une voiture qui s’arrête devant son portail. Un homme en descend. Il est en costard cravate. Il sonne à la grille. Elle ouvre sa fenêtre et lui demande :

« C’est moi que vous venez voir ? »

L’autre lui répond :

« Etes-vous madame Bracco ? » (Tiens, elle s’appelle comme moi)

- Oui

- Puis-je entrer ?

- Que me voulez-vous ? »

Puis, elle lui fait signe d’attendre, qu’elle arrive.

L’individu, sort sa carte du FBI et lui demande :

« Puis-je entrer ? Ce que j’ai à vous dire est strictement confidentiel »

Elle le fait entrer ! (Grosse erreur. Les flics se déplacent toujours à deux ! Depuis le temps qu’elle regarde des séries policières, elle devrait le savoir !) Une fois à l’intérieur, l’homme n’y va pas par quatre chemins. Il lui parle du portefeuille. Elle le prie d’attendre et l’invite à s’asseoir. Elle s’éclipse quelques instants. L’homme regarde par la fenêtre. Des fois que les vrais policiers se pointent et qu’il soit obligé de s’en aller. Mais personne ne vient et la femme revient et lui remet l’objet en lui demandant si par hasard c’est le sien. Le gangster ne dit rien. Il l’ouvre et vérifie s’il ne manque rien.

« Je vous demande pardon, lui dit-elle. J’ai dû l’ouvrir. Je pensais y trouver la carte de visite du propriétaire. »

L’homme n’est pas content. Il lui demande de le suivre. Elle ne comprend pas pourquoi.

« N’insistez pas, madame. Suivez-moi. »

Elle lui rétorque :

« Je vais d’abord appeler mon avocat. Je connais les lois de mon pays. »

Le gangster est de plus en plus furieux et contrarié. Il serre très fort ses mâchoires et, sort un revolver qu’il lui pointe sur le ventre :

« Et comme ça, vous allez me suivre ? »

Mais voilà qu’à ce moment, on entend des sirènes. Une, deux, trois et quatre voitures de police s’arrêtent, en faisant crisser les pneus. Le méchant individu se retourne pour regarder par la fenêtre. Il est piégé. La pauvre madame Bracco est restée pétrifiée. Elle a toujours le pistolet pointé sur son ventre. L’homme va devoir s’enfuir mais avant, il va devoir se débarrasser de la caissière. C’est comme ça. La mafia l’a payé pour retrouver le portefeuille et pour tuer celui ou celle qui l’a trouvé. Donc, il tire deux coups de feu et la femme tombe en hurlant. Ce cauchemar a laissé sur mon corps une douleur aiguë à l’endroit des cervicales, due à la mauvaise position de ma tête sur le dossier du canapé, et des fourmis dans les jambes qui sont restées repliées depuis que je me suis assoupie, jusqu’au moment où j’ai ouvert les yeux et me suis rendu compte que la gentille madame Bracco était toujours vivante, assise sur son canapé. La télévision braillait des mots d’une langue étrangère, avec les images d’une gare, d’un couple qui s’embrasse et du chef de gare qui siffle et agite son panneau. Ce mauvais rêve a aussi laissé des traces sur le sol. Le saladier s’est renversé et, à une heure du matin, je dois passer la serpillière pour le nettoyer, en maudissant ce satané portefeuille et son propriétaire étourdi qui l’a oublié à ma caisse et moi, qui ai oublié de le remettre à monsieur Leroc, avant de m’en aller… Pourquoi ? Un psychanalyste dirait sans doute que j’ai commis un acte manqué réussi. Et le client habituel, Comment qualifier son oubli ? Volontaire ? Pourquoi a-t-il mis dans sa poche la monnaie que je lui ai rendue et non dans son porte-monnaie ? Il m’aurait évité une sacrée épine dans le pied. Je ne sais toujours pas quoi en faire. A moins qu’il ait voulu par ce geste m’indiquer quelque chose. Mais quoi ? Aurait-il laissé un mot plié en quatre à mon attention ?... (Et me voilà à une heure du matin, morte de fatigue, en train de me poser la question fatidique : vais-je ou ne vais-je pas l’ouvrir ?... Ne pourrais-je pas attendre demain matin, à tête reposée ?)

