XIV. Partigiano
Tommaso resta immobile. Ses yeux déversaient des torrents de larmes.
《 Vite ! Tommaso ! VITE ! 》
Ses jambes bougèrent toutes seules.
Il s’engouffra dans le trou. Aussitôt à l’intérieur, quelqu’un le reboucha à l’aide d’un pavé.
Il se trouvait dans un méli mélo d’étroites galeries. Des niches, des crânes et des inscriptions en recouvraient les murs poussiéreux.
Tommaso se retourna. Son sauveteur était un homme des plus ordinaires. Sa lanterne et ses soixante ans lui conféraient un petit air de vieux mentor.
《 Bonsoir, Tommaso.
- Vous êtes français ?
- Suisse.
- Qui êtes-vous ? Que faites-vous dans les catacombes de Rome ? Que ...
- Je répondrais à toutes vos questions, si vous acceptez de me donner votre arme. 》
Tommaso pointa le pistolet sur la tête du bonhomme. Des larmes de rage inondaient son visage.
《 Vous me prenez pour un imbécile? Vous apparaissez, comme par magie, quelques instants après le ... le ... C’est un piège ! Tout cette histoire est un piège ! UN PIÈGE !
- Je comprend vos soupçons, Tommaso, mais je suis ici pour vous aider ... vous savez quoi, gardez votre arme, mais promettez-moi de ne pas me tuer, quelque soit la gravité de mes propos.
- La gravité de ... de ...
- Parole d’honneur ?
- Je ... parole d’honneur.
- Bien. 》
Le bonhomme s’assit à même le sol. Tommaso inspira un bon coup, avant d’en faire autant.
《 Je suis désolé pour ... pour ...
- Allez droit au but.
- D’accord ... Je m’appelle Maximilien, mais on préfère m’appeler Maximus.
- Je me fiche bien de vos surnoms. Que faites-vous ici ? Vous n’étiez pas là par hasard.
- Non, je n’étais pas là par hasard ... Dites-moi, Tommaso, que savez-vous du plus haut poste dans une Loge Universelle ?
- Je ... je sais que la Loge de Paris est coordonnée par un Duc, celle de Rome par un Consul, celle du Caire par un Vizir ... des titres issus de la grandeur passée des pays concernés ... mais ... mais ... jamais de Rois, d’Empereurs, de Sultans, de Pharaons ... le coordinateur n’est qu’un ministre. Il n’a de supérieur que l’intérêt commun.
- On vous a menti.
- On m’a beaucoup menti, ces derniers temps.
- Les Ducs, les Consuls, les Vizirs ... rien que des pions au service de pions un peu plus gros ...
- Et qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
- Je ne suis pas n’importe qui, Tommaso. Je suis le Bâtonnier du Vieux Continent. Toutes les Loges européennes sont sous ma responsabilité.
- Je ... je ... qu’est-ce qui me le prouve ?
- Le simple fait que je sois ici est une preuve, en soit. Je savais que les chiens de la Consule vous avaient repérés, en route vers l’hôtel de votre sœur. Je savais que cet hôtel était bâti à deux pas d’une des dizaines de galeries des catacombes de Rome. Je savais qu’on projetait de vous tuer. Je savais ... je savais aussi que rien au monde ne vous arrêterait, si ce n’est la mort. J’avais espoir de vous retrouver vivant, et de vous offrir mon aide.
- Attendez ... si vous êtes aussi haut placé que vous prétendez l’être ... pourquoi ne pas avoir donné d’ordres ? Pourquoi ne pas avoir empêché ce ... CE MASSACRE ?! POURQUOI ?! 》
Tommaso pointa son pistolet sur le Bâtonnier, loin d’être impressionné.
《 Vous avez promis, Tommaso ...
- Et pourquoi vouloir me sauver, au juste ? Pourquoi ? J’ai trahi votre organisation ! J’ai tué vos hommes ! Vous êtes le premier à qui ma mort rendrait service !
- Ce ne sont plus mes hommes ! Je ne fais plus partie de cette organisation ! Cessez de me menacer avec votre arme, et je vous raconterais tout !
- Voilà, dit-il en abaissant le pistolet. Je vous écoute !
- Je ... je suis suisse, certes, mais je vis en Italie depuis maintenant quarante-deux ans. J’ai ... j’ai intégré la Loge ... j’ai découvert, comme vous, son secret et ... j’ai ... j’ai continué à gravir les échelons, pour enfin devenir Consul. J’ai passé six ans à ce poste, jusqu’à ... jusqu’à ma mort, neuf mois auparavant.
- Votre ... quoi ? Mais vous êtes bien vivant !
- Pas pour mes proches. Pas pour mon entourage. Pas même pour ma Loge. Un matin, j’ai reçu un coup de fil ... on m’annonçait la mort du Bâtonnier, et on me ... on m’ordonnait de le remplacer. Une des conditions était de feindre la mort. C’était ça ou ... ou l’exécution de ma famille. J’ai ... j’ai suivi leurs instructions ... à la lettre ... je suis sorti de chez moi, et je ne suis plus jamais revenu. La police a annoncé avoir repêché mon corps dans le Tibre ... C’était celui d’un homme qu’on avait torturé à l’Aquarium. Décomposé à souhait. Ma famille ... mon ... mon pauvre garçon ... il luttait contre le cancer ... ils n’y ont vu que du feu.
- Je ... qui étaient ces personnes ? Au bout du fil ?
