Tunnel

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Trois jours d'affilée, les compagnes d'infortune de Lily se montrèrent sur le qui-vive. Puis, au cours de la quatrième nuit, leur conciliabule monta assez pour la réveiller. Tendant l'oreille, Lily reconnut tour à tour la voix de chacune. On l'excluait d'un plan d'action. De toute façon, elle ne comptait pas les inclure dans son avenir.

Entendre Lada lui serra tout de même le coeur. Tendant l'oreille, elle ne comprit rien aux échanges, faute de vocabulaire. Ses connaissances en dragoniens dépassaient désormais ce qu'elle savait de la langue humaine. Par conséquent, au matin, puisque Lada ne l'aidait plus, elle demanda à la dragonienne si elle pouvait aussi lui permettre de développer son vocabulaire dans ce langage. L'écailleuse accepta, et ni l'une ni l'autre ne parla de modifier le contrat. Assfi, la dragonienne, appréciait la jeune femme et lui fit cadeau de ce nouvel enseignement.

La nuit suivante, l'agitation ambiante tira de nouveau Lily de son sommeil. Alors qu'elle se rendormait, une voix masculine lui fit faire un bond. Ebahie, elle vit un homme vêtu de velours et de riches fourrures entouré des autres femmes. L'homme, qui lui tournait le dos, se retourna et lui sourit comme un chat.

-Qui êtes-vous ? demanda Lily dans un baîllement.

-La solution à tous vos soucis, lui répondit l'homme en français.

Elle le détailla, tous les sens en alerte. Il n'avait rien d'un dragonien. Elle l'estima mesurer un mètre soixante, de constitution fluette, à l'âge difficile à déterminer. D'un côté, il avait la peau ferme d'un jeune homme. De l'autre, son regard lui donnait un côté ancien. Aussi, quand quelqu'un lui parlait français, un invocateur se trouvait non loin. Alors, elle sentait des imperfections. Le son ne collait pas toujours parfaitement à ce qu'elle voyait, et il lui semblait que quelques subtilités lui échappaient. Pas dans ce cas. Comme si la personne qui lui parlait s'exprimait consciemment en français.

Un inconnu de physionomie humaine, apparaissant dans un endroit clos et surveillé, sans se faire repérer par les Sel, et s'exprimant avec naturel en français. Lily ne pensait qu'à une possibilité. Un démon. Quoique, il pouvait aussi s'agir d'un demi-dieu. Il se présentait comme une solution à tous les problèmes... ce qui pouvait correspondre aux prétentions d'un démon ou d'un demi-dieu. Il l'invita cordialement à se joindre aux comploteuses.

-Je suis très bien où je suis, répondit froidement Lily.

Elle interrogea les autres du regard, cherchant des informations. Qui pouvait bien être cet homme ? Comment entrait-il ? Comment comptait-il sortir ? Mais elles se détournèrent toutes, avec mépris pour la plupart, et ses questions silencieuses mirent Lada mal à l'aise, au point de détourner le regard.

-Faites ce que vous voulez, trancha Lily d'un ton glacial. Cela ne me concerne pas.

Elle se recoucha et leur tourna le dos.

-Au contraire gente dame, votre liberté vous concerne, insista l'intriguant.

-Pourquoi tenez-vous à nous aider, monseigneur ? rétorqua sèchement Lily.

-Je suis un homme de bien. Rejoignez-nous, je vous prie...

-Elle ne souhaite pas votre aide, intervint Lada à mi-voix.

Lily la remercia, et se réinstalla pour dormir. Les messes basses traînèrent en longueur. Au matin, Lada fut poussée par les autres à demander à la femme si elle comptait les dénoncer.

-J'ai dit que ça ne me concernerait pas, bâilla la collaboratrice, toi et les autres, vous faites ce que vous voulez, je n'en parlerais avec personne. D'autant plus qu'il ne m'inspire pas confiance. Comment se déplace-t-il ?

-Comme n'importe quel non-humain, convint Lada, en se téléportant.

Profitant de leur semblant d'intimité, elle avoua à Lily qu'elle hésitait à suivre ce potentiel démon. L'aînée des deux se pencha alors vers l'autre, et lui murmura :

-Signe un contrat avec les Sel.

