Les Sel

5 minutes de lecture

Le groupe de femmes se resserra. Lily décida de s'offrir un bain de soleil, et tendit l'oreille. Après un certain temps, quelques-unes firent des messes basses, et elle sut qu'en leur parlant, elle s'était dénoncée comme étrangère. De toute évidence, cela lui valait l'ostracisme. Elle regretta d'avoir voulu que les humains de ce monde possèdent leur propre langage, plutôt que de les laisser parler français, par facilité. Elle ne pourrait communiquer avec personne avant longtemps.

Perdue dans ses pensées, Lily ne vit pas le temps passer. Il faisait nuit quand un Sel entra dans la tente, une lourde marmite à la main, une pile d'écuelles dans l'autre. Sans mot dire, il en trempa une première dans le liquide fumant, se servit de sa dague pour récupérer quelques lamelles de viandes diverses, puis tendit le tout à Lily avec une sorte de pince à mettre sur les trois premiers doigts et une cuiller. L'espèce de gant métalique fit sourire cette dernière. Même cet ustensile dragonien existait. Ce traitement de faveur diminua encore l'estime que lui portaient les prisonnières, mais elle emmerdait ces greluches. Les Sel aimaient les contrats, elle devait réfléchir à un arrangement avec eux pour qu'il l'amènent en territoire humain, sans qu'elle ne perde en dignité ni n'aie à donner de sa personne.

Et avant cela, elle devait apprendre la langue. Avec les huit qui la laissaient dans son coin, ça s'annonçait difficile. Curieuse, elle goûta la sorte de pot-au-feu, et le trouva savoureux. Les autres femmes furent servies, et le dragonien resta le temps qu'elles finissent leur repas en silence. Il les surveillait, l'air mauvais et tendu.

L'une d'entre elles avala de travers. Le dragonien la sortit du groupe en la soulevant par le col, et la maintint ainsi debout. Constatant qu'elle ne s'en remettait pas et étouffait, il lui fit la manoeuvre de Heimlich. Lily la soupçonna d'avoir tenté de se suicider. Avec la réputation des Sel, cela ne la surprendrait pas. La sauvée fondit en larmes, désespérée d'avoir échoué. L'écailleux la posa rudement face à lui et la gifla avec assez de force pour l'envoyer à terre. Pendant ce temps, les autres avaient pris la part de nourriture de la malheureuse.

Blasé, le dragonien la resservit, puis écarta le pan de la tente le temps de lancer un ordre. Bien vite, on lui tendit une outre d'eau qu'il fit tourner, surveillant toujours les prisonnières. Une autre tenta de s'étouffer, et de nouveau leur geôlier l'en empêcha.

Avant de partir, il fouilla le tas de pailles et de draps où dormait le groupe, à la recherche d'armes égarées. Satisfait, il repartit, emportant la marmite, la vaisselle et l'eau avec lui.

Lily, l'estomac bien rempli, trouva une position confortable pour dormir dans l'herbe, sous le ciel nocturne. Elle sentit avec inquiétude le poids des regards hostiles sur elle, et décida de les ignorer. Tout groupe aimait avoir une tête de turc... Elle chercha le sommeil, mais ses inquiétudes la tinrent longuement éveillée.

L'hostilité des autres femmes, qui avaient entre seize et vingt ans, la travaillait. Ses doutes sur sa propre santé mentale aussi. Et son travail ? Comment le temps s'écoulait, chez elle ? Comment allait son chiot ? Quelqu'un l'avait-il appelée ? Avait-elle aussi physiquement disparu ? Bien d'autres questions la maintinrent éveillée pendant presque toute la nuit. L'épuisement eut raison de ses inquiétudes.

Au réveil, elle se sentit de nouveau anesthésiée. Il lui arrivait souvent de se faire un sang d'encre au moment de dormir, et de se sentir mieux le matin... cette fois était différente. Jamais elle n'avait éprouvé ce manque de ressenti. Engourdie mentalement, elle ne s'offusqua pas de l'hostilité des autres femmes à son égard, ni de la froideur du geôlier qui leur donnait à manger et restait pour empêcher les tentatives de suicide.

Le repas à base de viandes et de pain sans levain terminé, elle resta sous le ciel virant au gris, tandis que les autres restaient groupées comme des moutons. Vers midi, tandis qu'elle comptait ses cheveux pour tuer le temps, un nouveau dragonien s'invita dans la tente, et lui fit signe de le suivre. Il la fit passer devant un surveillant armé d'une lourde masse, puis traverser le camp. Ils s'isolèrent dans un sous-bois, près d'une fosse d'aisance. Elle se soulagea sans mot dire, et put se laver les mains et le visage dans l'eau d'un ruisseau voisin. Son geôlier la ramena sous la tente, et recommença le même manège avec les prisonières.

La dernière fut ramenée portée comme un sac, la main en bouillie et en sang. Le geôlier la jeta sans ménagement, et repartit comme si de rien n'était. Lily grimaça. La blessure était impressionnante. Les doigts, la paume, le dos de la main, le poignet et même une partie de l'avant-bras saignaient et se tordaient de façon alarmante. La plus jeune des femmes vomit, et manqua de peu de s'évanouir. Lily ne se sentait pas bien non plus.

La blessée fut abandonnée à son sort. Lorsqu'elle reprit connaissance, elle gémit de douleur, et hurla en voyant sa main. Aussitôt, un dragonien entra, s'assura d'un bref coup d'oeil que tout allait bien et cracha sur la blessée.

La blessée resta recroquevillée au sol, et se balança peu à peu, gémissante, obnubilée par sa blessure. Ses compatriotes ne firent aucun geste vers elle. Passées quelques heures, Lily trouva la situation intenable, et déchira la manche de sa veste pour en couvrir la large blessure de l'inconnue.

Cette dernière se méprit sur la raison pour laquelle Lily l'approchait, et se pétrifia quand elle se pencha vers elle. Avec toute la douceur dont elle fut capable, la jeune adulte cacha le membre broyé avec la manche déchirée, puis proposa à celle à terre de se lever en lui tendant la main. Elle lui offrit également son sourire le plus commercial, par réflexe. Un sourire très professionnel, qui en bluffait plus d'un.

Avec beaucoup de réserves, l'autre accepta sa main tendue, et la suivit sous le soleil automnal. Les deux restèrent silencieuses un long moment. Lily décida de poursuivre sur sa lancée. Au bout de quelques heures, elle décida de passer à la vitesse supérieure, et attira l'attention de sa comparse en lui tapotant son bras valide. Prenant une voix douce, elle se présenta. La blessée lui répondit.

-Lada.

Suite à cette victoire, Lily s'efforça d'engager une conversation. Elle répéta avec application que ce disait sa nouvelle amie. Comprenant la démarche, Lada se prêta au jeu, bien que sans se départir de sa réserve. Cet apprentissage dura deux jours.

A la suite de ces deux jours, les Sel permirent à Lily d'avancer dans ses plans pour s'en sortir.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Hilaze ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0