J’ai pris le temps de prendre mon petit déjeuner, de tout laver, de tout nettoyer de passer sous la douche. (Celle du matin est purement hygiénique et tonifiante…) de me brosser les dents, de me coiffer, de m’habiller et d’organiser ma journée en fonction de mon planning de travail. Je suis de l’après-midi deux mois sur trois. De Quatorze heures à Vingt heures quinze, six jours sur sept. Cet horaire me convient parfaitement. Je suis libre de mes matinées ainsi, lorsque Fabien est là, nous en profitons un maximum, soit pour paresser au lit, soit pour aller regarder le lever du soleil au bord de la mer puis, faire une longue promenade jusqu’au port, revenir et boire un café sur le cours. Aujourd’hui, je compte rendre visite à Katia qui vient de se faire opérer d’un kyste mal placé. Je pourrai lui parler du portefeuille. Elle me dira si j’ai eu raison de l’ouvrir, car c’est ce que j’ai l’intention de faire. Je vais enfin savoir ce qu’il contient. J’allonge mon bras, je prends le sac, je le sors et, sans même me donner la peine d’y réfléchir encore une fois, je l’ouvre. Il ne contient qu’un billet de cinq euros et quelques pièces que je n’ose compter j’en repère tout de même une ou deux de cinquante, un peu plus de vingt et de dix et une ribambelle de cinq, deux et un centime. Je le comprends. Donner l’appoint, surtout lorsque le prix n’est pas un compte rond et qu’il faut fouiller pour donner l’appoint… (Celles de un et deux centimes ne sont pas facilement repérables) on préfère donner un billet. C’est plus vite fait. Les pièces seront distribuées à ceux qui s’assoient sur le trottoir, près de l’entrée avec, qui un gobelet, qui un chapeau, qui un journal déplié, servant à recueillir les fruits de la générosité des passants. Moi, c’est Maxime que je préfère. Il est toujours poli et souriant. Il ne doit pas avoir plus de vingt-cinq ans et je me demande ce qu’il fait là. Pourquoi perd-il son temps de cette manière ? Un jour je le lui demanderai. Katia doit peut être le savoir. Ça nous fera un deuxième sujet de conversation. Je pense à cela en rangeant le portefeuille dans mon sac, là d’où il ne sortira plus jusqu’à ce que je le remette à son propriétaire. (Pour cinq euros en billet de banque et, à tout casser, un euro en petite monnaie, je ne pense pas que ça doive le tracasser beaucoup. D’autant que la plupart des fois, il paie en carte de crédit et pas n’importe laquelle : une Gold !)

Chez Katia, c’est encore plus petit que chez moi. L’entrée lui sert de salon, salle à manger et chambre à coucher. La cuisine est un petit réduit qui se trouve tout au fond. Quant aux toilettes, minuscules et sombres, se trouvent à côté de la salle de bain, à droite en entrant. Quand je suis entrée (la porte était ouverte) elle au petit coin. Elle se plaignait de son kyste mal placé.

« T’en as encore pour combien de temps comme ça ?

— Trois semaines minimum.

— A hurler de douleur ?

— Non. En principe à la fin de la semaine ça devrait s’atténuer. Beaucoup s’atténuer.

— Ah !

— Je pourrai de nouveau sortir.

— Tant mieux. On pourra se faire quelques boutiques. »

Elle sort. Elle a une petite mine. Une « Mater Dolorosa » qui aurait pris froid au ventre. Elle se traîne jusqu’à son lit aux draps qui sentent la fièvre et l’onguent.

« Je n’ai envie de rien faire, si tu savais

— Ne fais rien, alors. Il y a quelqu’un qui vient t’aider ?

— Maman. Tous les soirs. Et si ça ne va pas dans la journée, je lui passe un coup de fil. Ce soir je vais lui demander de changer les draps. Ils puent.

— C’est ce que je pensais. Tu veux que je le fasse tout de suite ?

— Non, ça va. Parle-moi du boulot.

— Ça te manque tant ?

— Les ragots, oui. »

Question potins, je n’ai pas grand’chose à lui dire. Ça fait à peine une semaine qu’elle est absente et ce n’est pas suffisant. Elle sait déjà qu’Amédée fait du gringue à Jeanne, que Luc a cassé avec sa petite chérie, parce qu’elle l’a surpris en train de parler plus qu’amicalement avec la fleuriste. (Sa petite amie travaille juste en face, dans le salon de coiffure de sa marraine). Alors, je lui parle de la bagarre entre les deux clochards et j’enchaîne :

« Au fait, le client habituel a oublié son porte-monnaie à ma caisse et moi, comme une gourde, je l’ai emporté à la maison. »

Et me voilà partie sur ce sujet qui semble la passionner. Je lui parle de ma théorie sur l’oubli volontaire de sa part. Elle me demande pourquoi l’aurait il fait exprès, surtout s’il ne contient qu’un billet de 5 et de la petite monnaie.

« Je n’en sais rien. Je disais comme ça. » Puis j’ajoute : « Au fait, quand il est à ta caisse, il te regarde ?

— Regarder c’est peu dire, ma vieille. Il me déshabille, il me décrypte, il me dissèque.

— Et je parie que lorsque tu lèves les yeux sur lui, il les détourne.

— Aussitôt.

— Il fait la même chose avec moi. »

Son kyste se rappelle à elle. Petite torsion de douleur. Puis elle me soutient mordicus que ce n’est qu’un refoulé sexuel. Qu’il n’a jamais connu de femmes.

« Tu as vu comme il mate nos seins ? Beurk ! Ça me dégoûte. Pourtant, ce n’est pas difficile de nous attraper : quelques petits mots bien placés, une ou deux blagues basiques et rigolotes et on tombe dans leurs griffes.

