Ennui, hiver et nouvelles

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L'hiver se poursuivit, et il fit bientôt froid au point que les Sel laissèrent un poêle sous la tente des prisonnières. Le premier mois passa, sans qu'aucun autre évènement marquant ne vienne briser la monotonie du quotidien.

Les repas se firent peu à peu plus frugaux, des légumes investirent les écuelles, puis des choses sèches et méconnaissables qui restaient comestibles. Le pain sans levain disparut, au profit de tartelettes assez bonnes, bien que les dragoniens, plus carnivores qu'omnivores les trouvaient infâmes. Seule la faim les poussait à cuisiner autant de légumes, puis d'écorces à mastiquer longuement. La diminution de part de viande dans les repas les rendait tous nerveux, tandis que les humaines retrouvaient un régime adapté à leurs besoins.

Les gardes passaient désormais leurs tours de surveillance à l'intérieur, ne sortant que pour recevoir leurs ordres ou laisser leur remplaçant prendre le relais. Henne et Lada s'adaptèrent à ces présences pesantes en se réfugiant dans le silence, craignant à juste titre que les écailleux espionnent leurs conversations.

Lily évita de se montrer trop familière avec eux, préférant ne pas ternir encore son image auprès des deux autres. Ses cours se poursuivaient, et au milieu de l'hiver elle s'estima capable de parler dans les deux langues avec le même talent qu'une collégienne en anglais. Elle apprenait même les alphabets.

Au cours du troisième mois hivernal, les Sel jetèrent sous la tente deux nouvelles femmes. Agrippées l'une à l'autre, elles passèrent leurs quatre premiers jours à sangloter, touchant à peine à leur nourriture. Les gifles et les râleries des geôliers n'arrangeaient rien.

Au cinquième jour, Lily engagea le dialogue avec les deux nouvelles, qui se présentèrent comme les filles du comte de Viunague. N'ayant nommé que les seigneuries frontalières, elle ne put situer leur région, et apprit qu'elles venaient du centre de la région occupée par les humains. Les deux soeurs, âgées de seize et treize ans craignaient pour leur vie, et celle de leurs parents. Leurs trois aînées trouvèrent alors un nouveau passe-temps, consistant à rassurer les deux soeurs.

Lily se demandait s'il ne s'agissait pas d'une histoire de rançon. Quelqu'un devait avoir payé les Sel pour les enlever et les garder, en échange d'un certain pourcentage. Par conséquent, elle ne s'inquiéta pas plus que cela pour les deux nouvelles venues, de même elle s'y attacha encore moins qu'à ses deux co-détenues.

Les nobles restèrent un mois, avant qu'un garde ne vienne les chercher. Aucune des trois femmes restantes ne connut la suite des événements pour les deux partantes.

L'hiver tirait à sa fin. Tout le monde pataugeait dans la neige fondue, l'humidité ambiante s'infiltrait partout, faisant vivre un enfer au clan et aux prisonnières. Puis, pour la première fois depuis longtemps, les trois femmes furent emmenées à la rivière.

Les maquereaux auxquels elles furent présentées étaient humains. De tous ceux rencontrés, Lily trouva qu'il s'agissait des pires. Elle imaginait sans peine ces quatre individus tuer leurs prostituées d'épuisement, sans état d'âme. Leurs regards et réflexions lubriques la dégoûtaient. Leur absence criante d'empathie aussi. Même les yrdeïs avaient montré plus de considération envers les femmes que ces hommes.

Ils s'emparèrent des physiques qui les intéressaient, sans se soucier de la santé des prostitués. Les maquereaux se frottèrent à leurs prochaines acquisitions comme des chiens en rut, frappant allègrement et parfois gratuitement.

Leur chef posa soudainement les yeux sur Lily, et signala son intérêt par un hideux sourire. La femme appliqua un dicton anglais. Le meilleur moyen de montrer les dents à un ennemi est de lui sourire. Elle se l'imagina sans peine le lendemain matin, écorché vif, les dents arrachées les unes après les autres, les paupières découpées, des aiguilles sous les ongles et dans chaque articulation des doigts et des orteils. Cette image lui donna du baume au coeur et du courage, assez pour ne pas détourner les yeux ni baisser le regard.

Le chef de la bande la saisit rudement par l'entrejambe, elle se concentra sur l'image du même type, torturé, au point d'ignorer le geste. Son sourire se faisait moins commercial que carnassier et cruel. Les Sel la protégeraient du viol, elle ne s'en inquiéta pas. Qu'elle lui tienne tête et ne bronche pas plut à l'homme, qui exigea de l'acheter à l'instant.

-Vu son état...

L'invocateur voulut vanter les qualités de Lily pour monter son prix, mais l'un des maqueraux lui flanqua une violente tape dans le dos.

-On l'achète qu'on t'dit, démarre pas ton barratin !

Le Sel toisa l'importun en émettant un grondement sourd. Le sifflement de l'un des gardes le poussa à se reprendre.

-Elle coûte cher, résumma-t-il.

-On prendra à crédit, pas grave, répliqua le chef de bande.

-Parlons-en, de votre crédit... siffla l'invocateur. Faudrait voir à pas nous prendre pour des cons. Comment vont les affaires, depuis la saison dernière ?

-On décolle, répondit un autre membre du groupe de porcs, notre établissement se fait remarquer !

-La possibilité d'passer du temps entre deux chattes à crever plaît bien ! brailla le meneur.