Lada devint livide. Elle secoua la tête, horrifiée. A la voir, Lily eut l'impression qu'elle venait de lui suggérer de réaliser un pacte démoniaque. Elles en restèrent là. Encore deux nuits plus tard, de la terre s'agita au milieu de la tente. L'homme en velours acheva d'agrandir le trou, puis présenta fièrement son tunnel. Lily demanda dans un murmure à son amie pourquoi l'odeur de terre remuée n'attirait pas les dragoniens, et pourquoi leur prétendu sauveur gardait ses riches atours pour une tâche si salissante. Une autre femme l'entendit, et refusa alors de suivre le reste de la bande.

Les cinq femmes qui partirent n'insistèrent pas bien longtemps auprès des trois restantes. L'espoir d'une liberté prochaine les rendait fébriles. Elles se voyaient déjà retourner auprès de leur famille.

Lada entendit de l'agitation venant de l'extérieur de la tente, et poussa en catastrophe les deux autres femmes restantes dans le coin de Lily. Le dragonien qui poussa le pan vit les trois femmes asisses, l'air perdu, et l'entrée du tunnel. Il jura et rugit l'alerte.

Très vite, Ayor en personne intervint. Trop grand pour se glisser par l'ouverture, il se téléporta, et maudit bien des choses en tentant, malgré sa corpulence, de voir ce qui se tramait dans le tunnel. Il ordonna de faire démonter la tente, espérant que les siens pourraient agrandir l'ouverture souterraine. Un garde fut assigné aux trois restantes en catastrophe, la tente s'effondra plus qu'elle ne fut rangée, et jetée assez loin du tunnel pour ne plus déranger.

Deux enfants se changèrent en dragon, et s'amusèrent à creuser fébrilement. Ayor appelait des volontaires, cherchant avec fièvre l'un des siens assez petit pour aller chercher les évadées. Il insultait tout ce qui existait tout en renvoyant à leur poste les volontaires trop grands.

Enfin, il trouva un dragonien adulte d'un mètre cinquante, armé d'une dague, qu'il jeta presque dans le boyau souterrain. Une à une, il ramena les fugitives, laissant à son Nér-hi le soin de les châtier selon sa fantaisie du moment. Ayor se contenta de leur retourner les genoux à mains nues, les unes après les autres, puis de les jeter à deux mètres de lui.

Les trois qui échappèrent au désarticulement se pelotonnèrent les unes contre les autres, horrifiées par ce spectacle dont elles ne parvenaient que difficilement à se détourner. Cinq minutes après avoir ramené la dernière, qui en plus de se faire retourner les genoux se fit à demi arracher la mâchoire d'une gifle, le dragonien ne revint pas.

Furieux, Ayor déploya ses ailes membraneuses noires, sa queue gris acier zébrée abaissa légèrement son pantalon et fouetta rageusement l'air, tandis qu'il se mettait à sonder le sol, dans la direction hypothétique du tunnel. Une vingtaine de mètres plus loin, il ordonna aux siens de creuser pour sortir le cadavre du dragonien envoyé. Ecumant de rage, Ayor arpenta de long en large la distance entre l'entrée du tunnel et l'emplacement du corps. Il savait avoir affaire à un démon, qu'il nommait concurrent déloyal.

Les trois humaines restées en dehors de cette affaire se resserrèrent encore plus. Lada attrapa l'avant-bras de Lily, et le lui broyait, y plantait ses ongles. L'autre enfouissait son visage au creux du cou de la plus âgée des trois, et balbutiait des prières incompréhensibles.

Tous les Sel se joignirent aux recherches. Le démon surgit au bout d'un certain temps derrière les trois humaines, et Lily sentit sa peau glaciale la toucher. Par sa réactivité, Ayor lui sauva la vie. Un froid sépulcral légèrement différent et plus puissant s'interposa entre elle et la créature, qui fut consumée. Le Sel le plus proche s'assura qu'elle n'était pas blessée, et put annoncer la bonne nouvelle à son Nér-hi. Ce dernier distruba alors ses ordres.