Je me rebiffe :

« Parle pour toi ! »

Elle hausse les épaules et pousse un petit rire qui n’a pas plu à son kyste, car elle plisse les yeux de douleur. Elle me rappelle l’adage qu’elle avait entendu de la bouche de son père – un sacré coureur de jupons, m’a-t-elle dit – selon lequel, il est plus facile de mettre une femme dans son lit que de la faire sortir. (A propos de cette phrase, j’ai demandé un soir à Fabien qu’est-ce qu’il en pensait et m’a répondu qu’il avait sa propre méthode : il les faisait entrer à coup de belles paroles et de grandes promesses et les faisait sortir à coups de pieds. Moi, étant l’exception. Tant mieux. S’il avait tenté avec moi, aussi vrai que je m’appelle Sylviane, il se serait appelé Fabienne). Bref, avec ces considérations sur ses penchants sexuels, nous en sommes venues à son probable métier. A notre avis, il doit travailler dans un bureau. Sans doute une administration. Pas très loin du quartier vu que, presque tous les midis, il vient acheter des plats cuisinés. Ensuite, nous avons abordé le côté financier. Nous en avons déduit qu’il doit gagner sa vie honorablement, vu la Gold qu’il possède et le soin qu’il porte à son aspect physique. Enfin… (La transition est toute trouvée) nous reparlons du portefeuille et de la suite à donner. (Je ne lui raconterai pas mon rêve d’hier soir)

« Si j’étais toi, j’irai l’amener chez les flics. Tu l’as trouvé par terre. Point c’est tout. »

J’hésite. Elle insiste :

« Pourquoi tu t’imagines qu’il a fait exprès de l’oublier ? Dans quel but : te draguer ? Tu as bien vu qu’il n’y a aucun mot à l’intérieur.

— Tu as raison.

— Alors, ne te prends plus la tête. Fais comme je te dis. »

Petit silence. Je lui demande :

« Toi, tu l’aurais ouvert ?

— Bien sûr.

— Et s’il y avait eu un mot à ton attention, du style : « Katia, appelez-moi à tel numéro »

Elle me répond tout de go :

« Je ne l’aurais pas appelé. Ce type ne m’intéresse pas du tout. Tu as vu son âge ? Il pourrait être mon père. »

Puis, après un court instant elle me demande si moi je l’aurais appelé. Je lui réponds par la négative.

« Alors, me dit-elle, raison de plus pour ne pas le garder.

— Et moi je ne saurai jamais pourquoi il l’a oublié. »

Elle lève les yeux au ciel.

« Sylviane, atterris s’il te plaît. Il l’a oublié par distraction. Comme toi tu as oublié de le remettre au patron. »

Un ange passe elle le bouscule :

« Pour parler d’autre chose, ça te dit de manger un reste de lasagnes d’hier soir ? »

La proposition est loin de m’emballer, mais comme elle n’a rien d’autre au menu, que j’ai faim et que je veux rester encore avec elle, j’accepte. Elle me demande si je peux les faire chauffer au micro-ondes, car elle n’a pas trop envie de se lever. J’accepte aussi et je file à la cuisine. Je l’écoute me parler de la drague insolent que lui fait Carlos son beau-frère. Elle m’avoue qu’elle n’est pas insensible à son charme mais qu’elle ne peut pas faire un coup pareil à sa sœur. Alors, cette situation l’embarrasse. Elle me demande mon avis et je ne sais pas quoi lui répondre ou plutôt, je ne sais pas la réponse qu’elle attend de moi, car c’est toujours comme ça dans des cas pareils. On a déjà les réponses aux questions que l’on pose.

« Alors, qu’est-ce que tu ferais à ma place ? »

Je n’en sais rien du tout et malgré le fait que je sois invisible à ses yeux, elle devine mon embarras.

« Laisse tomber. Ce n’est pas grave. Je ne vais pas t’embêter avec mes his= toires. »

Moi je l’ai bien soulée avec « mon » portefeuille… Alors je lui donne mon avis :

« Tu sais, moi à ta place, j’irais le trouver et je lui dirais que je ne veux pas faire un coup pareil à ma sœur

— Je ne t’ai pas attendue pour le lui dire.

— Alors ?

— Il continue toujours.

— Ah bien : dis-lui qu’il arrête ou tu balances tout à ta frangine.

— Tu es folle ! Il risquerait de lui dire que c’est moi qui lui cours derrière.

— Ta frangine te connaît, non ?

— Justement, hélas ! »

Toute Katia est résumée dans cette réplique. Une femme qui ne sait pas résister au charme masculin et qui le regrette neuf fois sur dix. Je reviens dans la pièce avec le plat de lasagnes brûlant que je pose sur la table, où j’ai déjà installé les assiettes en carton et les couverts en plastique.

« Tu te sens de te lever, ou je te l’emmène au lit ?

— Non, je viens.

Elle se lève et regarde par la baie vitrée. Le ciel est d’un bleu limpide et la colline de l’observatoire semble à portée de main. Le mistral a fait le ménage. « Quelle dommage que cette terrasse ne soit pas située au sud. On aurait pu manger dehors.

— On le fera cet été.