Lily ne se laissa pas impressionner. Ils crèveraient tous bientôt. Elle ne tressaillit pas quand le chef la saisit par la taille en beuglant qu'il lui agrandirait le trou. Il crèverait avant. Elle s'en convainquit. Toutefois, quand il précisa qu'il le ferait à coup de dague, elle ne put réprimer sa chair de poule, ni ses frissons. Un dingue. Elle quêta du réconfort auprès des gardes Sel, et sut à leur air sombre que le maquerau n'attendrait pas la nuit pour lui faire du mal. Plusieurs communiquaient à travers le lien ténébreux, cela se remarquait à leur regard dans le vague. D'autres avaient les épaules et les mains crispées, le visage impassible.

Lily s'abandonna à ses mantras et à l'image des quatre porcs à l'agonie, restant sourde aux promesses du chef de bande. Cela valait mieux. Cette fois, Lada et Henne partirent avec elle. Les deux tentaient de retenir des larmes d'angoisse. Elles prêtaient l'oreille aux menaces des quatre hommes, et les prenaient au sérieux. De nouveau, elles se rapprochèrent de Lily.

Quand, enfin, les quatre maquereaux finirent de choisir leurs futurs prostitués, les trois sbires dirigèrent le troupeau vers leurs chariots gardés par des humains et des Sel, tandis que le chef s'en allait négocier les prix. Aux chariots se mêlaient des roulottes plus ou moins délabrées.

Pendant que les gardes faisaient grimper les nouvelles acquisitions dans les chariots, Lily subit un violent mal de crâne, accompagné d'une voix bourrue et d'une sensation de froid descendant jusque dans la nuque.

-Demande à aller au petit coin, tout de suite. Ordre du Nér-hi.

Elle frémit et hésita, surprise par ce moyen de communication. Le dragonien qui lui parlait d'esprit à esprit s'impatienta.

-Agit tout de suite ou je te mets sous contrôle mental.

Lily obtempéra, et attira sur elle l'attention du porc le plus proche, qui ne cacha pas ses intentions la concernant. Un jeune Sel s'interposa, déployant les ailes, et se plaça derrière la femme pour se frotter contre elle. D'un ton vicieux et lourd de sous-entendus, il imposa :

-Tu permets que je lui fasse quelques adieux ? De ceux dont elle se souviendra.

Il lui lécha le cou et l'oreille, ce qui la fit frémir de dégoût. Son armure mentale se fendillait. Le porc acquiesça :

-Profites-en pour bien lui élargir le trou, y'en aura b'soin !

Et il conclut par un rire gras, tandis que le dragonien emmenait Lily à l'écart. Une fois hors de vue et de portée de voix, il expliqua le plan pour cette fois-ci.

-Dans la journée, le Nér-hi et la Der-hi vont venir te remplacer par un double de glace. On connaît tous la bande d'Unnvi, tu lui as tapé dans l'oeil, il va te crever avant qu'on vienne te récupérer... et tu as signé une garantie contre le viol...

Lily acquiesça, et se demanda si Ayor et Sandre arriveraient à temps. Le dragonien lui attrapa le bras et prit un ton encourageant.

-Continue de laisser ses menaces glisser sur toi et de lui montrer les crocs. Enfin, les dents. Vu tout ce qu'ils nous doivent, ils vont souffrir longtemps.

La femme pensa brusquement à Lada et Henne. Elle voulut que les Sel fassent un geste pour elles. Le dragonien se rembrunit.

-Ta Lada a voulut planter l'un des miens, et on entend Henne prier chaque instant pour notre éradication, tu penses vraiment qu'on a quelque chose à foutre de ce qui peut leur arriver pendant les prochaines heures ? Toutes les deux nous assassineraient à la première occasion, alors leur confort, on se torche avec.

Lily baissa la tête. Elle comprenait. Tout de même, elle craignait le pire pour les deux. Le dragonien la raccompagna jusqu'au chariot, et lui rappela de boiter. L'angoisse la gagnait insidieusement. Elle fut placée à une extrémité du chariot, enchaînée en bout de banc. La caravane attendit une éternité avant de s'ébranler.

Les chevaux furent lancés au galop sur les sentiers spongieux et presque laissés à l'abandon. Les prisonniers, secoués par les cahots, n'osèrent pas se plaindre. Deux heures après cet enfer, les chevaux passèrent graduellement au pas, et les quatre maquereaux en profitèrent pour détacher certaines personnes qui les intéressaient, avant de les emmener dans leurs roulottes respectives.

De celle du chef de bande s'échappèrent rapidement des cris de douleur et des suppliques. Lily chercha de nouveau du réconfort auprès de son entourage. Mais elle ne put compter que sur ses propres moyens pour tenir le coup, et résister à la peur qui s'imposait en elle.

Fermant les yeux, elle se concentra sur ce que les Sel pourraient faire subir aux quatre immondes personnages. Celui qui l'avait prise à part avait parlé de souffrances longues. Cela devait impliquer de la privation de sommeil, d'eau et de nourriture. Du harcèlement. De faux espoirs, pourquoi pas ? Suivis de cruelles désillusions. S'enfermant dans sa bulle, Lily savoura chacune de ces idées.

La fin des hurlements sonna l'heure de la première pause. Un cadavre ensanglanté fut évacué de la roulotte du chef de groupe, et ce dernier vint voir Lily, encore couvert de sang. Le regard fou, il la dévêtait du regard, l'esprit en ébullition. Elle lui répondit par un air carnassier, ce qui excita le pervers.

-T'vas voir... bava-t-il enfin. Tout à l'heure. 'Suis chaud, là.

Elle garda le silence, priant à tout hasard pour qu'Ayor et Sandre interviennent à temps. L'un des gardes humains la détacha, pour l'emmener à l'écart faire ses besoins. Le coeur battant, elle espéra que le couple dirigeant le clan Sel intervienne à cet instant. Après, il serait trop tard. L'angoisse la gagnait pour de bon.

Le désespoir s'ajouta à sa peine quand elle se dirigea de nouveau vers la caravane.

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