-Pour elles, indiqua-t-il en foudroyant les évadées du regard, couvetures, soporifiques pendant dix jours, potions pour absorber la peur, et dans douze jours je veux qu'elles parlent. Méthodes douces, précisa-t-il sèchement.

Il ordonna ensuite que le tunnel soit rebouché, et que toute trace de son existence disparaisse. Que celui qui avait ramené les prisonnières soit incinénéré avec respect, et la tente où vivaient les prisonnières remontée ailleurs pour la nuit. Tous lui obéirent à l'instant. Ayor s'intéressa avec colère aux trois donzelles terrifiées encore intactes, puis marcha droit sur elles. Il arracha Lily au sol, et à la prise de ses deux compagnes qui tentèrent de rester accrochées à elle.

-Toi, tu vas me raconter ce que tu sais en détail... siffla le Nér-hi en la traînant au sol, la tenant par le col et l'étranglant presque.

Il dirigeait ses pas de géant vers un feu de camp au centre du campement. Une dragonienne en robe fourrée y prenait son repas, entourée d'une douzaine d'autres écailleux. Celle en robe était très belle. Ses longs cheveux blonds cascadaient sur son torse et ses épaules, sa robe la magnifiait. Toutefois, ses yeux d'argent rendaient moins bien que ce à quoi s'attendait Lily. Sandre Lorias Sel, la compagne d'Ayor, la toisa avec froideur. La douzaine d'enfants alentours, portraits crachés de leur père pour la plupart, avec divers niveaux de malveillance. Ayor lâcha Lily de façon à ce qu'elle s'intègre à leur cercle, lui donna un coup de pied derrière les genoux pour qu'elle atterrisse assise dessus, et il se laissa tomber à côté d'elle, furieux.

-Sonori, cracha-t-il du bout des crocs. Maintenant, tu me racontes tout ce que tu sais sur ce démon et cette tentative d'évasion.

Toujours sous le choc, elle ne put rien répondre. Ayor rentra ses ailes et sa queue, ce qui le rendit presque humain. Il lui posa des questions plus simples, d'un ton brusquement neutre.

-As-tu déjà vu ce démon ?

-Oui...

-En quelle occasion ?

-Il y a deux nuits...

Il lui tira les vers du nez, avec patience. Lily ne chercha pas à lui mentir. Elle avait respecté les termes du contrat, Ayor ne pouvait rien lui reprocher. A la fin de l'interrogatoire, il fixa tour à tour chacun de ses enfants droits dans les yeux, puis leur demanda :

-Un démon s'approche d'un groupe de prisonnier. Qu'est-ce que ça signifie, et que faites-vous ?

-Un ou plusieurs prisonniers deviennent mûrs pour pactiser, et je les excécute tous, répondit une première dragonienne.

-Bien répondu au début, annonça Ayor, mais on n'en est qu'au début de l'hiver, c'est trop tôt pour excécuter tout ce qu'on peut. Tu me déçois.

Cette dernière remarque engendra de nombreux échanges de regards et quelques signaux codés. De tous ces enfants, et encore Lily était sûre qu'Ayor en avait bien d'autres, un seul succéderait au chef de clan. Les autres, s'ils survivaient, devraient partir. A moins qu'ils ne renoncent au titre. Pour le moment, la plupart formaient des alliances qui imploseraient tôt ou tard. D'autres répondirent, se reposant sur la torture ou les mises à mort pour la plupart. Ayor prit le temps de pointer les failles de chaque réflexion. Lily parvint à se faire presque oublier, jusqu'à ce qu'Ayor donne sa méthodologie et ses raisons à ses potentiels successeurs, puis ramène l'humaine à sa geôle.

Le garde lui permit de rentrer sur ses deux jambes, et, vidée par toutes ces émotions, désormais consciente de sa valeur marchande et certaine d'être protégée en conséquence, elle s'effondra sur un tas de couvertures. Pour elle, les cinq suppliciées ne tarderaient pas à disparaître. Il lui faudrait les tenir à distance, jusqu'à ce qu'elles disparaissent, d'une manière ou d'une autre. Lada retournait auprès d'elle, et désormais elle pouvait peut-être compter une seconde alliée.

Elle espéra tout de même que la suite de l'hiver se déroule sans autre événement marquant.

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