— Oui. »

Nous commençons à déjeuner dans le silence le plus absolu. Chacune de nous est absorbée par ses questionnements. Malgré les deux gros coussins qu’elle a placés sur la chaise, je la vois plisser les yeux de douleur. Près de son verre d’eau, les quatre boîtes de médicaments qu’elle m’a demandé de lui ramener. A prendre durant les repas, trois fois par jour. Après chaque comprimé avalé, elle exclame toujours la même complainte :

« Pourvu que cette merde soit efficace. »

Puis nous reprenons notre repas sans mot dire. Chacune se demandant qui sera la première à rompre ce silence pesant. L’amitié que je porte à Katie, m’autoriserait à lui dévoiler les projets que nous échafaudons Fabien et moi : la maison à acheter, les rendez-vous à la banque, le weekend que nous comptons passer à la montagne dans l’appartement de ses parents, pour concevoir le bébé. Mais je tourne sept fois ma langue dans ma bouche, pour peser le pour et le contre d’une telle révélation, dont même notre famille n’est pas au courant.

« Alors, ce bébé, vous le prévoyez quand ? »

On dirait qu’elle a lu dans mes pensées. J’invente :

« Nous avons d’autres priorités pour le moment.

— L’appartement ?

— Ben oui.

— Et vous cherchez ? »

Encore un petit mensonge :

« Quand on peut. »

En fait nous l’avons déjà trouvé. A Vingt kilomètres, dans un village de l’arrière-pays.

« Et vous avez déjà une idée de ce que vous voulez ?

Je lui lance une boutade :

« Oh les idées, ce n’est pas à nous de les trouver, mais à notre porte-monnaie. »

Décidément, cet objet m’obsède. J’aurais pu parler finances ou de compte en banque. Je continue, car elle m’a donné un bon prétexte pour m’en aller. Non pas que je ne sois pas bien avec elle mais au bout d’un certain moment, j’ai besoin de me retrouver seule.

« A ce propos, il va falloir que je te quitte. J’ai un rendez-vous avec une agence immobilière. Je te raconterai. »

Elle commence à tripoter son portable, signe d’un coup de fil imminent. Elle aussi a sans doute besoin de se retrouver seule. Je débarrasse la table, je lui fais la vaisselle et me voilà dehors. J’irai à pied jusqu’à la superette. En marchant bien, j’en ai pour une vingtaine de minutes et je ne commence le travail que dans une heure. Ça m’a fait plaisir de passer ces quelques heures avec Katia. Je l’aime vraiment beaucoup. Nous avons été embauchées en même temps et, tout de suite, nous nous sommes appréciées. A l’époque elle sortait avec une connaissance de Fabien et nous les invitions régulièrement à dîner et, certains weekends, on prévoyait des sorties ensemble. Un jour, il a fait du gringue à une Allemande et, deux semaines après, il est parti la rejoindre. Comme il n’a pas eu le courage de le lui dire, il nous a écrit une lettre pour que nous le fassions à sa place. Et c’est moi, bien entendu, qui a été chargée de le lui annoncer. J’en ai été malade toute la nuit. Elle était tellement accroc à lui, que je ne savais pas comment le lui dire. Je l’imaginais se mettant à hurler, à chialer, voulant se jeter par la fenêtre ou se trancher les veines. Fabien s’est proposé de m’accompagner. Et voilà qu’au matin du jour « J », alors que nous prenions notre petit déjeuner, elle m’a annoncé au téléphone, d’une voix pimpante et guillerette, qu’elle avait rencontré un homme beau comme un Dieu. « Et Cyril ? » Lui ai-je demandé. Elle m’a répondu :

« Lui, il s’est tiré avec l’Allemande. »

Puis elle m’a expliqué qu’elle s’en doutait quand elle le voyait lui tourner autour. Après l’homme beau comme un Dieu, il y a eu l’homme beau comme un Apollon. Puis il y a eu l’homme beau comme George Clooney et tant d’autres encore et Fabien ne l’a plus supportée et elle n’est plus venue à la maison tant qu’il était là.

Je passe devant le Centre Commercial. J’ai le choix entre le contourner ou le traverser, histoire de flâner devant les boutiques où je n’achèterai rien, vu que le temps m’est compté. Je décide de le traverser, même si cela me rallonge – pas de beaucoup – mon itinéraire. Je passe devant le grand supermarché, frère aîné de ma superette. Mes collègues sont débordées. Quelle queue ! Je ne pourrais jamais travailler dans cette si grosse structure. J’en connais deux. Je regarde à tout hasard si je les vois. On me tape sur l’épaule. Je me retourne. C’est Monique, l’une des deux. On se fait la bise. On papote du plus et du moins. Puis, elle propose que nous allions boire un café. Je regarde ma montre et j’accepte. J’ai cinq minutes à lui consacrer. Pas plus. Je veux avoir le temps de passer au commissariat leur amener le portefeuille et me débarrasser de cet objet qui commence à me peser. Fabien revient demain et je veux être disponible et en pleine forme, souriante et détendue. Pas question de passer une nouvelle nuit comme celle d’hier. Après tout qu’il l’ait fait exprès ou pas, ne me regarde pas. Monique me tire de mes pensées :

«Dix minutes, c’est trop ? »

- Non, ça ira. Mais pas une minute de plus. »

On rentre dans le café. Elle appelle le garçon :

«Fred, fais nous deux cafés vite fait. »

Il acquiesce avec un grand sourire.

