J'ai deux anecdotes par rapport à cette idée de sourire.

Un matin, rendez-vous chez le "yeuxtiste", comme je l'appelle, l'ophtamologue. J'arrive, mes yeux bleus en avant et mon sourire avenant, celui que j'ai plus souvent avec moi que je n'ai mes clés, par exemple.

Je me présente, dis que j'ai rendez-vous à 10h. Et là, je me fais "enguirlander". La secrétaire me répond "Mais, j'ai déjà eu votre fille au téléphone, je ne vous ai pas dans mon planning, c'n'est pas la peine de vous déplacer !" Tout ça, d'un ton très sec. J'accuse le coup. Je rentre à nouveau dans la conversation, en disant : "je suis désolée, je ne comprends pas, je viens chaque année, j'ai rendez-vous". Et elle persiste. Elle me redemande mon nom, je lui redonne. Et là, je précise : "peut-être sous mon nom de jeune fille." Je lui indique, elle rouspète, me fait répéter, m'enguirlande à nouveau : "Bon, alors, celui là, c'est votre nom d'épouse ou de jeune fille ?' Toujours très calme, je lui explique à nouveau. Puis je lui dis : "Je suis désolée, je peux comprendre que vous ayez des clients difficiles parfois, mais moi, je suis correcte et calme, je vous explique que je ne comprends pas ce qui se passe!" Et là, elle est retombée comme un soufflé, s'excuse et me dit qu'elle a eu un début de matinée compliqué. Ce que je peux comprendre, mais je ne suis pas d'accord de me faire enguirlander comme ça, sans raison. Bon, mon sourire a été d'une efficacité redoutable.

En repartant, je me rends compte que j'ai oublié mon parapluie dans la salle d'attente. Je suis retournée le chercher. J'ai failli lui dire que j'allais lui laisser pour se protéger des "râleurs"; c'est bien d'ouvrir un parapluie pour se protéger de la morosité et des aigreurs. Mais j'ai préféré garder ma remarque pour moi.

La deuxième anecdote qui me vient à l'esprit, oh, c'est tellement plus qu'une anecdote. C'est une philosophie de vie, celle de mon mari. J'avais 15 ans quand je l'ai vu pour la première fois. Il a poussé la porte de la petite salle des fêtes. J'ai vu son visage, le teint de sa peau mate, ses cheveux noirs tout frisés et son incroyable sourire. Un sourire que la vie ne lui a jamais fait perdre, un sourire que nos trois chenapans d'enfants ne lui ont jamais fait perdre. Un sourire qui fait dire aux gens "à croire qu'il n'avait que des bons jours". Et c'était un peu ça. Le sourire, chez lui, c'était une carte de visite, un trousseau de clés. Son sourire est resté avec moi quand la maladie l'a fauché et l'a arraché à nos vies. Le jour de son décès, j'ai passé à mon doigt son alliance, j'ai été traversée par un souffle de vie, par une force chaleureuse qui ne me quitte pas. J'avance du mieux que je peux, sur le chemin de la vie, sans lui à mes côtés, sans ses bras autour de moi, sans ses yeux remplis d'amour mais avec le souvenir de l'Amour qu'il nous a porté.

Chaque rayon de soleil, un oiseau dans le ciel est un signe de sa présence et de son Amour.

Dans les semaines qui ont suivi son décès, quelqu'un m'a dit : "Je n'en reviens pas, tu as toujours ce beau sourire, et en plus, tu es restée belle ! " J'ai répondu "Il ne manquerait plus que ça que ça rende moche !" Le veuvage est vraiment une épreuve violente, le chemin du deuil est escarpé et hasardeux, mais on ne m'enlève pas mon sourire.

Je suis maîtresse d'école et la première chose que je partage avec mes élèves, c'est le plaisir immense que j'ai de faire mon métier. Je les accueille chaque matin avec mes yeux bleus souriants. Juste je les préviens de ne pas pousser le bouchon trop loin, car mes yeux bleus peuvent devenir noirs foncés. Alors oui, il m'arrive de me fâcher, de froncer les sourcils et de hausser le ton, mais ce que je préfère, c'est faire classe avec le sourire.