- Mes supérieurs. À part ça, je ne sais rien d’eux.
- Ce ... ça ne m’explique toujours pas ce que vous faites ici.
- Ce ... ce matin ... j’ai reçu un coup de fil ... mes supérieurs ... ils ... ils m’ont annoncé la ... la ... m ... m ... mort de mon garçon. Son cancer a pris une tournure effroyable, après ma mort. Je ... ils ... ils m’ont aussi dit que ... à cause de l’impact émotionnel de ... de la chose ... je ne pouvais plus assurer mes fonctions. Ils m’ont licencié, tout simplement. En temps normal, ils m’auraient supprimé, mais j’ai apparemment réussi à gagner leur respect.
- Je ... je suis désolé.
- Mon pauvre garçon ... j’aurais dû être à ses côtés ! ILS M’ONT EN EMPÉCHÉ ! 》
Maximus reprit son souffle. Des larmes coulaient abondamment sur ses joues.
《 J’ai ... j’ai commis des atrocités, au service de la Loge. J’y ai parfois pris plaisir, je ne le cache pas. Maintenant, mon fils me regarde, et je dois me racheter. Je n’ai pas pu sauver votre ami, ni votre sœur, mais je peux vous sauver vous. Prenez cette galerie. Tournez à gauche. Puis à droite. Un homme de confiance vous attend. Il vous conduira loin d’ici. Il vous fera disparaitre.
- Mais ... je ne peux pas me sauver ... le 11 octobre ... des innocents ...
- Il n’y a pas de 11 octobre.
- COMMENT ?!
- Il n’y a pas de 11 octobre. C’était un mensonge. Ils voulaient tester votre loyauté, voir si vous pouviez grimper d’autres échelons.
- Alors ... tout ... tout ça pour rien ?
- J’en ai bien peur. À vrai dire ... on vous a menti sur toute la ligne.
- Comment ?
- Ce n’est pas à une organisation néonazie que vous avez affaire. Une énième façade. Rien de plus.
- Mais ... c’est impossible.
- J’en sais un bout, croyez-moi.
- Mais ... qu’en est-il vraiment, alors ? Ils ne veulent ni la suppression des frontières, ni la suprématie de la race aryenne. Que veulent-ils vraiment ? Dites-le-moi !
- J’ai des hypothèses, certes, mais je ne vous les révèlerais pas. Ces informations sont plus dangereuses qu’autre chose. Allez-y ! Sauvez-vous ! Il vous attend !
- Attendez ... Maria ... la famille de René ...
- J’ai bien peur que la famille de votre ami ne soit condamnée ... Maria, par contre ...
- Parlez ! PARLEZ ! 》
Maximus esquissa un léger sourire.
《 Ce Philippe Consul est décidemment un fin manipulateur.
- Que me dites-vous là ?
- On n’a jamais repéré votre Maria. Où qu’elle soit, vivante ou morte, elle ne craint rien de la Loge ... pour le moment.
- Je ... c’est ... 》
Le bonheur conquit le cœur de Tommaso ...
Un bonheur noyé dans un océan de questions sans réponses.
《 Vous ne semblez pas inquiété pour votre père. Battista Orfeo Cartagine, c’est ça ? Ils pourraient se servir de lui ...
- Mon père ne risque rien. Il n’est même pas ici.
- Rien n’est moins sûr ! Je ne me rappelle pas avoir croisé votre père, en descendant dans ces catacombes.
- Riez temps que vous voulez. Savez-vous où est mon père, vous qui semblez si bien informé ?
- Chez lui, peut-être, ou au siège de Battista & Co. Ils le retrouveront, croyez-moi.
- J’ai dit mon père. Pas son sosie.
- Comment ?
- Vous voyez ? Vous ne savez pas tout. La Loge ne sait pas tout.
- Je ... comment ...
- Je m’en vais. Votre homme doit s’impatienter.
- Un instant. J’ai un service à vous demander.
- Lequel ?
- Mon garçon ... il adorait ce chant révolutionnaire ... Bella Ciao ...
- Et alors ?
- Chantez-le avec moi. Il nous entendra, de là où il est.
- Monsieur ... je ...
- Una mattina mi sono alzato.
- Monsieur ...
- Chantez !
- Hum ... O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao.
- Una mattina mi sono alzato.
- E ho trovato l'invasor.
- O partigiano portami via.
- O bella ciao, bella ciao, bella ciao ciao ciao.
- O partigiano portami via.
- Ché mi sento di morir. 》
Maximus sourit. Il sembla soudain vieux, très vieux, extrèmement vieux.
《 Tommaso.
- Oui.
- Vous avez promis de ne pas me tuer ...
- C’est exact.
- Je vous demande de ne pas tenir votre promesse.
- Pardon ?
- Tuez-moi.
- Vous êtes fou !
- TUEZ-MOI, OU JE METS FIN MOI-MÊME À MES JOURS ! AVEC CETTE LANTERNE !
- Je ne peux pas ...
- ALLEZ-Y ! LAISSEZ-MOI REJOINDRE MON FILS !
- Monsieur ...
- TUEZ-MOI ! 》
Pan !
Maximus tomba raide mort.
Le coup ne venait pas de Tommaso.
Il se retourna.
C’était le taxiste palestinien.
Celui-là même qui l’avait conduit au Palais d’Orléans.
《 Où souhaitez-vous que je vous conduise, monsieur? 》

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