Je me suis à peine assise qu’une affichette attire mon regard. Ce n’est pas possible. Je lis à voix basse : « Perdu portefeuille contenant un billet de 5 euros et de la petite monnaie. Forte récompense pour celui ou celle qui le ramènera » Je dois me rapprocher pour lire l’adresse. Monique me demande :

« Tu le connais ?

— Qui ?

— Le petit chat perdu. On dirait que l’affiche t’interpelle. »

J’écarquille les yeux :

« Un chat ? »

Elle me regarde bêtement :

« Ben oui. Qu’est-ce que tu avais lu ? »

Je ne vais pas lui parler du portefeuille. Je cherche un mot similaire à « chat ». Je préfère passer, à ses yeux, pour une myope que pour une cinglée.

« J’ai lu ‘’chiot’’. »

Elle se met à rire et me demande si j’ai déjà vu un chiot avec une tête de chat. Puis elle me parle du sien et de la crainte qu’elle a qu’il se perde un jour. Elle en serait malade. Moi, j’avale mon café et je pense au portefeuille. Pourquoi m’obsède-t-il autant ?

« Et toi, tu aimes les chats ? »

Comme je ne lui réponds pas tout de suite – ce qui est normal, car sa question a mis du temps à traverser la pagaille qui embrume mon cerveau – elle me prend la main et me regarde avec commisération.

« Tu vas bien Sylviane ? »

Je lui réponds :

« Oui, oui. Très bien. »

Je sens que cette réponse ne la satisfait qu’à moitié. Je lui parle de la mauvaise nuit que j’ai eue et que j’attribue à quelque chose d’indigeste que j’ai dû, sans doute manger.

« Tu es un peu fatiguée.

— C’est cela.

— Tu veux un autre café ? »

Je décline cette proposition, j’ai envie de marcher un peu. Elle règle les cafés, nous sortons. Elle me parle de Pauline – l’autre caissière que je connais – Elle est en vacances sur une île du Pacifique avec son mari. Puis, on se fait la bise. Je regarde l’heure en gagnant la sortie. Je n’ai plus beaucoup de temps à perdre si je veux passer au commissariat. Il hors de question que j’aille travailler sans m’être défait de cet objet encombrant, pas tellement pour la place qu’il occupe dans mon sac, mais pour celle qu’il occupe dans mon esprit. Alors, je dois presser le pas et ne plus penser à lui. Pour ça, j’ai un système que j’ai maintes fois utilisé quand je veux vider ma tête d’une idée obsédante. Etre attentive à tout ce qui m’entoure durant mon trajet : les piétons, les voitures, les feux tricolores, les magasins, les maisons etcetera. Puis je m’invente des jeux : combien de secondes un feu va rester au rouge, compter le nombre de voitures de couleur bleue, combien d’hommes portent une cravate claire ou, combien de femmes portent une tenue sombre. A peine sortie du centre commercial, je décide de compter tous les hommes qui marcheront en téléphonant. Sur le boulevard Delfino, je n’en vois aucun. Peut-être aurais-je plus de chance sur l’avenue de la République. Je regarde devant, à droite et à gauche et, pour le moment je ne croise que des femmes collées à leur portable. Moi je dois être une exception, car j’ai horreur de téléphoner dans la rue ou dans les lieux publics et incommoder des oreilles inconnues avec des conversations qui ne les regardent pas, qui font partie de ma vie privée. Je suis sans doute assez vieux jeu, mais je n’aime pas trop l’étaler sur la toile. Raconter via les réseaux sociaux, mon dernier weekend à la neige, ou ma rage de dents de la veille n’est pas un sport que je pratique assidûment et mon compte Facebook s’en ressent. (La dernière fois que je m’y suis connectée, j’ai reçu un message de bienvenue – à nouveau – parmi nous – Sylviane Bracco ! Je suis une indécrottable partisane du contact humain et je dévoilerai plus facilement mes petits faits et gestes devant un café ou une salade avec, en face de moi un interlocuteur en chair et en os. J’arrive presque au croisement de l’avenue de la République et de la rue Barla et je n’ai encore croisé aucun homme au téléphone. J’en vois qui pianotent pour envoyer des SMS mais ils ne rentrent pas dans ma statistique. Le tram annonce son départ par deux coups de sonnette et, automatiquement le feu devient vert côté piéton. Je traverse la rue et, je n’en crois pas mes yeux, un homme sur le trottoir d’en face, marche avec son téléphone collé à l’oreille. Mais, ce qui me frappe encore plus, c’est que ce n’est pas n’importe qui. C’est le client habituel ! Je presse le pas, trop contente de tomber sur lui et pouvoir enfin lui rendre ce qui lui appartient. Il a l’air très captivé par la conversation, au point qu’il traverse la rue Boyer sans même regarder. Une voiture s’est arrêtée pour le laisser passer, mais je suis encore assez loin pour qu’elle m’attende. Je traverse à mon tour. Il marche vite. Je dois redoubler la cadence si je veux le rattraper. Je n’ai pas beaucoup de temps à ma disposition. A deux heures je dois me trouver derrière ma caisse, sinon Leroc va me faire une tête comme un ballon. Il a horreur des retards. (Entre nous un patron qui les accepterait, ne serait plus un patron…) Jusqu’où va-t-il ? Je me donne encore cinq minutes pour le savoir. Autrement, il ira chercher son portefeuille aux objets trouvés… S’il y pense encore ! Il est toujours avec son téléphone vissé à l’oreille. Je me rapproche de plus en plus. Il entre chez le buraliste. (Tiens, il fume ?) Je rentre aussi. J’achèterai des chewing gums.

« Bonjour Sylviane. Je ne savais pas que vous habitiez dans le quartier. »

Je me retourne. Qu’est-ce que monsieur Leroc fait ici ? Lui non plus, je ne savais pas qu’il habitait dans le quartier… Mais où est passé le client habituel ? A part mon patron, je ne vois qu’une femme qui achète un paquet de blondes et un jeune homme qui attend son tour pour payer une revue sur le Rock and Roll’ qu’il est en train de feuilleter. Un policier municipal vient de rentrer. Il se met sagement à la queue. Mais où est-il passé ?...

« Bonjour monsieur Leroc. Non, je n’habite pas le quartier. Je suis allée rendre visite à Katia qui n’habite pas loin. »

Il me demande de ses nouvelles. Je lui en donne. Il a enfin trouvé ce qu’il cherchait. Une revue sur les maisons et les jardins. Il se range derrière le policier. Je ne sais pas ce que je dois faire. Je regarde l’heure. Il s’en rend compte.

« Ça va. Vous avez le temps. Je vais vous conduire, si vous voulez. »

Moi, arriver au boulot avec le chef ? Je suis coincée. Je ne peux pas faire autrement que d’accepter et le remercier. C’est râpé pour le commissariat, à moins de trouver un bobard pour décliner son offre, mais je suis trop perturbée pour en trouver une valable. Je récupère ma boîte de chewing-gum. Je paie. Nous sortons. Nous effectuons tout le trajet sans échanger un traître mot. Son téléphone sonne mais il ne répond pas. Soit parce qu’il respecte le code de la route, soit parce que la communication ne me regarde pas et il rappellera de son bureau. Où est-il passé ?... Il n’a pas pu se volatiliser !... Est-il vraiment entré chez le buraliste ?... Oui, je suis formelle… Serait-il ressorti pendant que monsieur Leroc me disait bonjour ?... Je m’en serais aperçue… A moins qu’il ne soit devenu invisible, je ne trouve pas d’explication à sa soudaine disparition !

« Vous avez l’air préoccupée, Sylviane. Quelque chose ne va pas, si ce n’est pas indiscret ? »

Cherche, cherche, ma vieille… Dis-lui n’importe quoi… Dis-lui que tout va bien…

Le délai qui t’était accordé pour la réflexion, s’est écoulé. Il est temps de lui répondre :

« J’ai cru apercevoir une connaissance qui est entrée dans le bureau de tabac.

— Vous me suiviez, alors. »

Je tombe des nues. Il poursuit :

« Je vous ai aperçue au coin de l’avenue de la République, pendant que j’étais au téléphone. Je me suis même demandé si vous preniez la même direction que moi ou si vous continuiez sur Garibaldi. »

C’est donc lui que j’ai pris pour le client habituel ! Encore un mauvais tour de mon esprit. Mon petit jeu vide tête, n’a pas fonctionné. Ce porte-monnaie est maudit. Et dire que je vais arriver pile poil à l’heure, ce qui veut dire : le commissariat, « in the baba » (Ce soir, je n’ai aucune envie de louper mon bus de Trente-six. Et dire que demain Fabien sera là. Qu’est-ce que je vais lui dire ?

« Nous y voici. »

Il serre le frein à main.

« Vous avez même le temps de boire un café. »

Je regarde l’heure. Il est moins huit. Pas assez de temps pour passer au commissariat. Je vais le boire ce café. Je trouverai une autre solution. Même la plus radicale… Peut-être le jeter dans la première poubelle que je trouverai ce soir, en descendant du bus. Cinq euros et des poussières, c’est Deux cent fois moins que ce qui a été retrouvé il y a quelques jours, si j’en crois le journal, dans une corbeille du jardin Albert 1er. J’espère seulement que ce satané objet ne va pas s’échapper pour s’introduire chez moi en pleine nuit, à travers la fenêtre que je garde toujours ouverte quand je dors… Je baisserai le store jusqu’en bas cette fois ci. Je règle ma consommation, je me lève et m’en vais. Il est moins deux. Juste le temps de traverser la rue. Je prie pour que la journée passe vite. Et si le client habituel se pointe, je ne lui dirai rien sur son porte-monnaie. D’ailleurs je prie également pour que ce soir – au moins ce soir – il ne vienne pas. Sait-il qu’il y a un autre supermarché à quatre cent mètres d’ici ? Plus grand, avec davantage de produits ? Une fois n’est pas coutume, n’est-ce pas ?... Leroc me fait un sourire discret pendant que j’enfile ma blouse. Il aimerait savoir pourquoi je l’ai suivi… Juste une envie de m’acheter des chewing gums à la menthe blanche chez le buraliste de la rue Barla. Rien de plus !

A Huit heures pétantes, j’enlève ma blouse, je prends mon sac et je pars. Le bus n’attend pas. C’est ça le désagrément d’habiter loin. Je ne peux pas (et ne veux pas) m’attarder le soir. Sauf cas exceptionnel. Pour la naissance de son fils, il y a deux ans, il nous a offert le champagne. Je suis restée. Heureusement Fabien était là. Il est venu me chercher à presque onze heures du soir… Après la douche, je m’offrirai un verre de vin pour fêter la disparition du portefeuille noir. Je lèverai mon verre à la santé du client habituel. J’en lèverai même un deuxième, parce que ce soir, il n’est pas passé. Je lui pardonnerai son infidélité.

Vingt heures trente-six. Le bus est encore à l’heure. Tant mieux. Je monte, je passe ma carte devant la borne qui me souhaite un bon voyage. Mes prières ont été exaucées. Je regarderai à la maison s’il existe un saint patron des caissières, j’irai demain lui allumer un cierge. Je sais déjà dans quelle poubelle je me déferai du portefeuille : celle qui se trouve sur le rond-point. Voilà comment je procèderai. Dès que je descendrai, je le sortirai discrètement du sac et l’enfilerai dans la poche de mon blouson. Une fois devant, je l’envelopperai dans un mouchoir en papier et le tour sera joué. Une fois sous ma douche je hurlerai : « Youpi !!! » et me délasserai pendant les vingt minutes. Je penserai à Fabien, à ses caresses, à ses baisers le long de mon corps. Il me manque. Une fois séchée et revêtue de ma tenue de nuit je me verserai mon premier et mon deuxième verre de vin. Ce soir j’espère qu’il y aura quelque chose d’intéressant à la télé. Je compte profiter de l’émissions jusqu’à la fin. Premier arrêt. Les portes s’ouvrent. Je suis concentrée sur mon téléphone. Je regarde mes SMS. Fabien m’en a envoyé un. Il m’appellera entre neuf heures et demie et dix heures. Je lui réponds que j’attendrai son coup de fil avec impatience. J’ajoute qu’il me manque et que j’ai hâte d’être à demain. Katia aussi m’en a envoyé un. « Merci d’être passée. Est-ce que tu as eu le temps de faire ce que tu avais à faire ? » Je lui répondrai devant mon verre de vin : « Missions accomplie » Avec des points de suspension. Elle comprendra ce qu’elle voudra. Je range mon téléphone. Je relève la tête. Je jette un coup d’œil aux quelques passagers. Je m’entends crier… (Heureusement que ça ne se passe que dans ma tête) : « Ce n’est pas possible ! C’est un cauchemar ! Avec qui vais-je le confondre cette fois ci ? Fichez-moi la paix ! Fichez-moi la paix ! Votre portefeuille ira dans une poubelle. Un point c’est tout. »

Il est là, assis à côté de moi. De l’autre côté de l’allée. Cette fois ci c’est lui. Il n’y a pas de doute possible. Et, même s’il y en a un, je décide de m’en assurer. Je me lève et vais m’asseoir près de lui. Il se retourne et me regarde :

« Bonsoir. »

C’est toujours lui. Je lui réponds :

« Bonsoir. »

Petit silence. Il poursuit :

« Vous avez fini votre travail ? »

Question stupide, mais néanmoins plus intéressante que celles concernant la météo que l’on pose d’habitude, quand on veut entamer une discussion

« Oui. Contente de rentrer chez moi. Et vous ? »

Je n’ai pas pu résister. Après tout, moi aussi je peux poser des questions. Il me répond :

« J’ai fini depuis presque trois heures. Je me rends chez des amis. »

Ça, je l’aurais parié. Il n’habite pas dans le quartier. Il poursuit :

« Ils habitent près du cimetière. A première vue, ça peut paraître lugubre, mais ils m’ont dit qu’on s’y habitue. Et que leurs fenêtres donnent de l’autre côté. »

Il prend sa respiration et continue :

« Je vais déménager.

— Où ?

— Dans leur quartier. Ils m’ont parlé d’appartements disponibles et bien situés.

Alors, pourquoi pas ? »

Il m’adresse un sourire que je lui rends :

« Vous ne vous plaisiez plus dans votre quartier ?

— Je m’y sens un peu trop seul, désormais. »

Il se tait.

Qu’est-ce que je dois comprendre ? Qu’il a été plaqué par une femme ? Par un homme ? Je l’ai toujours vu tout seul… Après tout, ça ne veut rien dire. Moi aussi je vais très souvent toute seule faire mes courses. Même quand Fabien est là. Il a horreur de ça. Il me regarde. Il m’envoie un autre sourire. Il m’a plus parlé en une minute qu’en quatre ans que je l’ai vu à ma caisse. Je pense au porte-monnaie. Je dois prendre une décision. Il descend dans deux arrêts. Mon cerveau se met à, turbiner à la vitesse de la lumière. Oui ?… Non ?... Finalement j’opte pour la première :

« Hier au soir, vous avez oublié votre portefeuille à ma caisse... »

Il ne me laisse pas le temps de finir ma phrase :

« Ah, c’est bien chez vous ! Monsieur Leroc m’a dit qu’il n’y était pas. »

Je rougis un peu.

« C’est normal. Je l’ai emporté par mégarde chez moi. J’ai oublié de le lui remettre. Vous savez, cette bagarre entre les deux clochards m’a quelque peu perturbée. »

Il n’est pas au courant. C’est vrai qu’il est parti juste avant. Je la lui raconte et je conclus :

« Je suis désolée. Sincèrement désolée. »

Je le sors de mon sac et le lui remets.

« Le voici. »

Il le prend, le regarde, l’ouvre, le referme et le remet dans sa poche. Je ne lui raconte pas tout ce qu’il m’en a fait voir depuis hier soir. Ce serait déplacé, il ne me croirait pas et, de plus, je n’en ai pas le courage. Je me contente de lui répéter que je suis désolée, puis je sens des larmes me couler le long des joues et, c’est dans un sanglot que je lui dis :

« C’est un coup à me faire licencier si monsieur Leroc l’apprenait.

Il me regarde avec bienveillance :

« Pourquoi l’apprendrait-il ? Vous me l’avez rendu et rien ne manque. »

Je sens qu’il veut ajouter autre chose. Par exemple : qu’est-ce que j’en aurais fait si je ne l’avais rencontré dans le bus. Mais il me demande juste si je peux appuyer sur le bouton de l’arrêt demandé. Je m’exécute et je me lève pour le laisser passer et nous demeurons debout à nous regarder jusqu’à l’arrêt du bus. Nous nous serrons la main et nous nous souhaitons mutuellement bonne soirée. Puis je lui demande quand déménagera-t-il :

« Demain. »

Les portes se referment et le véhicule démarre. Il me fait un signe de la main. Je le lui rends et je reprends ma place. Je descends dans deux arrêts. J’ai hâte d’être sous ma douche et de penser à Fabien de toutes mes forces…

Lorsqu’il m’a vue rentrer à la maison blanche comme une feuille, le regard vide et l’air effaré de quelqu’un qui aurait eu la veille, une conversation avec un homme mort, une heure auparavant, à deux kilomètres de distance, il est venu vers moi, m’a prise dans ses bras et m’a demandé de qui n’allait pas. Je lui ai répondu que j’avais besoin d’un verre de vin et je suis allée m’asseoir sur le canapé. J’avais besoin de comprendre, de me repasser le film des évènements, de ces dernières vingt-quatre heures, pour voir à partir de quel moment, toute cette histoire a basculé dans le surnaturel le plus hallucinant. Etre sûre d’avoir bien entendu ce que cette cliente nous a raconté ce soir :

« Vous savez ce qu’est arrivé à notre voisin ? Vous devez sans doute le connaître, puisqu’il venait souvent faire ses courses ici. Un homme assez grand, avec des cheveux gris assez courts et une barbe de deux jours, qui portait des lunettes teintées. (J’ai pensé au client habituel. Tout son portrait) Il s’est tiré une balle dans la tête. »

Quelqu’un lui demande : « Quand ? » C’est peut être moi.

« Hier au soir. A vingt heures. Les informations venaient à peine de commencer, nous étions, mon mari et mi, installés sur le canapé, lorsque nous avons entendu une détonation provenant de son appartement et, tout de suite après un bruit sourd. Une masse qui tombe par terre. Mon mari s’est levé et il est allé sonner à sa porte. Pas de réponse. Il a essayé à nouveau. Toujours rien. Il a tambouriné tant et plus. Silence total. Alors il a appelé les pompiers qui ont dû défoncer la porte et ils l’ont retrouvé allongé. Ils n’ont rien pu faire. La police est venue aussi. Le pauvre homme ! Depuis que sa femme est morte il y a deux ans, il n’était plus le même.

— Vous avez dit : hier soir à Vingt heures ?

— Oui, Sylviane. D’ailleurs, c’était sur le journal. Deux lignes seulement. »

Il a amené les deux verres. Un pour lui, un pour moi. Il me l’a tendu et je l’ai vidé d’un trait. Il a posé le sien sur la table basse et m’a demandé :

« Alors, qu’est-ce que qui t’a mis dans cet état ? »

Je le regarde, je pose mes lèvres sur les siennes :

« Le chauffeur a failli renverser un piéton. Il faut dire qu’il traversait n’importe comment. »

Puis je me lève.

« Je vais prendre ma douche. »

Je rentre dans la chambre, je commence à me déshabiller. Je tremble encore très fort. Je me sens étrange, bizarre, comme si je me trouvais dans une dimension où l’espace et le temps échappaient à toute cohérence, à toute logique J’ai envie de sortir de la chambre, de me jeter dans ses bras et de lui dire :

« Je vais te raconter ce qui m’a mis dans cet état. Mais il faut que tu me croies, car tout est vrai. Je te le jure. Sur ma tête, sur la tienne et sur celles de nos enfants à venir. »

Mais il ne me croira jamais. Alors, je me dis que l’eau chaude me fera du bien. Qu’elle me détendra, qu’elle me relaxera. Et si ce n’était pas le cas, je prendrai un gros pot de peinture blanche, un gros pinceau je peindrai le mur et je me dirai : « Et maintenant, regarde le aussi longtemps que tu le pourras et ne pense à rien d’autre. Demain tout sera comme avant, comme lorsque le client habituel était vivant et qu’il n’avait pas encore oublié son portefeuille à ma caisse.

FIN

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